Lobbies dévoilés !

Le 8 juin prochain, un comité très hétéroclite, animé par le remuant conseiller national UDC saint-gallois Lukas Reimann et le Parti Pirate lancera une collecte des signatures d’une initiative sur la transparence.

Elle exigera notamment de tous les élus à Berne de déclarer tous les revenus de leurs liens d’intérêt résultant de leurs mandats.

Dans de nombreux pays démocratiques, la démarche pourrait paraître banale, mais pas en Suisse où elle brise un tabou, note L’Hebdo.

L’initiative prévoit une sanction dissuasive: l’exclusion de toute commission parlementaire des députés en défaut.

Pascal Gloor, vice-président du Parti Pirate reconnaît que l’initiative n’a aucune chance devant les Chambres, mais il reste persuadé qu’elle passera devant le peuple. Il n’en demeure pas moins, relève le journaliste de L’Hebdo Michel Guillaume, que le texte de l’initiative reste explosif au niveau suisse.

Pour la première fois, il prévoit une sanction pour l’élu qui cache certains de ses revenus. Les Allemands ont de leur côté opté pour des amendes qui peuvent aller jusqu’à 100’000 euros mais les initiants helvètes y ont renoncé: “ce sont les lobbies qui paient les amendes”, affirme Lukas Reimann qui estime que priver les députés de commissions paraît plus efficace, car ils seront exclus du processus législatif.

Initiative
Les jeunes s’attaquent aux lobbies

Par Michel Guillaume – Mis en ligne le 31.05.2011 à 14:57

EXCLUSIF. L’UDC Lukas Reimann, les pirates et quelques politiciens libres penseurs lancent une initiative qui exige la publication du revenu de toutes les activités des députés liées à leur mandat.

Dans de nombreux pays démocratiques, cette démarche apparaîtrait banale. Mais pas en Suisse. Ici, elle brise encore un tabou. Le 8 juin prochain, un comité très hétéroclite, animé notamment par le remuant conseiller national Lukas Reimann (UDC/SG) et le Parti pirate, lancera la collecte des signatures d’une initiative sur la transparence. Il exigera notamment de tous les élus à Berne de déclarer tous les revenus de leurs liens d’intérêt résultant de leur mandat. Et prévoit une sanction dissuasive: l’exclusion de toute commission parlementaire des députés pris en défaut.

«Devant les Chambres, nous n’avons aucune chance. Mais, si nous parvenons à réunir les 100 000 signatures requises, je suis persuadé que notre initiative passera devant le peuple.» C’est Pascal Gloor, viceprésident du Parti pirate, qui exprime son intime conviction. Sa formation est la seule à s’engager unanimement en faveur de l’initiative.

Agé de 35 ans, marié et père de deux enfants en bas âge, cet ingénieur en sécurité des réseaux domicilié à Péry (BE) est un novice en politique. Une brève adhésion au Parti socialiste du Jura bernois, très décevante, l’a vite incité à mettre les voiles pour rejoindre, en été 2009, un parti plus jeune et rebelle, où tout est à construire. «Nous voulons la mer», clame un des slogans de la petite brochure qui esquisse les cinq points lui tenant lieu de programme.

Point d’idéologie clairement identifiable chez les pirates. Juste la volonté bien affirmée d’adapter la législation à la société digitalisée d’aujourd’hui, face à laquelle les partis établis semblent déphasés. Le Parti pirate part en croisade contre la restriction des libertés individuelles touchant les nouvelles technologies. Et le voilà qui vient d’embarquer pour une autre aventure, à l’issue très incertaine.

Car, en Suisse, s’attaquer à la culture du secret qui enveloppe le pays reste un acte profondément iconoclaste. «Mais seule la transparence dans les affaires publiques nous protège de la corruption et des abus», objecte Pascal Gloor. Les pirates se sont très vite ralliés au jeune UDC Lukas Reimann, qui venait de lâcher, en février dernier, dans la presse dominicale alémanique, la «bombe» de son initiative en préparation. Un objectif collant aux idéaux de transparence des pirates.

Millionnaires UDC réservés. De son côté, Lukas Reimann n’avait pas informé les instances dirigeantes de son parti. Agé de 28 ans, le jeune Saint-Gallois est l’un des rares électrons libres de l’UDC. Parfois, il n’hésite pas à remettre en question la stratégie du patriarche Christoph Blocher. En été 2008, c’est lui qui avait imposé le référendum sur la libre circulation des personnes à son parti, alors que l’ancien conseiller fédéral aurait préféré faire profil bas. Aujourd’hui, il attaque sur un thème, la transparence, loin d’être populaire à l’UDC, dont les millionnaires, voire milliardaires, détestent étaler leur fortune au grand jour.

Avec sa démarche, Lukas Reimann ne s’est pas attiré des sympathies que dans l’électorat jeune qu’il voulait toucher en priorité. Il a trouvé des alliés dans presque tous les partis, à l’exception peut-être du PDC. Les députés PLR Christian Wasserfallen (BE) et Otto Ineichen (LU) ont salué sa démarche. Quant à la vice-présidente des Verts, Aline Trede, elle fait même partie du comité d’initiative.

Ce que le fougueux Saint-Gallois avoue moins volontiers, c’est que le comité d’initiative a dû se montrer moins ambitieux dans les objectifs poursuivis, sur les «conseils», notamment, de son président Toni Brunner. Lors de la dernière session, dans la salle des pas perdus du Conseil national, celui-ci a notifié à quelles conditions il ne s’opposerait pas à l’initiative. Pas question d’exiger des députés qu’ils révèlent leur revenu professionnel!

A l’heure où L’Hebdo écrit ces lignes, le nouveau texte de l’initiative, qui doit être approuvé ces jours-ci, ne figurait pas sur le site de ses auteurs: unbestechlich.ch. Pragmatiques, les «incorruptibles» ont accepté de se limiter à la publication du revenu des liens d’activité en relation avec le mandat des élus. «Nous reconnaissons que le salaire professionnel d’un député fait partie de sa sphère privée», dit Pascal Gloor.

Sanction. Il n’en reste pas moins que le texte de l’initiative reste explosif au niveau suisse. Pour la première fois, il prévoit une sanction pour l’élu qui cache certains de ses revenus. Celui-ci se verrait exclu de toutes les commissions. Les Allemands ont opté pour des amendes qui peuvent être salées, jusqu’à 100 000 euros, mais les initiants helvètes y ont renoncé: «Ce sont les lobbies qui paient les amendes», affirme Lukas Reimann. «Priver le député de commissions nous paraît plus efficace, car c’est l’exclure du processus législatif sur lequel il ne peut plus influer», renchérit Pascal Gloor.

Il sera intéressant de voir comment les appareils des partis réagiront à cette initiative qui séduit surtout leurs électrons libres. A l’UDC, Toni Brunner et Christoph Blocher sont restés très prudents. Peter Spuh-ler n’a pas caché son opposition, tandis que le Valaisan Oskar Freysinger, qui avait lui aussi tenté une démarche de transparence en 2007, applaudit des deux mains: «Il est vrai que certains députés sont achetés. Personnellement, j’ai refusé tout revenu lié à mon mandat, mais j’aurais pu gagner 200 000 francs par an si j’avais accepté tout ce qu’on m’a proposé», témoigne-t-il.

A gauche, l’écho est favorable – d’autant plus qu’une initiative parlementaire semblable de Jean-Charles Rielle (PS/GE) vient d’être rejetée en avril dernier –, mais avec de sérieux bémols. «C’est une démarche intéressante, mais il ne faudrait pas que cette volonté de transparence sur les élus occulte le principal problème, qui est celui de l’opacité sur le financement des partis», déclare Antonio Hodgers, président du groupe des Verts.

Lacune. Quant au sénateur Alain Berset, il regrette que les initiants aient renoncé à la publication du revenu professionnel des députés. «C’est une lacune, en particulier quand la profession est en lien direct avec le mandat de l’élu. De plus en plus de parlementaires sont des lobbyistes professionnels», constate-t-il. Il ne veut citer aucun nom. Mais il est indéniable que des députés comme Martin Landolt (PBD/GL), Christa Markwalder (PLR/BE), Natalie Rickli (UDC/ZH) et Alec von Graffenried (Les Verts/BE) n’ont tous été engagés, ces dernières années, dans l’économie privée qu’en raison de leur carrière politique.
Démocratie
Les innovations de l’initiative

L’initiative propose de modifier l’article 161 de la Constitution fédérale, apportant les nouveautés suivantes par rapport aux dispositions actuellement en vigueur, contenues dans la loi sur le Parlement:

Les élus doivent déclarer le «montant et l’origine de leurs revenus accessoires et des cadeaux qu’ils ont reçus, dans la mesure où ils ont un lien avec leur mandat». Actuellement, les députés n’indiquent que leurs liens d’intérêt.

«Les services du Parlement contrôlent l’exactitude des indications fournies.» Aujourd’hui, ils ne le font pas. En fait, c’est la presse qui exerce officieusement ce contrôle en mettant sous pression les parlementaires qui «oublient» certains de leurs mandats.

«Tout député qui contrevient à ses obligations est exclu de toutes les commissions pour le reste de son mandat.» Cette forme de sanction est une première.

«La procédure de vote au sein des Conseils permet de savoir de quelle manière chaque député a voté.» Cela obligerait le Conseil des Etats à adopter, lui aussi, le vote électronique. Ironie de l’histoire: ce postulat a toujours été défendu par le passé par les socialistes. C’est aujourd’hui un jeune UDC, dont le parti ne cesse de qualifier le Conseil des Etats de «Chambre obscure», qui le reprend à son compte…

http://www.hebdo.ch/les_jeunes_aux_lobbies_106173_.html

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