Le défi démographique de l’Allemagne Par Sylvain Fontan

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L’Allemagne présente d’indéniables performances économiques : chômage faible, excédents extérieurs record et comptes publics sains. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les perspectives à plus long terme sont moins positives, notamment de par sa démographie déclinante et sa population vieillissante. Le recours aux populations du Sud de l’Europe semble pouvoir être une solution au moins partielle de court terme à ce problème structurel.
Evolution de la population en France et en Allemagne de 1960 à 2060_leconomiste.eu
Evolution démographique de l’Allemagne
Les trajectoires démographiques de l’Allemagne et de la France sont divergentes. En effet, les deux pays sont dans des situations radicalement différentes. L’Allemagne est peuplée d’environ 15 millions d’habitants de plus que la France (respectivement 80,5 millions contre 65,5 millions). Toutefois, alors que la France a pu conserver un taux de fécondité satisfaisant, pratiquement suffisant pour garantir la stabilité à long terme de la population, la dénatalité allemande va entraîner une baisse  rapide et importante de la population et un vieillissement nettement plus prononcé qu’en France. Dès lors, les projections soulignent qu’en 2045, la France devrait être plus peuplée que l’Allemagne. D’ici 2060, l’Allemagne devrait perdre presque 15 millions d’habitants et avoir une population de 66 millions d’habitants, contre près de 74 millions en France qui en aura gagné 9 millions dans le même temps. Dès lors, en 2060, la part des plus de 65 ans atteindra presque le tiers de la population en Allemagne, contre 27% en France.
Les trajectoires divergentes entre ces deux pays sont essentiellement le produit de l’Histoire. En effet, en Allemagne, les générations les plus nombreuses sont celles nées depuis les années 1930 et jusqu’en 1945 (période du nazisme qui correspond à une incitation forte à la natalité). La seconde vague de natalité intervient au milieu des années 1960 avec les enfants issus des générations nées pendant la période nazie. Inversement, en France, les générations des années 1930 sont peu nombreuses. Après la seconde guerre mondiale, alors que le baby-krach intervient en Allemagne, la France entre quant à elle dans la période du baby-boom. La natalité s’estompe ensuite progressivement à partir de la crise des années 1970.
Défi démographique pour l’Allemagne
La situation démographique de l’Allemagne est très dégradée. En effet, le vieillissement accéléré de sa population est directement lié à sa faible natalité. Avec 670’000 naissances par ans et 870’000 décès, le pays connaît un déficit de natalité de 200’000 habitants par an. Ainsi, l’Allemagne est dans le trio de tête mondial des pays avec la plus petite proportion de jeunes : seulement 13% de la population a moins de 15 ans et seulement 22% a moins de 25 ans. Avec 18 naissances pour 1’000 habitants, l’Allemagne a un taux de fécondité très faible de 1,36 enfant en moyenne par femme, quand un taux de 2,1 est requis pour assurer le maintien de la population en l’état.
Les conséquences pour l’Allemagne seront majeures. Au-delà des questions de marché du travail (difficulté à accroître le taux d’activité), de capacités productives (difficultés à accroître l’innovation et la productivité) et de soutenabilité de la dette (moindre avec une population plus faible), le principal problème porte sur le poids des dépenses publiques de retraite qui va mécaniquement augmenter. A ce titre, malgré un âge de départ à la retraite qui est déjà passé à 67 ans, ce seuil est d’ores et déjà insuffisant. En effet, les futurs salariés allemands n’auront pas les moyens de satisfaire les besoins de leurs aînés à la retraite. Dès lors, la retraite des allemands semble de plus en plus dépendante de leurs patrimoines accumulés. D’ailleurs, c’est une des raisons (en plus de celle liée au traumatisme de l’hyperinflation de l’entre-deux guerres) qui explique pourquoi les allemands ne souhaitent pas une inflation trop élevée en Europe, car cela dégraderait la valeur de leur patrimoine (« l’euthanasie du rentier » de J.M. Keynes).
Consciente de ce défi l’Allemagne développe des politiques visant à y faire face. En effet, le pays a multiplié les aides pour rattraper son retard démographique et stopper son déclin. En plus de l’Elterngeld qui est un congé parental d’un an pris en charge par l’Etat, les deux principales et plus récentes mesures sont la garantie d’une place en crèche ou chez une nourrice pour les enfants de plus d’un an (contre plus de trois ans auparavant), ainsi qu’une prime allant de 100 euros à 150 euros pour les familles qui décident de garder leur enfant elles-mêmes. Si la première mesure est consensuelle (malgré des problèmes pratiques probables à venir dans un pays réputé pour son manque d’infrastructures en la matière), la seconde fait débat au sein de la société allemande. Notons qu’il est également question de diminuer le temps de travail hebdomadaire des femmes ayant un enfant à charge.
La « solution » des chômeurs issus du Sud de l’Europe
L’Allemagne est plutôt encline à aider les jeunes du Sud de l’Europe. La part de cette catégorie de population qui est au chômage a explosé (+50% en 5 ans) avec la crise dans ces pays (Espagne, Grèce, Italie, Portugal). Avec plus de 50% des moins de 25 ans au chômage, la Grèce et l’Espagne détiennent les moins bons résultats en la matière, tandis que le chômage des jeunes en Allemagne est de seulement 8% (à titre indicatif, en France le niveau du chômage des jeunes est d’environ 25%). A ce titre, l’Allemagne s’est avérée être une solution contre le chômage pour bon nombre d’étrangers. En effet, ce pays est celui qui compte le plus d’arrivées sur son sol d’étrangers en 2012 avec l’absorption d’un million de migrants, ce qui constitue un record depuis 1995/1996. Entre 2011 et 2012, le nombre de grecs s’étant installés en Allemagne a bondi de +75%, ainsi que le nombre de portugais et d’espagnols (+50%) et les italiens (+35%). Au total, ce sont plus de 130’000 européens du Sud qui ont rejoint l’Allemagne en 2012, et probablement au moins autant en 2013.
La démographie déclinante et la nécessite de trouver de la main d’œuvre dans l’industrie sont à l’origine de cet afflux de populations étrangères. L’essentiel des flux de population est très souvent diplômé car le chômage des diplômés du supérieur est de 20% en Grèce, 17% en Espagne contre seulement 2,5% en Allemagne. Des pays commencent à s’inquiéter car cela implique d’une part, une fuite des cerveaux nécessaires à la « reconstruction » des pays du Sud, et d’autre part, une perte financière en matière de formation qui ne bénéficie pas aux pays d’origine. Au final, le risque global de cette politique est le creusement de l’écart entre l’Europe du Nord (productive et qualifiée) et l’Europe du Sud (qui cumule les problématiques économiques structurelles), ainsi que le risque d’hypothéquer la croissance future des pays d’Europe du Sud, à fortiori si ces populations restent en Allemagne. Parallèlement, l’avantage global est celui lié au rééquilibrage des niveaux de productivité et la diminution du coût du chômage pour les pays d’Europe du Sud avec des populations qui vont passer du statut de chômeur dans leur pays à celui d’employé en Allemagne.
Sylvain Fontan, “Le défi démographique de l’Allemagne : sa démographie”, analyse publiée sur «leconomiste.eu» le 4/12/2014.
Pour aller plus loin
Sylvain Fontan, “Les non-dits du « New deal » en faveur de la lutte contre le chômage des jeunes en Europe”, analyse publiée sur «leconomiste.eu» le 12/06/2013.

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