“Au lieu d’investir dans un pays et y posséder des terres et usines, il suffit de l’endetter et d’utiliser la souveraineté de son propre État et en faire le délégataire de la capture”.
Les États de l’Eurogroupe sont les délégataires des rentiers financiers
Par Ahmed Henni, 24 août 2015
Guerres économiques, guerres des dettes, guerres des monnaies… Chine, Japon, Inde, Iran, Russie, USA, UE, le monde entier ?
« Quand deux pays se font la guerre, quand deux armées s’entretuent, est-il nécessaire d’employer des moyens spéciaux pour mener une guerre psychologique à l’encontre des membres de la famille des soldats ennemis installés loin à l’arrière ? Dans le but d’assurer la sécurité financière d’un pays, peut-on recourir à l’assassinat pour contrer les spéculateurs ? Peut-on opérer des « frappes chirurgicales » contre les foyers de drogue ou de contrebande sans déclaration de guerre ? Pour exercer une influence sur le gouvernement ou le parlement d’un pays étranger, peut-on créer des fonds spéciaux afin de circonvenir des groupes de pression ? Peut-on enfin utiliser la méthode consistant à racheter ou à contrôler le capital de journaux, de chaînes de télévision d’un autre pays pour en faire les outils d’une guerre médiatique contre ce pays ? »
La « Guerre hors limites » tente d’apporter des éléments de réponse en s’appuyant sur la culture stratégique chinoise.
La Guerre hors limites a été rédigé par deux colonels chinois de l’armée de l’air qui nous livrent leurs réflexions stratégiques, échos des perceptions chinoises en la matière.
Dans un premier temps, ces militaires chinois reviennent sur les conséquences en terme de stratégie issues des opérations menées lors de la guerre du Golfe de 1991. Ils les comparent aux principes stratégiques du passé, des guerres de l’époque des Printemps et des Automnes (VIIIème-Vème siècle avant J.-C.) aux campagnes napoléoniennes.
En étudiant l’évolution de la « guerre » au cours des siècles, les auteurs constatent que les agressions ne revêtent plus uniquement l’aspect militaire. Ces actes hostiles investissent de nouveaux domaines (financier, informationnelle, écologiques…) qui sortent de la sphère classique de la guerre d’où le titre « hors limites ».
Les auteurs expliquent cette diffusion de la guerre dans tous les pans de la société par cette volonté de remplacer la « guerre sanglante » par la « guerre non sanglante ». Le monde entier s’est ainsi transformé en champ de bataille au sens large.
« Aujourd’hui, (…) le terrain de la guerre a dépassé les domaine terrestre, maritime, aérien, spatial et électronique pour s’étendre aux domaines de la sécurité, de la politique, de l’économie, de la diplomatie, de la culture et même de la psychologie… » (1)
« Il n’existe plus de domaine qui ne puisse servir la guerre et il n’existe presque plus de domaines qui ne présentent l’aspect offensif de la guerre. » (2)
L’étude des batailles passées les mène ensuite à mettre en lumière l’utilisation de la combinaison des attaques latérales à celles frontales lors des victoires. Ils finissent par conclure que la combinaison des « attaques latérales-frontales » ainsi que l’utilisation des différents échiquiers de la société permettra d’atteindre les objectifs fixés dans les guerres du futur. Selon eux, la définition de la guerre nouvelle serait une « guerre combinée hors limites sur le mode latéral-frontal. » (3) Les stratèges du futur seront ceux qui sauront au mieux étudier, maîtriser et combiner les différents domaines à disposition.
« Le champ de bataille de la guerre hors limites n’est pas le même que par le passé puisqu’il comprend tous les espaces naturels, l’espace social et l’espace en pleine croissance de la technologie, tel l’espace nanométrique. Désormais ces différents espaces s’interpénètrent. » (4)
Dès sa publication, cet ouvrage a été interprété en Chine comme en Occident comme un essai prônant l’utilisation de tous les moyens, militaires mais surtout non militaires, par les pays en voie de développement (ainsi que par la Chine) en cas de conflit contre les Etats-Unis et leur armement de haute technologie.
« Si nous voulons nous assurer la victoire dans les guerres à venir (…) nous devons mener une guerre affectant tous les domaines de la vie du pays concerné sans que l’action militaire en soit l’élément dominant. » (5)
« Dans les guerres du futur, les moyens militaires ne seront qu’un choix parmi d’autres. » (6)
Enfin les auteurs en profitent pour comparer les approches différentes de la culture de guerre des Etats-Unis et de la Chine. (voir tableau en bas de page)
« La Guerre hors limites » est un ouvrage précurseur, et même visionnaire dans son approche des « guerres » à venir. Publié en Chine dès 1999, ce livre évoque ouvertement les mécanismes des guerres économiques et de l’information et classe sans état d’âme les spéculateurs financiers, comme George Soros, ou les pirates informatiques comme des acteurs de premier ordre dans les guerres du futur.
Cet ouvrage est un document précieux pour comprendre les nouveaux moyens stratégiques à disposition et l’art de les employer.
(1) Qiao Liang, Wang Xiangsui, La Guerre hors limites, Payot et Rivages, 2003, p. 240
(2) Ibid, p. 267
(3) Ibid, p. 256
(4) Ibid, p. 301
(5) Ibid, p. 241
(6) Ibid, p. 302
AVS
* « Par sa prééminence, l’esprit est censé pouvoir compenser l’adversité, ou la faiblesse physique, par la ruse, la duperie, les stratagèmes, le rayonnement intellectuel, au point de mépriser la force. »
Michel Jan
Dans la nuit du 29 au 30 juillet 2004, une panne d’électricité géante en Inde bloquait une grande partie du pays. 48 heures plus tard, une nouvelle panne créait à nouveau le chaos…. Pur hasard ou réponse à l’accord passé entre l’Inde et l’Iran qui consiste à échanger du gaz iranien contre de l’or indien ? On sait que les USA veulent interdire tout commerce avec l’Iran ! Ont-ils utilisé l’arsenal de virus informatiques à leur disposition pour faire chuter la production d’électricité de l’Inde, créant instantanément un chaos total pour 700 millions d’indiens ?
Curieusement, deux jours après cette cyber-attack contre des centrales nucléaires indiennes, l’un des plus gros intervenants du trading électronique de Wall-Street, Knight Capital Corp, voyait son programme informatique semer le chaos dans les cotations de 140 actions sur le NYSE ! il faut dire que l’Inde crée des programmes pour de nombreuses banques américaines à Bengalore.
Il y a un livre à lire sur ce genre de guerre : « La Guerre hors limites », Payot et Rivages, 2003, rédigé par deux colonels chinois de l’armée de l’air Qiao Liang, Wang Xiangsui. Dans un premier temps, ces militaires chinois reviennent sur les conséquences en terme de stratégie issues des opérations menées lors de la guerre du Golfe de 1991. Ils les comparent aux principes stratégiques du passé, des guerres de l’époque des Printemps et des Automnes (VIIIème-Vème siècle avant J.-C.) aux campagnes napoléoniennes.
En étudiant l’évolution de la « guerre » au cours des siècles, les auteurs constatent que les agressions ne revêtent plus uniquement l’aspect militaire. Ces actes hostiles investissent de nouveaux domaines (financier, informationnelle, écologiques…) qui sortent de la sphère classique de la guerre d’où le titre « hors limites ». Publié en Chine dès 1999, ce livre évoque ouvertement les mécanismes des guerres économiques et de l’information et classe sans état d’âme les spéculateurs financiers, comme George Soros, ou les pirates informatiques comme des acteurs de premier ordre dans les guerres du futur.
http://www.infoguerre.fr/bibliographies/la-guerre-hors-limites/
25 Août 2015
Publié par Saoudi Abdelaziz
“Au lieu d’investir dans un pays et y posséder des terres et usines, il suffit de l’endetter et d’utiliser la souveraineté de son propre État et en faire le délégataire de la capture”.
Les États de l’Eurogroupe sont les délégataires des rentiers financiers
Par Ahmed Henni, 24 août 2015
Les gouvernements de l’Eurogroupe ont imposé au gouvernement grec un certain nombre de mesures permettant, grâce à des prêts qu’ils lui accordent, d’opérer des transferts de richesse de la Grèce vers les autres pays, particulièrement vers les institutions financières détenant des créances sur l’État ou l’économie grecs.
Traduction : pour capturer de la richesse sur le peuple grec, on a utilisé la souveraineté des États pour mettre sous protectorat un autre État. Les rentiers financiers ont donc : 1) délégué aux États le soin de mener cette capture ; 2) évité d’investir dans le système productif grec pour en tirer leurs profits. La souveraineté des États permet aujourd’hui de capturer de la richesse par délégation et le fait mieux que la propriété de moyens de production, relégués, eux, dans des pays exotiques.
J’avais dans mon livre publié en 2012, Le Capitalisme de rente, décrit cette transformation dans les pays capitalistes développés. J’y annonçais que la forme actuelle que prend le capitalisme, dominé par la capture rentière, utilise davantage les ressources de la souveraineté des États, transformant ceux-ci en simples délégataires des rentiers et reléguant la propriété des moyens de production matérielle au deuxième plan.
Or, la principale source de rente est, aujourd’hui, la puissance monétaire. Elle exige un statut éminent indiscutable et indiscuté par une affirmation de souveraineté. Elle demande à se doter de moyens de pression garantissant l’ordre monétaire et le recours à des actions épisodiques périodiques pour faire exemple. J’ai évoqué à ce sujet la pratique de la cryptie, utilisée par Sparte : organiser périodiquement des raids terroristes contre leurs esclaves ilotes pour les soumettre et les dissuader de toute velléité de révolte. Or, que nous apprend M. Varoufakis, ancien ministre grec des finances ? Que M. Schäuble, le ministre allemand, aurait voulu utiliser le cas grec pour terroriser le gouvernement français qui, lui aussi, fait face à un sérieux problème de comptes publics. Selon lui, il viserait « l’État-providence français, son droit du travail, ses entreprises nationales et considère la Grèce comme un laboratoire de l’austérité, où le mémorandum est expérimenté avant d’être exporté » (Le Monde, 22 août 2015).
De ce fait, si, dans le capitalisme industriel, la propriété des moyens de production matérielle était recherchée par les uns et combattue par les autres (elle est au centre de la réflexion socialiste accompagnant la société industrielle), aujourd’hui, c’est la souveraineté sur l’économie mondiale qui est recherchée. Elle procure, comme toujours, des rentes et devient un enjeu central. D’un autre côté, lorsqu’il s’agit de modifier le partage des rentes que permet la souveraineté, les différents États et groupes sociaux, rentiers ou protestataires, délaissent les ressources que procure la propriété des moyens de production pour renforcer les moyens de la souveraineté ou revendiquer un meilleur accès aux rentes qu’elle procure.
L’appui sur la capacité souveraine et sur la loi nécessite de la puissance. Celle-ci doit s’exprimer aussi bien au niveau international – garantir l’ordre monétaire et la sécurité des différentes circulations (monétaire et autres) et contraindre les différents États à les respecter et payer les intérêts des dettes et autres droits à redevance (sur les logiciels, etc.). Les menaces ressenties ne viennent plus des conflits liés à la propriété des moyens de production mais de possibles atteintes à la souveraineté.
Cet usage de la souveraineté revient au premier plan. Il consiste à instrumenter de plus en plus l’État lui-même à des fins de prélèvement de richesses sur les populations. Le capitalisme de rente actuel se caractérise par un retrait de l’État de la sphère productive – « libéralisme » – et son cantonnement dans le double rôle d’État minimal assurant la sécurité de la circulation économique, ce qui l’a rendu plus répressif, et d’État endetté prélevant des impôts pour payer des intérêts à ses créanciers. Au lieu d’investir dans un pays et y posséder des terres et usines, il suffit de l’endetter et d’utiliser la souveraineté de son propre État et en faire le délégataire de la capture.
(*) Ahmed Henni est professeur d’économie à l’Université d’Artois, en France. Il a notamment publié Syndrome islamiste et les mutations du capitalisme (Non Lieu, Paris : 2007) et Le Capitalisme de rente : de la société du travail industriel à la société des rentiers (L’Harmattan, 2012).
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