L’Europe en manque d’enfants.

Même la Migros en parle…
Le numéro MM05 du 1er février 2016 est consacré aux familles.

Une Suisse en manque d’enfants

Malgré une légère hausse depuis deux ans, le taux de natalité dans notre pays reste encore très insuffisant pour assurer le renouvellement des générations. La question, complexe, ne se résoudra sans doute pas sans un gros effort d’imagination.
Un enfant et demi par femme. Le taux de natalité en Suisse, comme on sait, n’assure plus le remplacement des générations, situé à 2,1. Auteur d’une étude sur l’évolution des naissances dans les cantons, le professeur Giuliano Bonoli, de l’ Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) à Lausanne, explique avoir trouvé deux critères principaux de différenciation:

«Plus un canton était urbanisé, moins on avait d’enfants, et plus il y avait de crèches, plus il y avait d’enfants.»

Pour lui, il ne faut pas espérer revenir au taux des années 60, «où on avait encore 2,5 enfants par femme». Il serait pourtant possible d’arriver «à 1,7 ou 1,8, si on crée des conditions pour que les femmes puissent facilement concilier travail et vie familiale».
D’autant plus, explique-t-il encore, que «l’on n’a pas moins envie d’enfants qu’il y a quarante ans». C’est la notion d’indice de tension. A savoir la différence entre «les enfants qu’on veut faire et ceux qu’on fait», résume le sociologue Jean-Pierre Fragnière, aujourd’hui retraité et auteur d’un Dictionnaire des âges et des générations. «Pour schématiser, chez les riches on fait à peu près les enfants qu’on veut faire, et chez les pauvres beaucoup moins d’enfants que ce qu’on voudrait faire.»

Evolution des rapports hommes-femmes

Les explications ne manquent pas pour rendre compte de ce décalage. «Le manque d’encadrement familial, la mobilité géographique, les conditions économiques, les ruptures dues à des parcours amoureux désormais non linéaires, l’absence de disponibilité des grands-parents, la pénurie d’équipement d’accueil de la petite enfance, la cherté de cet accueil.»
Concernant les crèches, Giuliano Bonoli rappelle qu’il y a parfois «des listes d’attente de plusieurs milliers d’enfants».
Nos crèches comptent parmi les plus chères du monde parce que peu subventionnées. On a mis les priorités ailleurs». Les crèches ne sont évidemment pas le seul élément d’une politique familiale propre à relancer la natalité. «Il y a aussi la flexibilité dans le temps de travail, le télétravail, le job sharing, le congé parental transférable entre le père et la mère.» Jean-Pierre Fragnière va encore plus loin: «Tant qu’il n’y aura pas une modification des rapports masculin-féminin, on aura une chute du taux de natalité.

On a formé des femmes de haut niveau de compétence qui ne veulent plus impunément assumer tout le poids de la reproduction. L’homme va devoir sérieusement s’adapter.

Cela se négocie dans le couple mais l’entreprise peut aussi apporter sa contribution.» Et le sociologue de rappeler qu’autrefois faire des enfants était plus valorisant. «Une femme qui avait trois enfants était considérée comme une femme accomplie. Aujourd’hui, pour l’estime de soi et le prestige social, il faut faire une carrière.»
S’ajoute la dimension économique. «Elever ma grand-mère ne coûtait presque rien, rapidement elle travaillait, à la limite c’était un gain.» Alors qu’aujourd’hui «faire travailler comme éleveuse de bébés une pharmacienne qui a coûté très cher s’apparente à un investissement improductif».
La situation pourtant ne semble pas figée. Après avoir stagné pendant plusieurs années à 1,4, le taux de natalité est donc remonté depuis deux ans à 1,5. «Ce n’est pas énorme, mais c’est une inversion de trend, concède Giuliano Bonoli. Cela peut être dû simplement à des effets de calendrier: si vous avez tout à coup une génération de femmes qui décident d’avoir des enfants quatre ou cinq ans plus tard que la précédente, il y aura un trou dans le taux de fécondité, et une reprise après.»
Pour Jean-Pierre Fragnière, «c’est toute l’organisation des rapports intergénérationnels, qui sont des conditions pour accueillir les enfants, qui doit être repensée, dans une société à non plus trois mais quatre générations». Et de prendre ce simple exemple:
«Aujourd’hui, on hérite souvent après la retraite. Les grands-parents devraient donner leur argent non pas à leurs enfants qui sont déjà vieux, mais à leurs petits-enfants qui sont parfois en phase délicate de chômage ou de divorce, mais qui sont la génération qui doit accueillir les enfants.»

L’immigration: la solution?

Reste l’immigration souvent présentée comme l’arme absolue pour repeupler et rajeunir des sociétés vieillissantes. «Surtout si l’on accueille des migrants qui viennent de pays où l’on est habitué à avoir une natalité beaucoup plus élevée», note Giuliano Bonoli.
Pour lui, le recours à l’immigration va demeurer longtemps inévitable «parce que nous aurons pendant un bon moment toujours un taux de fécondité inférieur à 2,1 et que nous avons besoin de cette main-d’œuvre, pour faire tourner l’économie, et aussi, corollaire du vieillissement, pour s’occuper de nos personnes âgées. L’enjeu est de savoir comment on va gérer les tensions qu’on observe partout dans cette société multiculturelle qui est en train de voir le jour en Europe.»

C’est l’appel à l’invention qui s’impose plutôt que l’alarmisme,

conclut Jean-Pierre Fragnière. On n’a jamais connu une situation semblable, il n’y a pas de mode d’emploi, il faut imaginer une nouvelle manière d’accueillir les enfants.»

Elever cinq gamins, un boulot à plein temps

Valérie (39 ans – mère au foyer) et Marc-Henri Bujes (41 ans – gestionnaire de fortune), leurs enfants Clémence (9 ans), Aurélien (7 ans et demi), Edouard(6 ans), Eugène (3 ans et demi) et Célestin (1 an), Gland (VD).
«La famille d’abord!», s’exclament en chœur les Bujes. Les deux voulaient beaucoup d’enfants pour former un clan. «C’est formidable de les voir jouer ensemble, d’être si complices et solidaires même s’il y a des bagarres parfois.» Valérie a arrêté d’enseigner pour pouvoir s’occuper de ses cinq garnements.

Les frais de garde auraient été clairement trop élevés, cela ne valait même pas le coup de continuer de travailler.»

Aujourd’hui, comme l’emploi du temps de son mari est flexible, elle effectue des remplacements pour garder un pied dans le métier.
«Etant donné que nous ne sommes pas dans une tranche de revenus où l’on peut être aidés, on doit compter, on doit faire attention, précise Marc-Henri. Les allocations, même si elles augmentent à partir du troisième, n’ont rien de comparable avec d’autres pays où avoir des enfants est plus valorisé.» Du coup, ce couple a dû réduire son budget loisirs et vacances.

On a fait beaucoup de choses quand on était jeunes, maintenant on met la priorité sur la famille. C’est un choix!»

Elever cinq enfants, c’est évidemment un boulot à plein temps qui nécessite sens de l’organisation et don de soi également. «On essaie de s’accorder un peu de temps pour décompresser.» Monsieur, qui faisait auparavant beaucoup de sport, attend maintenant que ses bambins soient couchés pour aller courir. Pendant que Madame s’octroie de temps à autre une sortie entre copines.

Pas facile de concilier vie familiale et professionnelle

La famille Kohler

Floriane (36 ans – infirmière à 60%) etSébastien Kohler (41 ans – animateur à 80%), leurs filles Eloïne (2 ans) et Zélie (4 ans et demi), Palézieux (VD).
Impossible pour Floriane d’imaginer vivre sans enfants. «Si je n’avais pas pu en avoir, j’aurais adopté. Et si j’étais restée célibataire, je serais partie travailler dans un orphelinat.» Pourquoi cette envie irrépressible? «Je ne sais pas.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu avoir des enfants. C’est inné chez moi.»

Sébastien tient le même discours: «Quand vous rentrez et que vos filles tendent leurs bras en disant papa, il n’y a pas de plus grand bonheur que ça!»
Un choix qui n’a pas été sans conséquences, notamment au chapitre des loisirs. Les deux jours où les parents sont absents pour cause de travail, c’est une nounou privée et la maman de Madame qui prennent le relais.
Pas facile non plus de concilier vie familiale et professionnelle. «Ce n’est pas toujours simple! J’ai par exemple dû négocier pour obtenir de ne pas travailler le vendredi. Et il va bientôt falloir que j’augmente mon temps de travail pour suivre une formation et pouvoir ainsi occuper un poste avec davantage de responsabilité», raconte Sébastien. Floriane ajoute:

Moi, j’ai dû opter pour un job à temps partiel avec des horaires réguliers et donc mettre temporairement de côté mes objectifs professionnels»

Cela n’empêche pas ce couple de songer à un troisième bambin. «On se tâte… Mais ce qui nous retient principalement, c’est l’aspect financier et la garde des enfants.»

Leur bébé, c’est leur entreprise

Sandy Botteron et Patrice Boyer

Sandy Botteron (30 ans – tatoueuse) etPatrice Boyer (48 ans – tatoueur), Neuchâtel.
En couple depuis cinq ans, Sandy et Patrice n’envisagent pas d’avoir d’enfants. «La question s’est évidemment posée et elle se pose encore parfois lorsqu’on voit des copines enceintes, mais la réponse est toujours non.» Pourquoi? «Nous ne sommes pas réfractaires à l’idée, nous adorons les gosses, mais notre travail, notre fonctionnement de couple ne laissent tout simplement pas la place à cette opportunité.»
Leur «bébé», comme ils le répètent en se marrant, c’est leur entreprise. «Nous avons pu faire de notre passion notre métier, c’était notre rêve!», précisent-ils avant de s’empresser d’ajouter:

Mais on ne s’est jamais dit qu’on n’aurait pas d’enfants parce qu’on allait se consacrer à fond à notre carrière.

Il n’y a pas eu préméditation, ça s’est fait naturellement.»
Tous deux affirment d’ailleurs être pleinement épanouis.

«A 18 ans, je me voyais maman. Plus tard, j’ai réalisé que c’était pour combler un manque. Maintenant, je me suis accomplie, je me suis libérée de ça»,

analyse Sandy. «Pas besoin de procréer pour me sentir entier, pour être dans la norme», renchérit Patrice.
Ce choix les marginalise-t-il? «Non, mais on nous demande souvent si on a l’intention de se marier et d’avoir des enfants. Parce que dans la tête des gens, c’est la suite logique d’une relation. Et quand on répond par la négative, certains trouvent cela bizarre et imaginent que l’on a un problème, qu’on ne peut pas en avoir. Ahahah!»
Pas de regret, vraiment? «Non, aucun. Et puis, on se laisse vivre… Du coup, si ça devait arriver, si on devait avoir un enfant, eh bien, c’est que la vie en aurait décidé ainsi et on l’accepterait.»
Texte: © Migros Magazine | Laurent Nicolet et Alain Portner
  • C’est en Asie que l’on trouve les plus bas taux de fécondité. A Singapour, il est de 0,81. Taïwan avec 1,12 et la Corée du Sud avec 1,25 font à peine mieux. En Europe, la Bosnie avec 1,27, la Pologne et la Roumanie (1,33) la Slovénie (1,34) ferment la marche. La Vénétie en est à 0,7 !
Traduction »