La
conférence donnée par Yves Daoudal le 24 juillet 2014 à l’université
d’été du Centre Henri et André Charlier et de Chrétienté Solidarité, à
La Castille (Var), est en ligne (20 pages). Extraits :

“[…] Si les bons cathos, défenseurs de
la vie et de la famille, qui se dépensent sans compter aujourd’hui
contre ce qu’ils appellent la théorie du genre, avaient jeté un œil sur
le Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques, publié en 2003 par le Conseil pontifical pour la famille,
ou plutôt, disons, dans sa version française publiée par Tequi en 2005 –
en 2005, il y a près de dix ans -, ils auraient pu voir qu’il y a dans ce livre non pas une allusion au genre, mais trois grands articles. Qui disent tout sur la question.
Et l’on relève que dans la seule introduction du premier article on
trouve cinq fois le mot « idéologie » pour qualifier ce qui est sorti
des « gender studies ».
Mais l’Eglise avait dénoncé
l’idéologie du genre bien avant ce Lexique. Elle l’avait dénoncée au
moment précis où cette idéologie quittait les cercles d’intellectuels
décadents pour entrer dans le vocabulaire de l’ONU et des autres
instances internationales. C’était en 1995 à la conférence de l’ONU sur
les femmes à Pékin
. […]
Ce n’était pas l’année dernière, c’était il y a presque 20 ans. Jean-Paul
II, saint Jean-Paul II, oui, avait été l’homme de la situation, le pape
de la situation. Le vrai docteur chrétien, qui discerne immédiatement
la pathologie, et la nomme.
Et permet à quiconque de s’en
préserver. Il est le premier, et il est alors hélas le seul, comme tous
les pionniers. Bien qu’il ait attiré l’attention, en publiant une Lettre aux familles avant la conférence du Caire, et une Lettre aux femmes avant la conférence de Pékin. Quand je dis qu’il était seul, c’était qu’il était vraiment seul, en dehors de Mary-Ann Glendon. […]
Mais la lucidité de Jean-Paul II
sur la question ne venait pas d’une subite inspiration. C’était la
conséquence d’un travail qu’il avait accompli longtemps avant, d’une
réfutation de l’idéologie du genre qu’il avait entreprise sans savoir
que c’était de cela qu’il s’agissait, car c’était à peu près au moment
où les féministes extrémistes américaines élaboraient leur idéologie
.
Il y a là une manifeste coïncidence providentielle et historique. Au
moment où des Américaines commencent de façon confidentielle à prétendre
et à définir que le genre est une construction sociale, un archevêque
d’un pays situé dans l’enceinte soviétique élabore une œuvre théologique
qui va montrer que non seulement la différenciation sexuelle n’est pas
une construction sociale, mais qu’elle est un élément clé de la
création, qu’elle est même ce en quoi l’homme est image de Dieu.
Il ne peut pas y avoir incertitude et
choix de genre, car la Genèse dit que Dieu créa l’être humain homme et
femme, et cette dualité est à l’origine de toute l’histoire humaine,
sans possibilité qu’il en soit autrement, sinon dans des rêveries
morbides.
C’est en effet l’archevêque de Cracovie,
Mgr Karol Wojtyla, qui a élaboré cette réflexion théologique majeure,
sans doute la plus importante du XXe siècle, la plus cruciale en tout
cas pour le XXIe siècle, et qui l’a ensuite distillée, une fois devenu
pape, au gré de ses audiences du mercredi, entre 1979 et 1984. On n’y
fit guère attention, alors que tout de même un ensemble de 129 catéchèses sur le même sujet
(on s’est aperçu ensuite qu’il en avait préparé 135) aurait dû au moins
intriguer. Mises bout à bout, ça faisait quand même plus de 40 heures
d’enseignement. […]”
Jean-Paul II avait détruit à la racine
l’idéologie du genre
Conférence donnée par Yves Daoudal le 24
juillet 2014 à l’université d’été du Centre Henri et André Charlier et de
Chrétienté Solidarité, à La Castille (Var)
C’est cette année que beaucoup de gens ont
découvert l’idéologie du genre, à travers les tentatives de l’Education
nationale de l’introduire par divers biais dans l’enseignement. Cette
découverte a été rendue possible par les grands rassemblements de la Manif pour
tous et ce qui s’en est suivi, et les diverses ramifications de cette suite.
C’est donc la mobilisation contre la légalisation du soi-disant mariage
homosexuel qui a sensibilisé beaucoup de gens à cette question. Car en effet la
justification idéologique de l’homosexualité, c’est l’idéologie du genre.
On peut regretter que la prise de conscience
ne se soit pas produite dans l’autre sens. C’est–à-dire que les gens n’aient
pas commencé par découvrir l’idéologie du genre, et se soient mobilisés contre
cette infamie qu’on répandait dans les écoles. Car alors la mobilisation aurait
été encore bien plus importante contre le soi-disant mariage homosexuel, et
plus étayée, et peut-être la fin de l’histoire aurait-elle été différente.
De fait, il faut bien le dire, la mobilisation
contre le genre, en 2014, est bien tardive. Mieux vaut tard que jamais, certes,
mais pour l’efficacité ce n’est pas la meilleure configuration. D’autant que la
plupart des manifestants, sur internet ou dans les conférences, continuent
imperturbablement de dénoncer une « théorie » du genre, comme si l’on
en était encore à répondre aux « gender
studies 
» d’il y a 40, voire 50 ans.
Quand on n’est pas d’accord avec une théorie,
on propose une autre théorie, dont on pense qu’elle rend mieux compte de la
réalité. Une théorie ne détruit pas le réel, elle essaye de l’expliquer. Tandis
qu’une idéologie s’impose à la place du réel. On répond à une théorie par une
théorie. On répond à une idéologie par la vérité, le vrai, le réel. En
l’occurrence, la différenciation sexuelle n’est pas une théorie, c’est un fait.
En 2009, à notre université d’été, c’était à
Salérans chez le père Avril, ma conférence était intitulée « L’idéologie
du genre, l’ultime subversion ». Je ne suis pas un prophète, je n’avais
rien inventé. Mais j’avais décidé de parler de ce sujet parce qu’il devenait le
sujet de premier plan notamment à l’Education nationale, mais que cela ne
paraissait troubler personne, et en tout cas ne provoquait aucune réaction
visible.
L’idéologie du genre, l’ultime subversion.
L’ultime subversion, parce qu’elle supprime la différence des sexes, donc
qu’elle nie que l’homme ait été créé homme et femme. Une fois qu’on a nié la
nature humaine il ne reste plus rien à subvertir.
Bien sûr je ne vais pas répéter cette
conférence. Quelques mois plus tard, je consacrais une double page de mon
hebdomadaire Daoudal Hebdo à la même
subversion dans les écoles, par les livres pour enfants faisant la promotion de
l’homosexualité : J’ai deux papas
qui s’aiment
, Un mariage vraiment gai,
etc. Car ces livres ne sont pas apparus subitement en 2014. En 2009 ils se
répandaient déjà dans les écoles, sous l’impulsion notamment du principal
syndicat des instituteurs, qui proclamait à qui voulait l’entendre qu’il
fallait familiariser les enfants à l’homosexualité dès la maternelle et
déconstruire résolument tous les stéréotypes de genre.
Il faut ajouter à cela que l’on n’était pas
sous un gouvernement de gauche, mais sous la présidence de Nicolas Sarkozy,
avec des ministres UMP. Dès la rentrée 2008, le ministre de l’Education
nationale faisait de la lutte contre l’homophobie une priorité dans les écoles.
Et je soulignais dans le premier numéro de Daoudal
Hebdo
que ce ministre UMP, Xavier Darcos, annonçait une campagne
d’affichage dans les lycées pour faire la promotion de la Ligne Azur. La Ligne
Azur, qui est un lobby homosexuel spécialisé dans les jeunes adolescents,
ressemblant à d’autres lobbies du même genre, tel Couleurs gaies qui venait de
recevoir l’autorisation de faire sa propagande dans les écoles, au nom de la
lutte contre l’homophobie. La lutte contre l’homophobie étant un cache-sexe,
c’est le cas de le dire, de la propagande homosexuelle, laquelle étant
elle-même appuyée sur l’idéologie du genre. Et pour passer aux travaux
pratiques on installait deux distributeurs de préservatifs dans chaque lycée.
Un dans les toilettes des garçons, un dans les toilettes des filles, comme
l’avait exigé Act Up afin qu’il n’y ait pas de discrimination. C’était 1 – une
incitation à la débauche entre filles et garçons, 2 – une tentative de recruter
et fabriquer des homosexuels au moment où l’adolescence peut rendre l’enfant
psychologiquement fragile.
Après Xavier Darcos il y a eu Luc Chatel, qui
a mené exactement la même ignoble politique, sans que cela émeuve grand monde.
Jean-Paul II et la conférence de Pékin
Si les bons cathos, défenseurs de la vie et de
la famille, qui se dépensent sans compter aujourd’hui contre ce qu’ils
appellent la théorie du genre, avaient jeté un œil sur le Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et
les questions éthiques
, publié en 2003 par le Conseil pontifical pour la
famille, ou plutôt, disons, dans sa version française publiée par Tequi en 2005
– en 2005, il y a près de dix ans -, ils auraient pu voir qu’il y a dans ce
livre non pas une allusion au genre, mais trois grands articles. Qui disent
tout sur la question. Et l’on relève que dans la seule introduction du premier
article on trouve cinq fois le mot « idéologie » pour qualifier ce
qui est sorti des « gender studies ».
Mais l’Eglise avait dénoncé l’idéologie du
genre bien avant ce Lexique. Elle l’avait dénoncée au moment précis où cette
idéologie quittait les cercles d’intellectuels décadents pour entrer dans le
vocabulaire de l’ONU et des autres instances internationales. C’était en 1995 à
la conférence de l’ONU sur les femmes à Pékin.
L’année précédente avait eu lieu la conférence
du Caire, où le Saint-Siège avait réussi à empêcher, avec l’appui de pays catholiques
et de pays musulmans, que l’avortement soit inclus dans les soins de la
soi-disant « santé reproductive », alors que c’était la principale
proposition de la puissante délégation américaine. Il y aurait une nouvelle
offensive à Pékin, et Jean-Paul II prit ses précautions. La délégation du
Saint-Siège comporterait une majorité de femmes, 14 sur 22, et le chef de la
délégation serait aussi, pour la première fois, une femme, choisie par le pape :
une… Américaine, Mary-Ann Glendon.
L’année précédente, Jean-Paul II avait créé l’Académie
pontificale des sciences et avait nommé Mary-Ann Glendon, professeur de droit à
Harvard, membre fondateur de cette académie. Elle en deviendrait la présidente
en 2004, et elle a quitté cette fonction en avril dernier. Entre temps, elle a
été brièvement ambassadeur des Etats-Unis auprès du Saint-Siège, de février
2008 à janvier 2009, jusqu’à l’arrivée d’Obama. Et Mary-Ann Glendon défraya la
chronique en 2009, lorsqu’elle refusa de recevoir la Lætare Medal, la plus prestigieuse distinction que puisse recevoir un
laïc catholique aux Etats-Unis, décernée par l’Université Notre-Dame, dans
l’Indiana, université dont elle était docteur honoris causa. Ce devait être
lors d’une cérémonie dont le discours serait prononcé par Barack Obama, fait
lui aussi à cette occasion docteur honoris causa de cette université.
Ce que les médias ont retenu de la conférence
de Pékin, en 1995, c’est que « le Saint-Siège n’approuve absolument pas le
recours à la contraception ni l’emploi de préservatifs comme mesures de planification
de la famille ni comme moyen de lutter contre l’infection par le VIH/sida ».
Mais ce n’était qu’un élément de la longue déclaration finale de Mary-Ann
Glendon, qui reprenait tout ce qui dans le rapport final de la Conférence
n’était pas conforme à ce que prône l’Eglise pour le bien des femmes. Tout cela
en fait reprenait, plus d’une fois explicitement, ce qui avait été dit au
Caire. Mais il y avait une déclaration spéciale, ajoutée, intitulée « Statement of interpretation of the term
“gender” 
». Elle passa presque inaperçue chez nous, parce
qu’elle fut traduite ainsi en français « Déclaration interprétative du
terme sexe ». En français, le Saint-Siège disait qu’on doit prendre le
terme sexe dans son sens courant de distinction biologique. Bref, aucun intérêt.
Sauf qu’il ne s’agissait pas de sexe, mais de « gender ».
Et si l’on ne traduit pas le mot
« gender », la phrase devient :
« Le terme gender est compris par le Saint-Siège comme fondé sur l’identité
sexuelle biologique, mâle ou femelle. » Et alors, et alors seulement, on
comprend le paragraphe suivant :
« Le Saint-Siège exclut donc les
interprétations douteuses fondées sur des vues répandues dans le monde selon
lesquelles l’identité sexuelle peut être adaptée indéfiniment à des fins
nouvelles et différentes. »
Alors que le terme « gender » est
omniprésent dans le rapport final de la conférence de Pékin (souvent il est
vrai dans son acception sexuelle de genre masculin et genre féminin) il n’est jamais traduit par genre dans le texte
français. De ce fait, dans l’espace francophone, la mise au point du
Saint-Siège a été comme si elle n’existait pas, et pour découvrir que
l’idéologie du genre prenait possession des actes des conférences de l’ONU, il
fallait être déjà conscient de la chose et lire le rapport de façon extrêmement
attentive… ou le lire en anglais.
Mais le fait est que l’idéologie du genre, du gender, s’est répandue à partir de la
conférence de Pékin. Et que dès cette conférence, l’Eglise catholique avait
dénoncé ce qui se passait, et exigé que soit inclus dans le rapport final une
déclaration spécifique sur cette question.
Ce n’était pas l’année dernière, c’était il y
a presque 20 ans. Jean-Paul II, saint Jean-Paul II, oui, avait été l’homme de
la situation, le pape de la situation. Le vrai docteur chrétien, qui discerne
immédiatement la pathologie, et la nomme. Et permet à quiconque de s’en
préserver. Il est le premier, et il est alors hélas le seul, comme tous les
pionniers. Bien qu’il ait attiré l’attention, en publiant une Lettre aux familles avant la conférence
du Caire, et une Lettre aux femmes
avant la conférence de Pékin. Quand je dis qu’il était seul, c’était qu’il
était vraiment seul, en dehors de Mary-Ann Glendon. C’est elle qui, racontant
par la suite la conférence de Pékin de son point de vue, commençait par le
propos du sous-secrétaire d’Etat du Saint-Siège lors du départ de la troupe de
bonnes femmes envoyées à la Conférence : « Vous allez à Pékin comme
témoins. » Cela voulait dire : comme alibis destinés à montrer que le
Vatican ne méprise pas les femmes. Mary-Ann Glendon n’a pas vraiment le profil
d’un alibi ni d’une potiche, et ce n’était pas le rôle que lui assignait
Jean-Paul II. Mais on voit à quel point à la secrétairerie d’Etat on était à
côté de la plaque, déconnecté de la mission historique assumée par Jean-Paul
II.
129 catéchèses sur « Homme et femme il
les créa »
On peut dire que, pour quiconque sait lire, le
Saint-Siège avait radicalement mis au jour et détruit l’idéologie du genre, à
Pékin, en 1995. Mais la lucidité de Jean-Paul II sur la question ne venait pas
d’une subite inspiration. C’était la conséquence d’un travail qu’il avait
accompli longtemps avant, d’une réfutation de l’idéologie du genre qu’il avait
entreprise sans savoir que c’était de cela qu’il s’agissait, car c’était à peu
près au moment où les féministes extrémistes américaines élaboraient leur idéologie.
Il y a là une manifeste coïncidence providentielle et historique. Au moment où
des Américaines commencent de façon confidentielle à prétendre et à définir que
le genre est une construction sociale, un archevêque d’un pays situé dans
l’enceinte soviétique élabore une œuvre théologique qui va montrer que non
seulement la différenciation sexuelle n’est pas une construction sociale, mais
qu’elle est un élément clé de la création, qu’elle est même ce en quoi l’homme
est image de Dieu.
Il ne peut pas y avoir incertitude et choix de
genre, car la Genèse dit que Dieu créa l’être humain homme et femme, et cette
dualité est à l’origine de toute l’histoire humaine, sans possibilité qu’il en
soit autrement, sinon dans des rêveries morbides.
C’est en effet l’archevêque de Cracovie, Mgr
Karol Wojtyla, qui a élaboré cette réflexion théologique majeure, sans doute la
plus importante du XXe siècle, la plus cruciale en tout cas pour le XXIe
siècle, et qui l’a ensuite distillée, une fois devenu pape, au gré de ses audiences
du mercredi, entre 1979 et 1984. On n’y fit guère attention, alors que tout de
même un ensemble de 129 catéchèses sur le même sujet (on s’est aperçu ensuite
qu’il en avait préparé 135) aurait dû au moins intriguer. Mises bout à bout, ça
faisait quand même plus de 40 heures d’enseignement.
Il est vrai que, certains mercredis, les
braves pèlerins de la place Saint-Pierre ne devaient même pas comprendre de
quoi parlait le pape, quand il était au milieu d’un chapitre, et d’un des
chapitres les plus ardus. Car il est vrai que le texte est difficile, surtout
au début. On sent encore le professeur de philosophie qu’a été Karol Wojtyla.
Il faut vraiment s’accrocher. Peu à peu cela s’arrange, parce que, en slave
qu’il était, il procédait de façon circulaire, revenant sans cesse sur le même
thème tant qu’il n’en avait pas épuisé les potentialités. Si bien qu’il ne faut
pas s’inquiéter de ne pas tout comprendre la première fois : il va
revenir, et revenir encore sur le sujet, et l’on va finir par comprendre. Et cela
vaut vraiment le coup. D’autant que la réflexion est tellement fondamentale
qu’elle s’applique à tous les aspects de la question, par exemple elle donne
aussi la réponse, sans qu’il soit même besoin de la formuler, à la
revendication obsessionnelle des divorcés remariés, ou faite en leur nom…
Le titre du manuscrit en polonais était Homme et femme il les créa. C’est sous
ce titre que parut la première édition française, en 2004. Une édition qui
reprenait la traduction des catéchèses donnée par le Vatican, et qui était
souvent fautive. Cette année vient de paraître une nouvelle édition, qui a
quant à elle toutes les caractéristiques de l’édition scientifique. La
traduction a été refaite, il y a plusieurs index, et une excellente
introduction d’une centaine de pages par le maître d’œuvre Yves Semen. Le titre
est cette fois « La théologie du
corps 
». Ce qui est dommage, car Homme
et femme il les créa
est vraiment le cœur du livre, et Jean-Paul II a
souligné à la fin des catéchèses que son travail n’était pas une théologie du
corps, mais apportait des éléments pour une théologie du corps encore à
construire.
Le point de départ, c’est la discussion sur le
divorce, entre Jésus et des pharisiens. Les pharisiens demandent à Jésus s’il
est permis de répudier sa femme, et Jésus répond : « N’avez-vous pas
lu que le Créateur, dès l’origine, les créa homme et femme et qu’il a
dit : Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère et s’unira à sa
femme, et les deux seront une seule chair ? Eh bien, ce que Dieu a uni,
l’homme ne doit point le séparer. » Et comme les pharisiens invoquent
Moïse, il leur répond que Moïse avait permis la répudiation à cause de leur
dureté de cœur, mais qu’il n’en était pas ainsi à l’origine.
Jésus, souligne Jean-Paul II, renvoie deux fois à l’origine. Il insiste. Et il cite presque intégralement le texte de
la Genèse sur l’union de l’homme et de la femme. En outre, il en précise le
sens. Car on pourrait penser que la Genèse se contente de décrire une situation,
de donner une information : l’homme quittera son père et sa mère et
s’unira à sa femme, voilà, c’est ce qui va se passer. Mais Jésus cite cette
phrase pour répondre aux pharisiens : ce n’est pas une description, c’est
la loi de l’indissolubilité du mariage. Car il ajoute : « Ainsi ils
ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien, ce que Dieu a uni, que
l’homme ne le sépare pas. » Et si ces paroles établissent l’indissolubilité
du mariage, elles établissent d’abord le mariage, le mariage indissoluble entre
un homme et une femme, sous le regard de Dieu dans le jardin de
l’origine : Dieu qui a uni l’homme et la femme, donc le sacrement de
mariage.
A l’origine, dit Jésus. Ap’arkhi, en grec, ab initio
en latin. Dans le jardin de l’origine. « Avant » le péché originel.
Jean-Paul II a une remarquable expression, ou plutôt deux expressions, qui
reviennent souvent. Cet état avant la chute originelle, cet état d’innocence
originelle, il l’appelle la « préhistoire théologique » de l’homme.
Et après la chute, c’est « l’état historique » de l’homme, héritier
du péché originel, c’est le statut de « l’homme historique »,
pécheur.
Préhistoire, parce que précisément il ne
s’agit pas de l’homme historique, mais de l’homme de l’origine. Préhistoire
théologique, parce qu’elle n’est pas située dans le temps de l’histoire, mais
dans l’origine, et que son fondement est théologique, et non historique.
De ce fait, tout homme, de toute époque, tout
homme pécheur, a sa préhistoire théologique, a cette préhistoire théologique-.
Jean-Paul II insiste : « en tout homme, sans aucune exception, cet
état – l’état “historique” – enfonce ses racines dans sa propre
“préhistoire” théologique, qui est l’état de l’innocence
originelle. »
Cela me fait penser à la phrase célèbre de
l’épître aux Hébreux, où l’espérance est vue comme une ancre de l’âme,
« sûre et solide » que l’on jette au-delà du voile, là où est entré
Jésus avant nous.
Ici, l’ancre est ce recours à l’innocence
originelle, par delà le voile de la chute, comme la source de la pure doctrine.
Doctrine de quoi ? De l’indissolubilité du mariage ? Oui, mais aussi
du mariage lui-même, et du sacrement de mariage. Mais cela va plus loin encore.
On remarque que selon Jésus le commandement
divin de l’indissolubilité du mariage dans l’état d’innocence garde toute sa
force dans l’état historique, pécheur, de l’homme. Bien que l’innocence
originelle et la peccabilité héréditaire soient « deux états
diamétralement opposés », comme le souligne Jean-Paul II, le commandement
demeure. Parce qu’il exprime l’ultime réalité de l’homme. De l’homme et de la
femme. Dans le don mutuel de leurs corps. « Celle-ci est l’os de mes os et
la chair de ma chair », s’écrie Adam lorsque Dieu lui présente Eve. Telle
est l’union de l’homme et de la femme. Union des corps qui est don de la
personne. Union entre le sexe masculin et le sexe féminin. La fonction du sexe,
dit Jean-Paul II, est en un certain sens « constitutive de la personne »,
et pas seulement un attribut de la personne. Jean-Paul II ira jusqu’à dire que
« le sexe ne décide pas seulement de l’individualité somatique de l’homme,
il définit en même temps son identité personnelle et sa réalité concrète ».
Il est difficile de détruire plus radicalement l’idéologie du genre. C’est en
effet l’union de deux corps sexués, de l’homme et de la femme, qui permet
l’union des personnes, qui est l’expression première de la « communio personarum » dont parle le
Concile Vatican II (Gaudium et spes 12, 4), dans une de ces phrases qui
viennent sans doute d’un amendement de l’archevêque de Cracovie.
Il en résulte une étonnante conséquence en ce
qui concerne l’explication de l’homme créé à l’image de Dieu. Car Dieu est une
communion de Personnes divines. L’homme est donc à l’image de Dieu parce qu’il
est, homme et femme, communion de personnes par l’union des corps qui fait
d’eux une seule chair. Ce qui est bien dans la logique de la religion de
l’incarnation.
L’homme ne devient pas tant image de Dieu au
moment de la création quand Adam est créé seul, qu’au moment de la communion
des deux premières personnes, homme et femme. De leur communion qui est leur
union en « une seule chair ».
On peut ici citer une phrase de Gaudium et Spes qui revient sans cesse
dans l’enseignement de Jean-Paul II, dans tout son enseignement, et dont il est
manifestement l’auteur : « quand le Seigneur Jésus prie le Père pour
que tous soient un… comme nous nous sommes un (Jn 17, 21-22), il ouvre des
perspectives inaccessibles à la raison et il nous suggère qu’il y a une
certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de
Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que
l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut
pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. » (Cette
dernière phrase se trouve dans un nombre considérable d’homélies et de textes
de Jean-Paul II : « L’homme, seule créature sur terre que Dieu a
voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don
désintéressé de lui-même. »
L’union d’Adam et Eve se fait dans la vérité
et dans l’amour, d’une façon qui ne nous est plus accessible dans l’histoire de
l’homme pécheur. La Genèse souligne qu’ils étaient nus et qu’ils n’en avaient
pas honte. Parce qu’il n’y avait pas de rupture ni d’opposition, en eux, entre
le spirituel et le sensible. Il y avait une unité parfaite, dit Jean-Paul II,
« entre ce qui constitue humainement la personne et ce qui dans l’homme
est déterminé par le sexe, c’est-à-dire ce qui est masculin et ce qui est
féminin ».
« En se voyant et en se connaissant dans
toute la paix et la tranquillité du regard intérieur, explique Jean-Paul II,
ils “communiquent” dans toute la plénitude de l’humanité qui se manifeste en
eux comme une complémentarité réciproque précisément parce qu’ils sont “mâle”
et “femelle”. En même temps, ils “communiquent” sur la base de cette communion
des personnes dans laquelle, à travers la féminité et la masculinité, ils
deviennent un don mutuel l’un pour l’autre. »
Ils découvrent ainsi, en la mettant en
pratique, la signification « sponsale » du corps, une signification
qui « naît pour ainsi dire du cœur même de leur
communauté-communion ».
Nous avons ici les thèmes importants dont
Jean-Paul II va longuement parler : le don réciproque des personnes, et le
caractère sponsal du corps. En les énumérant ensemble, on voit bien qu’il
s’agit du mariage, de la définition du mariage, dans sa pureté originelle.
La communion des personnes est en fait un don
réciproque, un don total et permanent, celui qui consiste à ne pas vivre pour
soi mais à vivre pour l’autre.
C’est ce qui distingue radicalement l’homme
des animaux. Chez les animaux aussi, il y union des corps, et comme chez
l’homme et la femme il y a une fécondité de l’union des corps. Mais chez
l’animal il n’y a pas la liberté consciente du don réciproque, et il n’y a pas
de lien sponsal. Jean-Paul II écrit : « Le corps humain, avec son
sexe, sa masculinité et sa féminité, vu dans le mystère même de la création,
est non seulement source de fécondité et de procréation comme dans tout l’ordre
naturel, mais contient depuis “l’origine” l’attribut
“sponsal”, c’est-à-dire la
faculté d’exprimer l’amour : précisément cet amour dans lequel l’homme-personne
devient don
et – par le moyen de ce don – accomplit le sens même de son
essence et son existence. »
Alors on comprend mieux encore l’homme à
l’image de Dieu : la communion des personnes humaines est l’image de la
communion des personnes divines, où chaque personne se définit par sa relation
avec les deux autres, relation d’amour pour et avec les deux autres.
Dans notre monde d’après la chute, nous ne
pouvons pas comprendre réellement ce qu’est cette union sponsale de deux
personnes en « une seule chair », la chair d’avant le péché, qui
n’est pas alourdie par la « tunique de peau » dont parle la Genèse,
qui n’est pas cette chair opaque et corruptible de l’histoire du péché.
Néanmoins, malgré la chute, nous sommes toujours à l’image de Dieu, et si le
Christ lui-même fait référence à l’origine, c’est que ce qui se passait à
l’origine est toujours à la racine de notre existence dans l’histoire, et que
nous devons nous efforcer de vivre autant que possible selon le modèle de
l’origine, avec le secours de la grâce. Car Jésus est venu nous rétablir, d’une
certaine façon, par son Sacrifice, par les sacrements, par l’Eglise, dans le
monde de l’origine. Τὴν ἀρχὴν, Principium :
Je Suis le Principe, Je Suis l’Origine. Je suis la Voie, la Vérité et la Vie.
La vraie vie, celle qui n’est pas abîmée par le péché.
La communion défigurée par la concupiscence
Jean-Paul II commente une autre phrase de
Jésus aux pharisiens : « Quiconque regarde une femme pour la désirer
a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. »
C’est le problème de la concupiscence, qui
n’existe pas à l’origine, car le regard de l’homme et de la femme est forcément
pur : ils étaient nus et n’en avaient pas honte. Mais après avoir mangé du
fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, Adam se cache, parce
qu’il est nu. « J’ai eu peur parce que je suis nu », dit-il à Dieu.
Jean-Paul II commente : « Ces paroles révèlent une certaine fracture
constitutive dans l’intérieur de la personne humaine, une rupture pour ainsi dire de l’unité spirituelle et somatique
originelle de l’homme
. Il se rend compte pour la première fois que son
corps a cessé de s’approcher de la force de l’Esprit qui l’élevait au niveau de
l’image de Dieu. »
A partir de là, le corps n’est plus
l’expression de l’esprit, il ne se situe plus dans le mystère de la communion
des personnes  à l’image de Dieu : l’homme
a tout à coup conscience d’avoir un
corps, et d’être confronté à d’autres personnes qui ont un corps, alors que
jusque-là il était son corps.
Dans cette expression « il était son
corps » il y a sans doute un écho des études philosophiques de Karol
Wojtyla, de la distinction entre Leib
et Körper chez Husserl à qui il avait
consacré une thèse, entre corps-sujet et corps-objet chez Gabriel Marcel. Les
deux distinctions se recoupent largement. Leib
est le corps vivant, Körper le corps
physiologique (toutes les traductions allemandes des paroles de la consécration
disent « Das ist mein Leib »),
Leib est chez Husserl le corps vécu
de l’intérieur, le corps-sujet dit en français Gabriel Marcel, Körper est le corps dans son extériorité
objective, le corps-objet. Le premier est donc le corps que l’on est, le second
est le corps que l’on a. Mais, ici, dans la pensée de Jean-Paul II, cela va
beaucoup plus loin que des distinctions phénoménologiques, dont on sait
qu’elles ont été fécondes sur le plan de la psychiatrie. Mais il ne s’agit pas
de psychologie ici, il s’agit du mystère de l’être, et du mystère de la chute.
Cette rupture de l’unité constitutive de
l’homme est aussi, évidemment, une rupture entre l’homme et Dieu, et aussi une
rupture dans le rapport entre l’homme et la femme. Tout ce qui était union et
communion est rompu. Le rapport entre l’homme et la femme n’est plus l’union
sponsale du don réciproque, mais la convoitise de la concupiscence. « Le
rapport de don se transforme en rapport d’appropriation. »
Mais ici chacun voit que le mystère de
l’origine n’a pas complètement disparu dans le monde de la concupiscence. En
l’homme, l’héritage de l’origine, dit Jean-Paul II, est « un héritage de
son cœur, plus profond que l’état de péché dont il a hérité ». Les paroles
du Christ réactivent cet héritage et lui redonnent toute sa force.
Malgré la rupture de la chute originelle,
soulignée par le chérubin et son épée de feu à double tranchant qui interdit
l’accès du paradis, il reste un lien entre la préhistoire théologique et l’état
historique de l’homme. Ce qui reste du monde d’avant la chute, ce qui nous
relie toujours à notre préhistoire théologique, c’est le mariage, c’est l’union
intime de deux personnes par l’union des corps qui ne font plus qu’une seule
chair, c’est la communion des personnes, qui demeure parce qu’elle est l’image
de la communion des personnes divines. Même si cette communion est abîmée par
le péché, défigurée par la concupiscence, quiconque a aimé quelqu’un comprend
qu’elle subsiste quelque part dans les cœurs.
Le corps glorieux
En
attendant la rédemption du corps
. Cette expression de
« rédemption du corps », que Jean-Paul II utilise beaucoup, peut
paraître curieuse. Mais elle n’est pas de Karol Wojtyla, elle est de saint
Paul, dans l’épître aux Romains : « La créature aussi sera elle-même
délivrée de cet asservissement à la corruption, pour participer à la glorieuse
liberté des enfants de Dieu. Car nous savons que toute créature gémit et est
dans le travail de l’enfantement jusqu’à cette heure. Et non seulement elle,
mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous gémissons
en nous-mêmes, attendant l’adoption des enfants de Dieu, la rédemption de notre
corps. »
La rédemption du corps, qui nous est obtenue
par la crucifixion et la résurrection du corps du Christ, rétablira le corps
dans la communion avec Dieu, « dans la plénitude de la perfection propre à
l’image et ressemblance de Dieu », lors de notre résurrection.
D’où le commentaire que fait Jean-Paul II
d’une troisième phrase de Jésus, en réponse cette fois à des saducéens :
« A la résurrection on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les
anges dans le ciel. »
On ne prend ni femme ni mari parce que, à la
résurrection, on vit dans la communion avec Dieu, on vit, dit Jean-Paul II,
« l’expérience béatifique du don de soi de la part de Dieu, une expérience
absolument supérieure à toute expérience propre à la vie terrestre ».
Au don de Dieu répond le don de l’homme, don béatifique
de tout l’être donc du corps glorieux tout imprégné de son esprit, corps
désormais virginal, d’une virginité qui, dit Jean-Paul II, « se manifestera
pleinement comme accomplissement eschatologique de la signification “sponsale”
du corps, comme le signe spécifique et l’expression authentique de la
subjectivité personnelle tout entière. Ainsi donc, cette situation
eschatologique dans laquelle « ils ne prendront ni femme ni mari » se
fonde solidement sur l’état futur du sujet personnel quand, suite à la vision
de Dieu « face à face », naîtra en lui un amour d’une telle profondeur et d’une telle force de concentration
sur Dieu lui-même qu’il absorbera complètement sa subjectivité psychosomatique
tout entière
. » Fin de citation.
Dès cette terre, la vocation religieuse
virginale et le célibat sacerdotal, le don à Dieu de la virginité, de la
continence, sont une façon prophétique de témoigner de l’amour eschatologique.
C’est pourquoi Jean-Paul II jusqu’à ce point de son étude a toujours parlé
d’amour sponsal, et non d’amour conjugal, alors qu’il parlait
essentiellement de l’amour d’Adam et Eve, qui est bel et bien un amour
conjugal, le premier et primordial amour conjugal. L’amour sponsal, qui est don
réciproque, est l’amour entre l’homme et la femme, époux et épouse, mais c’est
aussi l’amour entre une personne humaine et Dieu. Le premier est l’amour conjugal.
Le second est et restera dans l’éternité amour sponsal, l’union entre Dieu et
une personne humaine qui, dans l’éternité, deviendra absolu, et sera l’union de
Dieu avec tous les hommes sauvés. Quiconque a lu des dialogues entre des
religieuses mystiques et le Christ voit clairement ce qu’est cet amour sponsal,
qui prend souvent le vocabulaire et les images de l’amour conjugal. Mais tout
homme y est appelé. Chacun d’entre nous, homme ou femme, est appelé à être fils
de Dieu dans le Fils, et à être épouse du Verbe. Tout homme est appelé à être
l’épouse du Cantique des cantiques. Je renvoie au sublime commentaire de saint
Bernard, et d’abord à celui d’Origène, et j’en profite, en passant très vite,
pour vous dire que l’on peut faire l’impasse sur le développement de Jean-Paul
II sur le Cantique des cantiques, qui est décevant.
Bref, l’amour sponsal s’exprime par le don
total de soi. Ce qui se produit dans l’amour conjugal authentique, et dans
l’amour qui est don de soi à l’unique Epoux divin. Et ce sont deux modes
d’expression de la « signification sponsale du corps qui est inscrite
depuis l’origine dans la structure personnelle même de l’homme et de la
femme », souligne Jean-Paul II. Le don de soi par le vœu de virginité ou
de célibat est une authentique manifestation d’amour sponsal engageant tout
l’être et donc aussi le corps. Cette forme sera la seule forme d’amour sponsal
après la résurrection des corps, comme le soulignait Jésus en disant que
« à la résurrection on ne prend ni femme ni mari ».
Le mariage, « sacrement primordial »
L’analogie que tisse saint Paul, dans le
chapitre 5 de l’épître aux Ephésiens, entre le mariage humain et l’union du
Christ et de l’Eglise, vaut autant pour la théologie du mariage que pour la
théologie de la virginité et du célibat. Car si le mariage est comme l’union du
Christ et de l’Eglise son épouse, force est de constater que ce modèle du
mariage, l’union du Christ et de l’Eglise, est celui de la continence et de la
virginité.
C’est ce texte que va alors étudier Jean-Paul
II. Car « à la base de la compréhension du mariage dans son essence même,
dit-il, se trouvent les relations sponsales du Christ avec l’Eglise ». Le
mariage dans son essence même, c’est-à-dire le mariage à l’origine, dans
l’origine, en rapport avec l’union du Christ et de l’Eglise. On remarquera que
dans ce texte saint Paul insiste lui-même sur ce point en citant à son tour le
texte de la Genèse cité par le Christ dans la première parole commentée par
Jean-Paul II ; « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère
et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. »
« Vous, maris, aimez vos femmes, comme le
Christ aussi a aimé l’Eglise, et s’est livré lui-même pour elle. » S’est
livré, en grec, parédoken, en latin tradidit. En grec comme en latin, le
verbe utilisé veut dire littéralement donner
à un autre
. Le Christ s’est donné à l’Eglise par son sacrifice. Il s’est
donné entièrement, dans son amour rédempteur, qui devient un amour sponsal. L’Epoux
divin s’est donné à l’Epouse, souligne Jean-Paul II, « comme le mari à la
femme, se donnant à travers tout ce qui est inclus une fois pour toutes dans
cet acte de “se donner lui-même” pour l’Eglise ». Le Christ devient une
seule chair avec l’Eglise, au point que l’Eglise devient son propre corps.
C’est cette union qui fait la sacramentalité
de l’Eglise, soulignée par Lumen gentium.
L’Eglise peut conférer des sacrements parce qu’elle est l’Epouse de l’Epoux. Or
cette union, montre saint Paul, renvoie à l’union du premier homme et de la
première femme, à l’origine. On peut donc dire, en conclut Jean-Paul II, que
« le signe visible du mariage à l’origine, en tant que lié au signe
visible du Christ et de l’Eglise au sommet de l’économie salvatrice de Dieu,
transpose l’éternel plan d’amour dans la dimension “historique” et en fait le
fondement de tout l’ordre sacramentel ».
Ceci renverse la conception que l’on se fait
habituellement du sacrement de mariage. Dans les traités de théologie et dans
les catéchismes, le mariage est le dernier sacrement. Pour beaucoup d’auteurs,
surtout dans les dérives plus ou moins jansénistes des Eglises d’Occident, ce
n’est un sacrement que dans la mesure où il permet à un homme et à une femme
d’avoir des relations sexuelles sans pécher, c’est une sorte de voile pudique qu’on
jette sur les rapports sexuels parce qu’on ne peut pas contraindre tout le
monde à la continence et parce qu’il faut bien légitimer la procréation.
Jean-Paul II montre que ce n’est pas cela du
tout. Bien au contraire, le mariage est le premier sacrement. Le premier, parce
que c’est le seul sacrement de l’origine. Le seul sacrement que reçoivent Adam
et Eve, que se donnent à eux-mêmes Adam et Eve.
Premier sacrement, et seul sacrement d’avant
la chute, il est le « sacrement primordial ». Il est, dit Jean-Paul
II, « la figure suivant laquelle s’édifie la structure portante
fondamentale de la nouvelle économie du salut et de l’ordre sacramentel qui
provient de la gratification sponsale que l’Eglise reçoit du Christ avec tous
les biens de la rédemption ».
Le mariage est donc en quelque sorte le
« prototype » des sacrements. C’est pourquoi dans sa réponse aux
pharisiens Jésus renvoie à ce qui se passait « à l’origine ». Et
c’est pourquoi « ce mystère est grand », dit saint Paul, à cause de
l’union du Christ et de l’Eglise, union qui constitue la sacramentalité de
l’Eglise. Jean-Paul II insiste : « A bien réfléchir sur cette
dimension, il faudrait conclure que tous les sacrements de la Nouvelle Alliance
trouvent en un certain sens leur prototype dans le mariage en tant que
sacrement primordial. »
Vers le début de ses catéchèses, dans la 19e,
Jean-Paul II avait donné une belle définition du sacrement primordial : un
« signe qui transmet efficacement dans le monde visible le mystère
invisible caché en Dieu de toute éternité ».
Dans l’épître aux Ephésiens, le mariage comme
sacrement est d’une part présupposé, d’autre part redécouvert. « Il est
présupposé comme sacrement de l’“origine” humaine, uni au mystère de la
création. Et il est redécouvert comme fruit de l’amour sponsal du Christ et de
l’Eglise, lié au mystère de la rédemption. »
Jean-Paul II va alors reprendre ce qu’il
disait de l’union du premier homme et de la première femme, revue à la lumière
de l’épître aux Ephésiens, pour dire : « Dans l’alliance
sacramentelle de la masculinité et de la féminité, la “chair” elle-même devient
le “substrat” spécifique d’une communion durable et indissoluble des personnes
(communio personarum), d’une manière
digne des personnes. »
Au fond, c’est bien aussi de cela qu’il est
question dans l’union sponsale du Christ avec la religieuse, le religieux, le
prêtre, mais aussi tout chrétien, comme on le voit dans l’eucharistie :
c’est bien sa chair que le Christ nous donne à manger, et c’est bien par sa
chair unie à ma chair que peut avoir lieu ce que certains ont appelé le mariage
mystique.
Pour mieux comprendre Humanæ Vitæ
Les dernières catéchèses avant la conclusion,
118 à 132, qui forment le dernier chapitre du livre, sont un commentaire de
l’encyclique Humanæ Vitæ. Car c’est
là que Jean-Paul II voulait en venir, in fine. A légitimer l’encyclique qui a
été presque universellement rejetée, puis ignorée. Mais il ne le fait qu’après
avoir étudié, sur 400 pages, les fondements théologiques du mariage. Après
avoir établi que le mariage est le sacrement primordial, et non un sacrement de
seconde zone. Après avoir montré que le mystère du mariage nous renvoie à
l’origine, et que l’union des corps est expression de l’union des personnes, et
que cette union est ce en quoi l’homme est créé à l’image de Dieu. Et après
avoir défini ce qu’est l’amour sponsal, amour conjugal chez le mari et la
femme, amour spirituel chez le religieux mais aussi chez tout chrétien qui fait
partie de l’Epouse du Christ.
Dès le début si l’on peut dire, dans sa 22e
catéchèse, Jean-Paul II avait brièvement mais solennellement commenté la phrase
de la Genèse : « Adam connut Eve, sa femme, qui conçut et
enfanta. » Il explique et il souligne : « C’est précisément là le seuil de l’histoire de l’homme. C’est son
“origine” sur la terre. Sur ce
seuil l’être humain se tient, comme homme et femme, avec la conscience de la
signification procréatrice de son propre corps: la masculinité cache en elle la
signification de la paternité, la féminité celle de la maternité.
 »
Le seuil, effectivement. « Adam connut
Eve, sa femme, qui conçut et enfanta » : c’est le premier verset du
chapitre 4 de la Genèse. Celui qui suit immédiatement la sortie du paradis de
l’origine. Le seuil de l’histoire de l’homme est la procréation, parce que Eve
est la mère des vivants, comme l’avait appelée Adam. Mère des vivants dans la
souffrance, à cause du péché, mais elle est aussi la mère qui annonce l’autre
mère, la mère immaculée qui donnera naissance au Fils de Dieu, et mère de
l’Eglise immaculée qui procréera la multitude des enfants de Dieu par le
sacrement de baptême, enfants qui ont d’abord été procréés, si l’on peut dire,
par le sacrement de mariage.
L’union de l’homme et de la femme est donc
inséparable, depuis l’origine, de la procréation. Parce que l’amour est
toujours créateur. L’homme procréateur dans l’amour est à l’image du Dieu
d’amour créateur.
Humanæ
vitæ
rappelle (citation) « le lien indissoluble,
que Dieu a voulu et que l’homme ne peut rompre de son initiative, entre les
deux significations de l’acte conjugal: union et procréation ». Les deux
significations de l’acte conjugal, reprend Jean-Paul II : « la
signification unitive et la signification procréatrice ». Il n’est pas
licite de les séparer artificiellement, parce que, dit Jean-Paul II,
« l’une et l’autre appartiennent à la vérité intime de l’acte
conjugal : l’une se réalise en même temps que l’autre et, en un certain
sens, à travers l’autre. Par conséquent, dans ces conditions, quand l’acte
conjugal est privé de sa vérité intérieure parce que privé artificiellement de
sa capacité procréatrice, il cesse aussi d’être un acte d’amour. »
Mais l’encyclique se fonde seulement sur la
loi naturelle. Ce qui est juste, assurément. Mais si l’on considère
l’encyclique à la suite de tout ce que Jean-Paul II vient de dire, on voit que
l’horizon est tout autre, autrement plus profond, plus existentiel aussi, plus
ancré dans le cœur de l’homme, dans son origine, que le froid rappel de la loi
naturelle. En bref, si Jean-Paul II avait écrit Humanæ vitæ, l’encyclique
aurait également été rejetée, mais d’une autre manière, car il aurait fallu
aller au niveau où se situe ce pape pour en contester les fondements
doctrinaux. Ou battre prudemment en retraite et accompagner le rejet d’un
certain respect devant la puissance théologique du discours, ce qui incite les
gens sérieux à aller y voir de plus près. Cette attitude, on l’a vue précisément
avec les encycliques de Jean-Paul II Veritatis splendor et Evangelium vitæ. Des
encycliques où l’on ne retrouve pas les catéchèses sur la théologie du corps,
mais qui en sont intimement nourries. Avec saint Jean-Paul II on a ainsi, pour
la première fois dans l’histoire, un pape théologien qui délivre son magistère
officiel par ses encycliques, après avoir livré, à part, et d’une façon
beaucoup moins solennelle, la réflexion théologique qui sous-tend son
magistère. De façon quasiment invisible, car personne, en dehors de Marcel
Clément, le directeur de L’Homme Nouveau,
n’avait d’abord vraiment fait attention à ces catéchèses. De même que c’est de
façon quasiment invisible que Jean-Paul II avait envoyé Mary-Ann Glendon à Pékin
pour rejeter l’idéologie du genre, alors que personne n’y prêtait encore
attention.

[N.B. Les soulignés, c’est-à-dire les mots en italiques, dans les
citations de Jean-Paul II, sont du pape.]
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