Libérer
l’argent
de l’inflation
et des taux
d’intérêts.



L’argent est à l’économie ce que l’eau ou le sang est à l’être humain.


par + MARGRIT KENNEDY +

http://base.socioeco.org/docs/bue_fra_libererlargent.pdf


Créer un moyen d’échange que tout le monde
puisse utiliser et qui protège la Terre



 Copyright © 1990 by Permakultur Publikationen, Steyerberg
der überarbeiteten und erweiterten Ausgabe 1994



Libérer l’ argent de l’inflation et des taux d’intérêts

Copyright © 1996 Éditions Vivez Soleil SA
À télécharger : PDF (16 Mio)

http://desiebenthal.blogspot.ch/2011/10/lettre-mon-cure-sur-la-creation.html


Résumé :

Ce livre étudie le fonctionnement de l’argent. Il expose les raisons des changements incessants qui affectent l’une de nos plus importantes unités de mesure. Il explique non seulement pourquoi l’argent « fait tourner le monde » mais aussi pourquoi, en même temps, il le ruine. L’énorme dette accumulée par les pays du Tiers Monde, le chômage, la dégradation de l’environnement, la course aux armements et la prolifération des centrales nucléaires, tous ces facteurs sont liés à un mécanisme qui permet à l’argent de circuler :
les intérêts et les intérêts composés. Ceux-ci, selon l’historien de l’économie John L. King, constituent dans ce que l’on appelle les « économies de marché » une « machinerie de destruction invisible ».
La transformation de ce mécanisme en un moyen plus adapté au maintien de l’argent en circulation n’est pas aussi difficile que cela peut paraître. Bien que les solutions avancées dans ce livre soient connues de certains depuis le début du siècle, la façon et le moment où elles sont présentées offrent une occasion exceptionnelle de les mettre en oeuvre.
Le but de ce livre n’est pas de prouver que quiconque ait tort. Il est de remettre les choses en ordre et de révéler une possibilité dont nous disposons, mais qui est très peu connue des experts, sans parler du grand public. Pourtant, le choix est bien trop crucial pour qu’on laisse les seuls experts décider s’il faut l’envisager ou non. Dans ces conditions, l’importance de ce livre réside dans sa capacité à expliquer des problèmes complexes aussi simplement que possible, afin que tous ceux qui utilisent l’argent puissent comprendre ce qui est en jeu. Une autre différence importante avec d’autres livres ayant abordé cette question dans le passé est
qu’il montre comment, à l’heure actuelle, le fait de passer à un nouveau système monétaire créerait une situation ne présentant que des avantages pour tout le monde et contribuerait à établir, au bout du compte, une économie rationalisée.



https://books.google.ch/books?id=vyKF49mDLz4C&pg=PA1&lpg=PA1&dq=Lib%C3%A9rer+l%27argent+de+l%27inflation+et+des+taux+d%27int%C3%A9r%C3%AAts&source=bl&ots=tb7GMZXgYQ&sig=GXtvfYF7aMhu4eFGArIzUZGTGy8&hl=fr&sa=X&ved=0CDAQ6AEwA2oVChMImJnJtIb8xgIVDO0UCh0OLwf_#v=onepage&q=Lib%C3%A9rer%20l’argent%20de%20l’inflation%20et%20des%20taux%20d’int%C3%A9r%C3%AAts&f=false


www.geldreform.de



Une économie de marché sans capitalisme

Résumé des idées fondamentales, de l’origine historique des idées et du niveau de développement actuel; informations sur certaines organisations et exemples de littérature complémentaire.

Werner Onken

L’argent domine le marché
En 1891, le marchand germano-argentin Silvio Gesell (1862, St. Vith, 1930, Eden-Oranienburg) publia sa première brochure à Buenos Aires, «Die Reformation im Münzwesen als Brücke zum sozialen Staat» («La réforme monétaire comme voie vers un état social»). Cette brochure fut la première pierre d’une œuvre volumineuse sur les origines de la question sociale et les voies qui pourraient mener vers une solution. Ses expériences pratiques accumulées pendant une crise économique en Argentine menèrent Gesell à un point de vue opposé au marxisme: l’exploitation du travail humain n’a pas ses racines dans la propriété privée des moyens de production, mais plutôt dans les erreurs structurelles du système monétaire. Tout comme le philosophe antique Aristoteles, il reconnaissait les deux rôles contradictoires de l’argent: tout d’abord, un moyen d’échange permettant le marché, et en même temps, un moyen de dominer le marché.
La question de départ de Gesell était la suivante: comment peut-on atténuer ce pouvoir dominant de l’argent sur le marché tout en le conservant comme moyen d’échange neutre? Il donnait deux raisons au pouvoir de l’argent sur le marché: premièrement, l’argent utilisé habituellement comme moyen de demande est cumulable, contrairement au travail humain ou aux biens et services du côté de l’offre de l’économie; sans graves conséquences pour son possesseur, l’argent peut être retiré temporairement du marché pour des raisons spéculatives. Deuxièmement, l’argent a l’avantage d’être beaucoup plus flexible que les marchandises ou prestations de services; il est utilisable à tout moment et partout, comme un joker dans un jeu de cartes. Ces deux caractéristiques donnent à l’argent – ou plutôt aux personnes à la tête de grosses fortunes – un privilège spécial: ils peuvent interrompre les circuits d’achats et de ventes, d’épargne et d’investissement, ou bien demander des intérêts aux producteurs ou consommateurs comme prime spéciale car ils renoncent à la thésaurisation, c’est-à-dire à la détention non productive d’argent dans une caisse ou par placement à court-terme, et remettent l’argent dans le circuit économique.
Le pouvoir intrinsèque de l’argent n’est pas seulement dû à la thésaurisation réelle, mais plutôt à sa capacité de pouvoir interrompre le circuit pour lier le métabolisme économique dans l’organisme social, à la condition qu’un intérêt y soit d’abord appliqué.
La rentabilité passe avant le placement à intérêts, et la production est davantage dirigée vers les intérêts que vers les besoins des personnes. Des taux d’intérêts positifs durables gênent la balance des pertes et profits nécessaires pour l’autorégulation décentralisée des marchés. D’après Gesell, ils mènent à un malaise de l’organisme social avec des symptômes très complexes : l’argent, qui rapporte des intérêts et est par conséquent non-neutre, cause une distribution de revenus injuste, non basée sur le travail, qui pour sa part mène à une concentration du capital monétaire et du capital en biens, ce qui entraîne la monopolisation de l’économie. Comme les possesseurs d’argent sont maîtres du mouvement ou de l’immobilité de l’argent, celui-ci ne peut pas circuler de lui-même à travers l’organisme social, comme le sang dans le corps humain. Pour cette raison, le contrôle social de la circulation monétaire ainsi que le dosage correct de l’argent ne sont pas possibles; les fluctuations inflationnistes et déflationnistes du niveau général des prix sont inévitables. Et quand, pendant les hauts et les bas de la conjoncture, là où le niveau des intérêts se réduit, des sommes importantes se retirent des marchés jusqu’à ce que les chances de pouvoir réaliser des investissements s’améliorent, les ventes et le chômage s’en ressentent immédiatement.
L’argent, serviteur neutre des marchés
Pour retirer à l’argent son pouvoir dominant, Gesell ne pensait pas refaire appel à l’interdiction canonique des intérêts de la scolastique médiévale ou même à l’élimination de soi-disant «usuriers juifs». Il imaginait plutôt un changement institutionnel du système monétaire, de manière à ce que la thésaurisation de l’argent soit reliée aux coûts, qui neutraliseraient les avantages de la thésaurisation et de la liquidité. Dès la perception d’une taxe sur la thésaurisation de l’argent (comparable avec le hallage pour le transport de marchandises), l’argent perd sa supériorité sur les marchés et sa seule utilité reste le moyen d’échange. Dès que sa circulation ne peut plus être entravée par des manœuvres spéculatives, il devient possible d’adapter, de façon continue, la somme de l’argent en circulation au volume des marchandises, de manière à ce que le pouvoir d’achat de la monnaie devienne, sur le long terme, aussi stable que les poids et mesures.
Dans ses premières œuvres, Gesell parlait expressément des «billets qui rouillaient» comme moyen pour instaurer une «réforme organique» du système monétaire. L’argent, qui était jusqu’à présent un «corps étranger mort» dans 1′ organisme social ainsi que dans la nature entière, était ainsi intégré dans le cycle éternel de vie et de mort; en même temps, il devenait éphémère et perdait sa capacité à se multiplier à l’infini par l’intermédiaire d’intérêts et d’intérêts capitalisés. Une telle réforme du système monétaire serait une thérapie régulatrice globale. Elle éviterait les blocages de la circulation de l’argent et aiderait l’organisme social atteint à résoudre de façon naturelle et progressive les multiples problèmes de crises aux niveaux conjoncturel et structurel. L’organisme pourrait ainsi se stabiliser dans son équilibre et s’intégrer dans l’ordre global harmonique de la nature.
Dans son oeuvre principale, «Die Natürliche Wirtschaftsordnung durch Freiland und Freigeld» («L’ordre économique naturel», paru en 1916 à Berlin et Bern), Gesell expliquait en détail comment l’offre et la demande de capital s’équilibraient dans le cas d’une circulation monétaire non-perturbée, permettant au montant des intérêts de tomber au-dessous de sa limite inférieure, alors de 3% réel. Gesell utilisait l’expression «intérêt fondamental» pour symboliser le taux d’intérêt d’environ 3-4% qui, dans le passé, ne variait pas beaucoup. Cela représente le tribut des travailleurs au pouvoir de l’argent, ce qui mène à des revenus du capital beaucoup plus élevés que ceux proposés par sa magnitude. Gesell prédit que sa réforme monétaire ferait disparaître «l’intérêt fondamental», qui se composera alors de primes de risque et de commissions bancaires. Les fluctuations des taux d’intérêt du marché autour de ces intérêts équilibrés permettront une direction décentralisée des épargnes dans des investissements satisfaisants des besoins. Mais ils s’annuleront réciproquement. «L’argent libre», un moyen d’échange libre du tribut historique intérêt «fondamental» serait neutre en ce qui concerne l’impact sur la distribution et ne pourrait plus influencer la nature et l’ampleur de la production. Le rendement complet du travail, qui serait imputable à l’élimination des intérêts de base, mettrait beaucoup de couches de la population à même d’abandonner des relations de travail dépendant des salaires et de la rémunération et de se mettre à leur compte dans des entreprises privées et coopératives.
La terre : un fondement de vie fiduciaire au lieu d’un article de commerce ou d’un objet de spéculation
Vers 1900, Gesell élargit sa conception d’une réforme du système monétaire en réclamant une réforme du droit à la propriété. Il trouva pour cela son inspiration dans les oeuvres du réformateur agraire nord-américain Henry George (1839 – 1897, auteur de «Progrès et Pauvreté»), dont les idées étaient diffusées en Allemagne par Michael Flürscheim (1844- 19121) et Adolf Damaschke (1865- 1935). Contrairement à Damaschke qui, en cas de maintien de la propriété privée, voulait seulement imposer l’accroissement de la valeur au profit de la communauté, Gesell adhérait à la proposition de Flürscheim de remettre les terrains aux mains de l’Etat contre une indemnisation des propriétaires, et de les donner à bail aux plus offrants pour l’exploitation privée. Tant que la terre restait un article de commerce privé et un objet de spéculation, la relation des hommes avec la terre resterait perturbée. Contrairement aux idéologues raciaux, il ne s’agissait pas pour Gesell d’une relation sang – terre. En tant que cosmopolite, il voyait la terre entière comme un organe de chaque homme. Tous les hommes devraient pouvoir y circuler librement et s’établir partout indépendamment de leurs origines, de leur couleur de peau et de leur religion. Tout comme les terrains, les ressources naturelles devaient également être la propriété de tous. Un institution internationale mise en place pour l’exploitation de ces ressources devait les gérer en tant que propriété du peuple, et céder les biens à titre onéreux pour une utilisation privée.
L’égalité économique des hommes et des femmes
Au début, Gesell pensait, comme d’autres réformateurs agraires de l’école Henry George, que l’Etat serait à même de financer ses travaux par les recettes obtenues par les revenus de la location des terrains sans devoir percevoir d’autres taxes (Single-Tax). Mais en réfléchissant à la question de savoir qui devait réellement toucher cet argent, selon le principe pollueur-payeur, Gesell réalisa que le montant des locations dépendait de la densité de la population, donc de la disposition des femmes à avoir des enfants et à les élever. C’est pourquoi Gesell voulait verser mensuellement les revenus des locations aux mères. La somme versée serait fonction du nombre d’enfants mineurs et servirait à l’éducation des enfants. Toutes les mères, y compris les mères d’enfants illégitimes et étrangères vivant en Allemagne, percevraient cette somme. Plus aucune mère de famille ne devait être dépendante financièrement de son mari exerçant une activité professionnelle. La relation entre les deux sexes serait ainsi basée sur un amour sans influence de pouvoir.
Lors d’un exposé, «L’ascension de l’Occident» («Der Aufstieg des Abendlandes»), dirigé contre le pessimisme à l’égard de la civilisation de la «Décadence de l’Occident» d’Oswald Spengler, Gesell exprimait l’espoir que l’humanité, physiquement, moralement et intellectuellement rendue malade par le capitalisme, pourrait guérir peu à peu dans un ordre de compétition sans privilèges et monopoles, et avancer vers une nouvelle culture florissante.
Autres précurseurs d’une économie de marché sans capitalisme
La théorie selon laquelle chaque homme doit pouvoir disposer librement de la terre et de l’argent était non seulement une réaction au principe du laissez-faire, le principe du libéralisme classique, mais aussi aux idées de l’économie dirigée du marxisme. Il ne s’agit pas d’une troisième voie entre le capitalisme et le communisme dans le sens de la théorie plus tardive de convergence, appelée “mixed economies” , c’ est-à-dire des économies de marché capitalistes dirigées globalement par l’Etat, mais une alternative aux systèmes économiques qui avaient été réalisés jusqu’ici. En termes politiques, on peut la caractériser comme une «économie de marché sans capitalisme». Gesell reprenait ainsi les idées du réformateur social français Pierre Joseph Proudhon (1809- 1865), un contemporain de Marx qui, déjà au milieu du 19ème siècle, tenait la propriété privée de terrains et les intérêts sur l’argent responsables du fait qu’après la fin de l’absolutisme féodal, il n’existait aucune société sans pouvoir. Proudhon considérait les revenus fonciers comme un vol et les intérêts comme une usure meurtrière. Ces revenus d’exploitation eurent pour conséquences l’apparition de la grande bourgeoisie comme nouvelle classe dominante, pouvant faire non seulement de l’Etat, mais aussi de l’église des instruments de leur domination sur la petite bourgeoisie et les travailleurs. Le modèle alternatif économique de Gesell s’apparentait au socialisme libéral du philosophe culturel Gustav Landauer (1870- 1919), suggéré aussi par Proudhon. Landauer avait pour sa part fortement influencé Martin Buber (1878- 1965). Il existe aussi des parallèles avec le socialisme libéral du médecin et sociologue Franz Oppenheimer (1861- 1943) et avec la philosophie sociale de Rudolf Steiner (1861- 1925), fondateur de l’anthroposophie.
Les premières organisations en Allemagne et en Suisse pendant la Première Guerre mondiale
Le premier collaborateur de Gesell, Georg Blumenthal (1879-1929), alliait les réformes du droit à la terre et du système monétaire à l’idée d’un ordre naturel de la société auxquelles François Quesnay (1694-1774) et d’autres physiocrates avaient opposé l’absolutisme féodal pendant le siècle des lumières français. En 1909, il fondait l’association physiocrate comme première organisation des adhérents de Gesell qui venaient à Berlin et Hambourg des rangs de réformateurs agraires, anarchistes individuels et syndicalistes. Quand le magazine «Der Physiokrat» fut victime de la censure pendant la Première Guerre mondiale, Gesell déménagea en Suisse, où il trouva des partisans dans des cercles de réformateurs agraires, de pédagogues réformateurs et de réformateurs de la vie. Ils s’associèrent dans l’association suisse Terre libre – Argent libre. Dans deux conférences «Gold und Frieden» (L’or et la paix) et «Freiland, die eherne Forderung des Friedens» («La terre libre, une revendication d’honorable de la paix»), Gesell faisait ressortir le rôle de ses propositions de réforme comme moyen de justice sociale et de paix entre les peuples.
Entre les deux guerres mondiales
Après la fin de la Première Guerre mondiale et de la Révolution allemande de novembre, la relation de Gesell avec Landauer aboutit à sa coopération passagère en tant que délégué financier du peuple dans le premier gouvernement des conseils bavarois. Après son renversement, il fut tout d’abord accusé de haute trahison et fut acquitté par la suite. Il déménagea ensuite dans les environs de Berlin où il analysa le développement de la République de Weimar et la commenta dans de nombreux essais et brochures. Gesell voulait, à l’aide d’un prélèvement sur la fortune échelonnée jusqu’à 75%, que les grands propriétaires fonciers et les détenteurs de gros capitaux paient pour les conséquences de la guerre. Il voulait en même temps commencer la constitution du capital national par sa réforme de la terre et du système monétaire, qui devait mettre l’Allemagne à même de remplir les revendications de réparation des puissances victorieuses. Gesell protestait inlassablement contre le fait que les changements très fréquents de gouvernements dévalisaient encore plus par une grande inflation les couches moyennes et inférieures de la population, qu’ils traînaient en longueur les paiements de réparation, qu’ils rendaient l’Allemagne dépendante de l’afflux de capital étranger et qu’ils remplaçaient le mark, de rente stable, par l’or, sensible aux crises.
Gesell se distança juste à temps des idéologies racistes et antisémites. Bien qu’il ait été très influencé par la théorie de l’évolution de Darwin, il n’adhéra pas à sa pensée sociale. S’opposant au nationalisme exagéré, il se prononça pour la communication avec les pays voisins de l’ouest et de l’est de l’Allemagne. La politique de l’expansion des états nationaux devait être succédée par une union sans pouvoir des états européens. De plus, Gesell développait des idées pour un ordre de monnaie international post-capitaliste. Il se prononçait pour un marché mondial ouvert sans monopoles capitalistes et sans lignes de douane, sans protectionnisme de commerce national et sans conquêtes coloniales. Contrairement aux institutions plus tardives du Fond Monétaire International et de la Banque mondiale, qui représentent les intérêts des puissances, et aux préparations d’aujourd’hui pour une intégration monétaire européenne, Gesell voulait fonder une “Internationale Valuta-Assoziation” (Association internationale de monnaie étrangère), qui délivrerait une monnaie internationale et neutre ayant la priorité sur toutes les monnaies du pays et qui l’administrerait de façon à établir un équilibre du libre commerce.
La grande inflation des premières années d’après-guerre favorisa l’accroissement du nombre des adhérents de Gesell, s’élevant alors à environ 15000 personnes. Mais en 1924, ils se divisèrent dans la Freiwirtschaftsbund (association de libre économie) modérée et dans la Fysiokratischer Kampfbund (Union de lutte des physiocrates) radicale et individuellement anarchiste. Une dure controverse sur les idées concernant la réduction de l’Etat contribua à cette division. Des luttes de factions internes firent diminuer le nombre d’adhérents. Comme ils ne réussissaient pas à obtenir un mouvement de masse, ils firent pendant toute cette période de nombreux travaux d’approche vers la démocratie sociale et le mouvement syndical ainsi que vers les mouvements de paix, de la jeunesse et des femmes. Pendant la grande crise économique mondiale, la Freiwirtschaftsbund adressa des mémoires à tous les partis représentés dans le Reichstag allemand, dans lesquels elle prévenait des conséquences catastrophiques de la politique de déflation d’alors et émettait des propositions pour surmonter la crise. Les mémoires restèrent sans écho. Quand des expériences pratiques de la Fysiokratischer Kampfbund avec l’argent libre firent sensation, ils furent expulsés, dans le cadre du décret de Brüning, du ministère des Finances du Reich. En France la société d’échange “Mutuelle d’échange” fut aussi interdite après avoir délivré sa propre monnaie libre, le “valors” à Paris et à Nice. Lors des élections du Reichstag en 1932, le parti Freiwirtschaftliche Partei n’eut aucun succès. Après la prise de pouvoir du parti national-socialiste, une partie des adhérents de Gesell prit une attitude d’opposition. Ils durent donc faire face à la persécution. Une autre partie laissa finalement de côté ses doutes sur le vrai caractère de l’idéologie nationale-socialiste en espérant que Hitler et Gottfried Feder aspireraient réellement à «la destruction de l’esclavage des intérêts». Cela eut pour conséquences la tentative de détourner en matière de politique économique la NSDAP en influençant les hauts fonctionnaires. Malgré d’inquiétantes adaptations tactiques au régime, les organisations de l’économie libre et leurs médias furent interdits ou dissouts au printemps 1934. Non seulement les rejets douloureux par les partis de Weimar, mais aussi et surtout le manque de précision sur un moyen approprié pour la réalisation de la réforme de la terre et du système monétaire avaient au début contribué à la fausse estimation du régime totalitaire. En Suisse, des unions de l’économie libre existaient toujours. Des traductions en anglais, français et espagnol de l’oeuvre principal de Gesell parurent. Des brochures d’introduction apparurent également en hollandais, portugais, tchèque, roumain, serbo-croate ainsi qu’en espéranto. Proportionnellement il y avait des groupes plus petits en Angleterre, en France, en Hollande, en Belgique, en Tchécoslovaquie, en Roumanie et en Yougoslavie. En Amérique du Nord et du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande, les émigrés mirent en place des fondations identiques.
Après 1945 : un nouveau début, une chute dans l’oubli, puis la reprise depuis la fin des années 70
Dans toutes les zones d’occupation allemandes de cette époque se formèrent de nouvelles organisations de l’économie libre, dissoutes dans la zone d’occupation soviétique en 1948 ; les hommes au pouvoir dans ces zones voyaient Gesell soit comme un défendeur du monopole de la bourgeoisie, soit comme Proudhon, l’opposant de Marx, comme socialiste de la petite bourgeoisie, dont les buts étaient incompatibles avec un socialisme scientifique. En Allemagne de l’Ouest, la majorité du reste des adhérents de Gesell décidèrent de créer, suite à leurs expériences avec les partis de Weimar, un propre parti politique. Ils formèrent le Radikalsoziale Freiheitspartei, qui gagna presque 1% des voix lors des élections du Parlement fédéral allemand en 1949. Ils le rebaptisèrent ensuite Freisoziale Union mais ne gagnèrent que peu de voix aux autres élections. Cependant une association Silvio-Gesell près de Wuppertal et de Neviges continua à exister comme lieu de congrès.
Le miracle économique de l’Allemagne occidentale fit que l’intérêt public aux alternatives du système en matière de politique économique s’arrêta pendant les années 50 et 60, bien que des économistes connus comme Irving Fisher et John Maynard Keynes reconnaissaient l’importance de Silvio Gesell. C’est seulement depuis la fin des années 70, avec la généralisation du chômage, la destruction de l’environnement et le surendettement international, qu’est né un nouvel intérêt pour le modèle presque oublié d’une économie alternative de Gesell. La génération suivante put alors prendre la relève des adhérents.
Dans les Archives économiques suisses, à Bâle, se trouve une Bibliothèque suisse d’économie libre. En Allemagne, la«Fondation pour la réforme de l’ordre monétaire et de la terre» a vu le jour en 1983 avec l’apparition d’une bibliothèque d’économie libre. Comme première pierre pour la recherche scientifique des théories de Gesell, elle a publié une édition de ses oeuvres complètes composée de 18 volumes. Il en résulta une collection de livres avec le titre «Studien zur natürlichen Wirtschaftsordnung», qui commence avec une vue d’ensemble de l’histoire de cent ans du mouvement NWO (l’ordre économique naturel) et avec une sélection des oeuvres de Karl Walker, l’élève le plus important de Gesell. La fondation soutient aussi d’autres publications de livres concernant des questions du droit à la terre et l’ordre monétaire et publie avec la Sozialwissenschaftliche Gesellschaft un magazine pour l’économie sociale intitulé «Zeitschrift für Sozialökonomie». Elle a également décerné en 1988 et 1995 un prix (Karl-Walker-Preis) pour des ouvrages scientifiques sur l’émancipation des marchés financiers envers l’économie réelle ainsi que sur les moyens de surmonter le chômage. Le «Seminar für freiheitliche Ordnung» publie la série «Fragen der Freiheit» («questions de liberté»). Une initiative pour l’ordre économique naturel essaie de rendre publiques les idées de Gesell avec des organisations en Suisse et en Autriche. L’association «Christen für Gerechte Wirtschaftsordnung» relie le point de départ de la réforme de la terre et du système monétaire à la critique juive -chrétienne – musulmane de la spéculation foncière et de l’exigence d’intérêts. Margrit Kennedy, Helmut Creutz et d’autres auteurs essaient d’actualiser le point de départ des idées de Gesell. Il s’agit là entre autre de la question de la relation entre l’accroissement exponentiel du capital et de l’endettement et celui de l’accroissement de l’économie réelle qui détruit l’environnement, et il s’agit de la possibilité de surmonter la pression d’accroissement et d’une relation entre la réforme de la terre et du système monétaire et le système fiscal écologique. Le livre «Gerechtes Geld -Gerechte Welt» donne une vue d’ensemble sur le développement actuel de la théorie. Il contient les articles du congrès «100 Jahre Gedanken zu einer Natürlichen Wirtschaftsordnung – Auswege aus Wachstumszwang und Schuldenkatastrophe» qui eut lieu à Constance en 1991.
L’effondrement du socialisme de l’Etat en Europe centrale et de l’est entraîna un triomphe provisoire du capitalisme occidental dans le concours des systèmes. Mais tant que des contrastes entre la pauvreté et la richesse et en conséquence des crises et des guerres continueront à exister, tant que l’environnement sera détruit par l’accroissement exponentiel de l’économie et tant que le nord industrialisé exploitera brutalement le sud, il sera nécessaire de chercher des alternatives aux systèmes économiques traditionnels. Cela pourrait signifier une perspective d’avenir du modèle de Gesell, prônant la libre disposition de la terre et de l’argent.
Bibliographie
  • Allais, Maurice: Economie et Intérêt – Exposition nouvelle des problèmes fondamentaux. Paris 1947, p. 605–625.
  • Barral. Jean: La Révolution économique. Paris 1935.
  • Blanc, Jérome: Free Money for Social Progress – Theory and Practice of Gesell’s accelerated Money, en: American Journal of Economics and Sociology Vol. 57 (1998), No. 4, p. 469–483.
  • Blanc, Jérôme: Les Monnaies parallèles – Unité et diversité du fait monétaire. Paris 2000.
    Blanc, Jérôme: Silvio Gesell – Socialiste Proudhonien et Réformateur monétaire, en :  Société P.-J. Proudhon (Ed.), Le crédit, quel intérêt ? – Actes du Colloque de la Société P.J. Proudhon Décembre 2001. Paris 2002, p. 63–84.)
  • Gesell, Silvio: L’Ordre Economique Naturel (Trad.: Felix Swinné). Berne, Paris et Bruxelles 1948.
  • Herland, Michel: Perpetuum mobile et crédit gratuit – deux propositions oubliées pour améliorer de fonctionnement d’une économie monétaire, en: Revue économique Novembre 1977, p. 938 – 971.
  • Herland, Michel: Keynes. Paris 1981.
  • Herland, Michel: L’Utopie monétaire de S. Gesell: Un Cas d’Heterodoxie entre Wicksell et Keynes, in: Richard Arena et Dominique Torre: Keynes et les nouveaux Keynésiens. Paris 1992, p. 59–80.
  • Kennedy, Margrit: Libérer l’Argent de l’Inflation et des Taux d’Intérêts. CH-Chene-Bourg, 1996.
  • Seccareccia, Mario: Système monétaire et Loi d’entropie – La Notino Gesellienne de préférence pour la Liquidité, en: Economies et Sociales No. 9 /1988, p. 57–71.





Couverture : Les 4 Lunes
Copyright © 1996 Éditions Vivez Soleil SA
CH-1225 Chêne-Bourg/Genève
ISBN : 2-88058-161-3
Tous droits réservés pour tous les pays de langue française
Margrit Kennedy
Libérer
F argent de l’inflation
et
des taux d’intérêts
Traduction de Loïc Cohen



 Sommaire
Liste des figures 11
Remerciements 13
Introduction 15
1. Quatre Idées fausses très répandues sur l’argent ….17
Première idée fausse :
Il n’y a qu’un seul type de croissance 20
Deuxième idée fausse :
On ne paie des intérêts
que lorsqu’on emprunte de l’argent 27
Troisième idée fausse :
Avec le système monétaire actuel, nous sommes
tous pareillement affectés par les intérêts 28
Quatrième idée fausse :
L’inflation fait partie intégrante de
l’économie de marché 34
2. Créer une monnaie sans inflation et sans Intérêts ..39
Le remplacements des intérêts par des mesures
d’incitation à la circulation monétaire 42
Les premières expériences pilotes 44
La nécessité d’une réforme foncière 49
La nécessité d’une réforme fiscale 54
3. Qui profiterait d’un nouveau type de système
Les avantages en général 61
Les défauts du système monétaire actuel 62
Les avantages dont bénéficierait le pays (ou la région)
qui introduirait le premier ces changements 72
Les riches 74
Les pauvres 81
Les Églises et les groupes spirituels 88
Le commerce et l’industrie 90
Les agriculteurs 93
Les écologistes et les artistes 95
Les femmes 98
4. Quelques leçons tirées de l’histoire.. ……..101
Le système monétaire « brakteaten » dans l’Europe
médiévale 104
La république de Weimar et l’étalon-or 105
5. La réforme monétaire dans le contexte d’une
transformation mondiale, oe comment procéder
aux changements……. ….109
Remplacer la révolution par l’évolution 111
Une solution envisageable pour le proche avenir 115
La taxe sur l’argent immobilisé crée
un système monétaire neutre 116
6. Comment apporter sa contribution à la période
S’informer, faire prendre conscience aux autres 121
Parrainer des expériences pilotes 123
Mettre en place un système local
d’échanges commerciaux 124
Soutenir les investissements « moraux » 125
7. Les applications concrètes d’aujourd’hui sont
les embryons d’une nouvelle économie………. …….127
Le système LET 130
Le réseau WIR et autres associations similaires 134
Les banques coopératives JAK en Suède 137
Avantages et inconvénients de la monnaie et des
systèmes de crédit alternatifs 139
Adresses utiles 147
Revues 151

Liste des figures
1. Les modèles fondamentaux de
schémas de croissance 21
2. Courbes de croissance constante 22
3. Exemples du pourcentage des intérêts inclus
dans les prix et les tarifs ordinaires 26
4. Comparaison des intérêts payés et
des intérêts reçus 30
5. Évolution de divers indicateurs économiques 33
6. En raison de l’inflation, chaque DM ne vaut plus
que 28 pfennigs 36
7. Pour acquérir un terrain à bâtir en Allemagne
de l’Ouest dans les années quatre-vingts,
il fallait travailler trois fois plus que dans
les années cinquante 51
8. Pourquoi l’économie est-elle prise
dans cet engrenage ? 64
9. La croissance du PNB en R.F.A.
entre 1950 et 1989 68
11
10. Avez-vous déjà vu de l’argent travailler ? 70
11. Distribution de la richesse monétaire en
Allemagne de l’Ouest 80
12. Comparaison des taux d’intérêt, de chômage et
du nombre des faillites 82
13. L’aide au développement 85
14. Nous sommes d’ores et déjà en pleine
troisième guerre mondiale 87
15. Les coûts salariaux sont plus élevés que
les seuls salaires 92
16. Hourra ! encore 2,5 % de croissance ! 94
17. Le chômage appauvrit, la pauvreté engendre
la radicalisation 107
18. Assurer la circulation monétaire.
Coût annuel moyen du crédit 114
19. Comparaison entre les crédits du système J.A.K.
et ceux d’une banque normale
Exemple 1 140
20. Comparaison entre les crédits du système J.A.K.
et ceux d’une banque normale
Exemple 2 141
12
Remerciements
Ce livre doit son existence à tous ceux, nombreux, qui,
partout dans le monde, ont été aussi stupéfaits par les travers
bien cachés de notre système monétaire actuel que je l’ai
moi-même été quand je les ai découverts pour la première
fois.
Leur curiosité et leur enthousiasme en ce qui concerne
l’analyse et la solution de ce problème m’ont conduite à
penser que cette question devrait être présentée d’une
manière telle que chacun puisse la comprendre.
J’aimerais remercier tout particulièrement trois
enseignants, Dieters Sufart et Gesima Vogel, ainsi que le
professeur Helmut Greutz.
J’éprouve aussi une reconnaissance toute particulière
envers mon mari et coauteur, le professeur Declan Kennedy,
dont le soutien, aux plans rédactionnel, moral et pratique,
m’a permis de franchir tous les obstacles pour mener à bien
ma tâche.
Les illustrations sont basées sur les graphiques conçus et
dessinés par Helmut Greutz.
A l’exception des figures relatives aux taux d’intérêt,
toutes les autres statistiques ont été tirées de publications
13
émanant de la Banque Centrale d’Allemagne, de l’Agence
fédérale des statistiques et d’autres documents officiels
rédigés avant l’unification allemande.
Professeur Maigrit Kennedy
Steyerherg, Allemagne
Janvier 1995
14
Introduction
Il faut une certaine audace à un non-économiste pour
écrire un livre sur l’économie, surtout si ce livre traite d’un
des critères fondamentaux de la profession – l’argent. La
plupart des concepts économiques sont exprimés en
référence à l’argent. Les économistes l’utilisent comme les
marchands utilisent les kilogrammes et les architectes les
mètres. Ils mettent rarement en question son mode de
fonctionnement, notamment le fait que, contrairement aux
mètres et aux kilogrammes, il ne soit pas un étalon constant
– que son cours varie aujourd’hui presque quotidiennement.
Ce livre étudie le fonctionnement de l’argent. Il expose
les raisons des changements incessants qui affectent l’une de
nos plus importantes unités de mesure. 11 explique non
seulement pourquoi l’argent « fait tourner le monde » mais
aussi pourquoi, en même temps, il le ruine. L’énorme dette
accumulée par les pays du Tiers Monde, le chômage, la
dégradation de l’environnement, la course aux armements et
la prolifération des centrales nucléaires, tous ces facteurs
sont liés à un mécanisme qui permet à l’argent de circuler :
les intérêts et les intérêts composés. Ceux-ci, selon
l’historien de l’économie John L. King, constituent dans ce
15
que l’on appelle les « économies de marché » une
« machinerie de destruction invisible ».
La transformation de ce mécanisme en un moyen plus
adapté au maintien de l’argent en circulation n’est pas aussi
difficile que cela peut paraître. Bien que les solutions
avancées dans ce livre soient connues de certains depuis le
début du siècle, la façon et le moment où elles sont
présentées offrent une occasion exceptionnelle de les mettre
en œuvre.
Le but de ce livre n’est pas de prouver que quiconque ait
tort. Il est de remettre les choses en ordre et de révéler une
possibilité dont nous disposons, mais qui est très peu connue
des experts, sans parler du grand public. Pourtant, le choix
est bien trop crucial pour qu’on laisse les seuls experts
décider s’il faut l’envisager ou non. Dans ces conditions,
l’Importance de ce livre réside dans sa capacité à expliquer
des problèmes complexes aussi simplement que possible,
afin que tous ceux qui utilisent l’argent puissent comprendre
ce qui est en jeu. Une autre différence importante avec
d’autres livres ayant abordé cette question dans le passé est
qu’il montre comment, à l’heure actuelle, le fait de passer à
un nouveau système monétaire créerait une situation ne
présentant que des avantages pour tout le monde et
contribuerait à établir, au bout du compte, une économie
rationalisée.
Cependant, une question demeure : pourrons-nous
mettre en œuvre ces changements avant ou après la
prochaine grande crise ? Dans un cas comme dans l’autre, il
sera utile d’être informé sur la façon de créer un instrument
d’échange qui fonctionne bien et soit adapté à tous.
16
CHAPITRE U N
Quatre idées fausses
très répandues
sur l’argent
17

Chaque jour sur cette planète, tout le monde ou presque
utilise l’argent. Cependant, peu de gens comprennent
comment ce moyen d’échange fonctionne et affecte leur vie
directement ou indirectement. C’est pourquoi nous allons
examiner de plus près ce qu’est l’argent et ce qui se passerait
s’il n’était pas là.
Tout d’abord, les bonnes nouvelles : l’argent est l’une des
inventions les plus ingénieuses de l’humanité, car il facilite
l’échange des biens et des services et permet de dépasser les
limites qu’impose le troc – l’échange direct des biens et des
services. Ainsi, par exemple, si vous résidiez dans un village
vivant uniquement de troc et produisiez des œuvres d’art
mais qu’il n’y ait personne pour s’y intéresser en dehors du
croque-mort, il vous faudrait rapidement soit changer de
profession, soit quitter le village. L’argent autorise donc la
spécialisation, laquelle est à la base de la civilisation. Mais
pourquoi alors nous pose-t-il problème ?
C’est ici qu’interviennent les mauvaises nouvelles : il ne
facilite pas seulement l’échange des biens et des services,
mais il peut également l’entraver pour la simple raison qu’il
est détenu par ceux qui ont plus de ressources que
nécessaire. Il se crée ainsi une sorte de « péage privé » où
ceux qui sont dans le besoin paient un droit à ceux qui ont
plus d’argent qu’il ne leur faut. Ce système est tout sauf
équitable. En fait, les différents systèmes monétaires actuels
pourraient être qualifiés d’« inconstitutionnels » dans la
19
plupart des pays démocratiques, ainsi que je le montrerai
plus loin. Avant d’entrer dans les détails, permettez-moi de
dire qu’il existe probablement plus de quatre idées fausses à
propos de l’argent. Les différentes conceptions de ce dernier
reflètent assez exactement les différentes vision du monde et
celles-ci sont aussi nombreuses que les habitants de cette
planète. Cependant, les quatre idées fausses que nous
examinerons dans les pages suivantes sont celles qui nous
empêchent le plus de comprendre pourquoi il est nécessaire
de changer le système monétaire actuel et quels sont les
mécanismes indispensables pour le remplacer.
Première idée fausse :
IL N’Y A QU’UN SEUL TYPE DE CROISSANCE
La première idée fausse concerne la croissance. Nous
avons tendance à croire qu’il n’existe qu’un seul type de
croissance – le schéma de croissance de la nature dont nous
avons l’expérience directe. La Figure 1, toutefois, montre
trois schémas génétiquement différents.
La courbe A représente une forme idéalisée du schéma
normal de croissance de la nature auquel nous nous
conformons, tout comme les animaux et les plantes. Nous
grandissons relativement vite durant les premières étapes de
notre vie, puis le rythme se ralentit à l’adolescence et, pour
finir, notre croissance physique s’arrête vers l’âge de vingtet-un
ans. Ce phénomène, cependant, ne nous empêche pas
de croître – si ce n’est quantitativement, du moins
qualitativement.
20
LES MODèLES FONDAMENTAUX
DE SCHéMAS DE CROISSANCE
A. Courbe naturelle
B. Courbe linéaire
C. Courbe exponentielle
Figure n°l
21
COURBES
DE CROISSANCE CONSTANTE
Figure n°2
22
La courbe B représente un schéma de croissance linéaire
ou mécanique – par exemple lorsque les machines
produisent davantage de marchandises ou le charbon
davantage d’énergie. Le phénomène s’épuise quand les
machines s’arrêtent ou qu’on ne rajoute plus de charbon dans
la chaudière.
La courbe C représente un schéma de croissance
exponentielle qui peut être décrit comme l’exact opposé de la
courbe A en ce sens qu’il croît très lentement au début, puis
de plus en plus rapidement, pour finalement monter en
flèche de façon presque verticale. Dans le monde physique,
ce schéma de croissance se manifeste d’ordinaire lors d’une
maladie ou à l’approche de la mort. Le cancer, par exemple,
suit un schéma de croissance exponentielle. Il se développe
d’abord lentement, même s’il est en constante accélération, et
souvent, au moment où on le découvre, il est entré dans une
phase de croissance que l’on ne peut plus arrêter. La
croissance exponentielle, dans le monde physique, s’achève
en général avec la mort de l’organisme vivant et de son hôte.
Fondé sur les intérêts simples et les intérêts composés,
l’argent double de valeur à intervalles réguliers – en
d’autres termes il suit un schéma de croissance
exponentielle. Cela explique pourquoi nous avons
aujourd’hui tant de problèmes avec notre système monétaire.
Les intérêts, en réalité, se comportent comme un cancer au
sein de la structure sociale.
La Figure 2 montre les périodes de temps nécessaires
pour que la valeur monétaire double lorsqu’elle varie suivant
les intérêts composés :
* à 3 %, 24 ans,
* à 6%, 12 ans,
* à 12 %, 6 ans.
23
Même à 1 % d’intérêts composés, nous constatons une
courbe de croissance exponentielle, avec un doublement de
la valeur de l’argent en 72 ans.
Au niveau physiologique, nous ne connaissons que le
schéma de croissance physique propre à la nature – une
croissance qui s’arrête lorsqu’une taille optimale est atteinte
(courbe A). Dans ces conditions, il est difficile pour des êtres
humains de comprendre le véritable impact du schéma de
croissance exponentielle dans le monde physique.
Le meilleur exemple de ce phénomène est la célèbre
histoire de cet empereur perse qui, découvrant avec
enthousiasme le jeu d’échecs, décida d’exaucer n’importe
quel vœu de son inventeur. Celui-ci, mathématicien
intelligent, demanda que l’on place un grain de blé sur la
première case de l’échiquier, puis que l’on double le nombre
de grains à chacune des cases suivantes. L’empereur, qui
dans un premier temps fut ravi de la modestie de cette
requête, s’aperçut rapidement que la production totale de blé
de son empire tout entier ne pourrait suffire à exaucer ce
« modeste » vœu. La quantité de blé nécessaire à la soixantequatrième
case de l’échiquier est égale à 440 fois la
production de blé de la planète tout entière1
.
Phénomène similaire, dans un domaine qui nous
intéresse directement, un pfennig investi à la naissance de
Jésus Christ à 4 % d’intérêt aurait permis d’acheter en 1750
une boule d’or égale au poids de la Terre. En 1990,
cependant, ce même pfennig aurait permis d’acheter 8190
boules d’or égales au poids de la Terre. A 5 % d’intérêt, il
aurait permis d’acheter une boule d’or en 1466. Et en 1990, il
aurait pennis d’acheter 2200 milliards de boules d’or d’un
Eckhard Eilers (manuscrit non publié), Rastede, 1985
24
poids égal à celui de la Terre2
. Cet exemple nous montre
l’importance que peut représenter 1 % d’intérêt. Il prouve
également que le paiement continuel d’Intérêts simples et
d’intérêts composés est arithmétiquement, de même que
pratiquement, impossible. La nécessité économique et
l’impossibilité mathématique entraînent une contradiction
qui – pour être résolue – a engendré dans le passé
d’Innombrables conflits, guerres et révolutions.
:
Eckhard Eilers, ibid.
25
EXEMPLES DE POURCENTAGE DES INTéRêTS INCLUS
DANS LES PRDF ET LES TARIFS ORDINAIRES
1. Coûts du ramassage des ordures :
(exemple de la ville d’Aachen, 1983)
A. Amortissements, coûts fixes
d’exploitation, personnel, frais divers : 88 %
B. Coût des intérêts du capital 12%
Coût pour une poubelle de 110 litres : 194 DM
2. Coût de l’eau potable :
(exemple d’une compagnie des eau
allemande, 1981)
A.
B.
C.
D.
E.
3.
A.
B.
C.
D.
4.
A.
B.
C.
D.
E.
Coût de l’énergie
Entretien des installations
Traitement des eaux
Coûts fixes d’exploitation,
personnel, etc.
Amortissements
Coût des intérêts du capital
Prix du mètre cube d’eau : 136 DM
Coût des canalisations sanitaires et de
l’évacuation des eaux usées
(exemple de la ville d’Aachen, 1983)
Frais fixes
Frais de personnel
Amortissements
Coût des intérêts du capital
Prix au mètre cube : 1,87 DM.
Éléments constitutifs des loyers des
logements sociaux :
(estimations du Bureau Fédéral des
Statistiques, 1979)
Pertes et profits
Frais de gestion et de fonctionnement
Frais d’entretien des bâtiments
Amortissements
Coût des intérêts du capital
l %
6%
i %
18%
30%
38%
19%
7 %
27%
47%
1 %
6%
5 %
1 %
77%
Prix du loyer au mètre carré : 13,40 DM
Figure n i°3
26
La solution aux problèmes occasionnés par la croissance
exponentielle actuelle consiste à créer un système monétaire
qui suive la courbe de croissance naturelle. Pour ce faire, il
faut remplacer les intérêts par un autre mécanisme
permettant de maintenir l’argent en circulation. Nous
aborderons cette question en détail au chapitre 2.
Deuxième idée fausse :
ON NE PAIE DES INTéRêTS
QUE LORSQU’ON EMPRUNTE DE L?
ARGENT
Il y a une autre raison pour laquelle il nous est difficile
de comprendre le véritable impact du mécanisme des intérêts
dans notre système monétaire : il fonctionne de manière
insidieuse. Ainsi, la deuxième idée fausse est que nous
payons des intérêts seulement lorsque nous empruntons de
l’argent et que, si nous voulons cesser d’en payer, tout ce que
nous avons à faire est d’éviter d’emprunter.
La Figure 3 nous montre que c’est faux tout simplement
parce que les intérêts sont inclus dans chaque prix que nous
payons. Le montant exact varie en fonction du rapport coût
du capital/ coût de la main-d’œuvre des biens et des services
que nous achetons. Certains exemples nous indiquent
clairement la différence.
La part du capital dans le secteur du ramassage des
ordures se monte à 12 % parce qu’ici la part des coûts du
capital immobilisé est relativement faible et la part de la
main-d’œuvre particulièrement élevée. La situation est
différente en ce qui concerne l’installation de l’eau potable,
car les coûts d’immobilisation du capital s’y élèvent à 38 %,
et encore plus en ce qui concerne le logement social, où ils
27
s’élèvent à 77 %. En moyenne, 50 % des prix de nos biens et
services correspondent aux coûts du capital.
Dans ces conditions, si nous supprimions les intérêts et
les remplacions par un autre mécanisme capable d’assurer la
circulation monétaire, la plupart d’entre nous pourraient être
deux fois plus riches ou bien réduire de moitié leurs temps
de travail, tout en conservant le même niveau de vie.
Troisième idée fausse :
AVEC LE SYSTèME MONéTAIRE ACTUEL,
Nous SOMMES TOUS PAREILLEMENT AFFECTéS
PAR LES INTÉRÊTS
La troisième idée fausse, en ce qui concerne notre
système monétaire, pourrait être formulée comme suit : étant
donné que nous devons tous payer des intérêts lorsque nous
empruntons de l’argent ou achetons des biens et des services,
nous profitons (ou pâtissons) tous de la même façon du
système monétaire actuel. Encore une fois, cela est faux. En
réalité, dans ce système, il y a d’énormes disparités entre
ceux qui profitent et ceux qui payent. La Figure 4 montre
une comparaison entre les intérêts payés et les profits qu’ils
engendrent dans dix groupes numériquement égaux de la
population allemande. Elle indique que les huit premiers
groupes déboursent davantage qu’ils ne reçoivent, que le
neuvième reçoit légèrement plus qu’il ne paye et que le
dixième reçoit les intérêts que les huit premiers ont perdus.
Ce graphique nous explique, d’une manière très simple et
directe, la raison pour laquelle « les riches s’enrichissent et
les pauvres s’appauvrissent ».
28
En examinant de plus près les derniers 10 % de la
population pour ce qui est des profits engendrés par les
intérêts, on remarque un autre schéma de croissance
exponentielle : pour le dernier 1 % de la population, la
colonne « revenus » devrait être 15 fois plus large. Pour le
dernier 0,01 % de la population, elle devrait être 2000 fois
plus large.
29
COMPARAISONS DES INTéRêTS PAYéS
ET DES INTéRêTS REçUS
Dans dix groupes de foyers constitués chacun de 2, 5 millions de foyers
Intérêts payés ou reçus = 270 DM (1982)
Toutes les valeurs sont en milliers de Deutsch Marks par année et par foyer
Figure n°4
30
GROUPE S D E FOYER S SELO N L E REVEN U
Intérêts payés 2.3 4.1 5.9 6.5 7.6 9.1 10.5 13.5 16.3 32.3
Intérêts reçus 0.5 0.7 1.1 1.5 2.3 3.2 5.5 8.8 18.0 S6.5
Solde -1-8 -3.4 -4.8 -5.0 -5.3 -5.9 -5.0 -4.7 +1.7 +34.2
En d’autres termes, à l’intérieur de notre système
monétaire, nous acceptons que se mette en place un
mécanisme de redistribution caché qui détourne l’argent de
ceux qui n’en ont pas assez vers ceux qui en ont trop. C’est là
une forme d’exploitation bien plus subtile que celle que
Marx essayait de supprimer. Il avait sans conteste raison de
situer la source de la « plus-value » au niveau de la
production. La distribution de la « plus-value », toutefois, se
produit dans une large mesure au niveau de la circulation de
l’argent et des biens. De nos jours, on peut s’en rendre
compte bien plus clairement qu’à l’époque. Des sommes
d’argent toujours plus grandes sont concentrées dans les
mains d’individus et de sociétés de moins en moins
nombreux. Ainsi, par exemple, l’excédent de cash-flow – la
marge brute d’autofinancement des entreprises – qui circule
dans le monde partout où des profits peuvent être espérés en
raison des fluctuations des diverses monnaies nationales ou
des variations des cours des différentes Bourses a plus que
doublé depuis 1980. La masse quotidienne des devises
échangées est passée, à New York seulement, de 18 milliards
de dollars à 50 milliards de dollars entre 1980 et 19863
. La
Banque mondiale a estimé que le volume des transactions
monétaires dans le monde est de 15 à 20 fois plus élevé que
ne le nécessite le financement du commerce mondial4
.
Le mécanisme des intérêts simples et composés ne se
contente pas d’engendrer une croissance économique
pathologique, mais, comme l’a fait remarqué Dieter Suhr, il
agit dans la plupart des pays contre les droits
3
Spiegel Interview : “Ich sehe die Risiken ganz genau”, à propos du
danger d’un krach financier et du problème de la dette, Spiegel, N°25,
Rudolph Augstein Co., Hamburg, 1987, p. 59
“Helmut Creutz, Wachstum bis zur Krise, Basis Verlag, 1986, p. 8
31
constitutionnels des individus5
. Si la raison d’être d’une
constitution est de garantir à chaque citoyen un accès égal
aux services publics – et le système monétaire peut être
considéré comme tel – alors un système dans lequel 10 %
des gens reçoivent continuellement davantage que ce qu’ils
paient pour ce service, et ce aux dépens des 80 % qui
reçoivent moins que ce qu’ils paient, devrait être considéré
comme illégal.
5
Dieter Sufar, Geld ohne Merwert, Knapp Verlag, Francfort sur le Main,
1983.
32
EVOLUTION
DE DIVERS INDICATEURS éCONOMIQUES
Source : Helmut Creutz, à partir de rapports de la Banque Fédérale, etc.
Figure n°5
33
On pourrait penser qu’un changement dans notre système
monétaire profiterait à « seulement » à 80 % de la
population, c’est-à-dire à ceux qui, actuellement, paient plus
qu’ils ne devraient. Cependant, je démontrerai au chapitre 3
que tout le monde profiterait de ce changement, y compris
ceux qui profitent du système « cancéreux » qui est le nôtre
actuellement, vie.
Quatrième idée fausse :
L’INFLATION FAIT PARTIE INTéGRANTE
DE L’ECONOMIE DE MARCHé
La quatrième idée fausse a trait au rôle de l’inflation dans
notre système économique. La plupart des gens considèrent
l’inflation comme une composante de tout système
monétaire, une composante presque « naturelle » étant donné
qu’il n’existe pas un seul pays à économie de marché dans le
monde qui en soit exempt. La Figure 5, Évolution de divers
indicateurs économiques, montre certains des facteurs
susceptibles de provoquer l’inflation. Alors que le revenu de
l’État, le produit national brut et les traitements et salaires du
contribuable moyen n’ont augmenté « que » d’environ 400 %
entre 1968 et 1989, les paiements d’intérêts de l’État ont,
eux, augmenté de 1360 %.
La tendance est claire : la dette de l’État dépassera tôt ou
tard ses recettes, y compris dans les pays industrialisés. Si un
enfant triplait de taille, disons, entre un an et neuf ans et que
dans le même temps ses pieds deviennent onze fois plus
grands, on dirait que sa croissance est pathologique. Ici, le
problème est que très peu de gens se soucient d’observer les
symptômes de la maladie qui affecte le système monétaire et
34
qu’Us sont encore moins nombreux à proposer un remède. La
preuve en est que personne n’a été en mesure d’établir un
modèle efficace et « sain » qui ait tenu la route.
Peu de gens réalisent que l’inflation n’est qu’une autre
forme d’imposition grâce à laquelle les gouvernements
peuvent résoudre dans une certaine mesure le lancinant
problème d’une dette en augmentation constante.
35
EN RAISON DE L’INFLATION,
CHAQUE D M NE VAUT PLUS QUE 2 8 PFENNIGS
* Quelles sont les causes de cette supercherie chronique ?
* Qui sont les gagnants et qui sont les perdants ?
* Pourquoi n’avons-nous pas de monnaie stable ?
Figure n°6
36
Manifestement, plus le fossé s’élargit entre le revenu et la
dette, plus il est nécessaire que l’inflation augmente.
L’autorisation donnée aux banques centrales de battre
monnaie permet aux gouvernements de réduire leurs dettes.
La Figure 6 montre la diminution de la valeur du DM entre
1950 et 1989. Cette dévaluation frappe surtout les 80 % de
gens qui, la plupart du temps, paient plus qu’ils ne devraient.
Ils ne peuvent d’ordinaire retirer leurs actifs pour les placer
dans des valeurs « résistant à l’inflation » – l’immobilier ou
autres investissements – comme le font les 10 % des gens
appartenant à la tranche supérieure des revenus.
Un historien de l’économie, John L. King, relie l’inflation
aux intérêts engendrés par l’expansion du crédit. Dans une
lettre datée du 8 janvier 1988 qu’il m’a personnellement
adressée, il déclare ceci :
« J’ai beaucoup insisté sur le fait que les taux d’intérêt
constituent la cause principale de la hausse des prix en raison
de leur inclusion dans le coût de tout ce que nous achetons,
mais cette idée, quoique totalement fondée, n’est pas bien
acceptée. A un taux de 10 % d’intérêts, le coût de la dette
intérieure américaine – neuf mille milliards de dollars –
s’élève à 900 milliards de dollars d’intérêts, payés par
l’augmentation des prix, soit une hausse de 4 %, qualifiée
d’inflation par les experts. J’ai toujours considéré le principe
des intérêts composés comme une machinerie de destruction
invisible, laquelle fonctionne à plein rendement
actuellement. Il est donc urgent de se débarrasser de cette
obsession financière insensée. »
Depuis 33 ans, la dette publique et privée américaine
s’est accrue de 1000 %, la paît principale de cette dette
globale revenant au secteur privé. Mais le gouvernement
fédéral a utilisé toutes ses ressources pour favoriser cet
37
accroissement : prêts garantis, subventionnement des taux
hypothécaires, versement initiai très bas, facilités de
paiement, crédits d’impôt, marché secondaire, garantie par
l’État des dépôts à terme, etc. La raison de cette politique est
que si l’on veut que la majorité de la population puisse
supporter les conséquences de ce système basé sur les
intérêts, il faut absolument créer une croissance économique
qui suive le taux de croissance exponentielle de la monnaie
– un cercle vicieux avec un effet d’accélération et d’escalade.
Que nous considérions l’inflation, la justice sociale ou les
conséquences sur l’environnement, il semblerait logique, à
de nombreux points de vue, de remplacer cette « obsession
financière insensée » par un mécanisme mieux adapté au
maintien de la circulation monétaire.
38
même, réduiraient les impôts nécessaires pour subvenir aux
charges publiques.
L’aspect technique de cette réforme monétaire sera
expliqué dans les deux prochains chapitres.
LES PREMIèRES
EXPéRIENCES PILOTES
Au cours des années trente, les partisans de « l’économie
libre » [Freiwirtschaft], adeptes de la théorie de Gesell,
eurent l’occasion de mettre en pratique leur projet d’une
monnaie sans intérêts, et ce, dans le but de résoudre le
problème du chômage et de démontrer la validité de leurs
idées. Il y eut des tentatives d’introduction de cet « argent
libre » en Autriche, en France, en Allemagne, en Espagne, en
Suisse et aux Etats-Unis. Une des expériences les plus
réussies eut lieu dans la ville autrichienne de Wörgl7
.
Entre 1932 et 1933, cette petite ville tyrolienne de Wörgl
s’engagea dans une expérience qui, jusqu’à nos jours, a été
une source d’inspiration pour tous ceux qui se sont intéressés
au problème de la réforme monétaire. Le maire réussit à
convaincre les commerçants et l’administration qu’ils
avaient tout à gagner de tenter l’expérience proposée par
Silvio Gesell dans son livre, L’Ordre économique naturel.
Les habitants acceptèrent et c’est ainsi que le conseil
municipal émit 32 000 « certificats de travail » ou « shillings
libres » (c’est-à-dire des shillings sans intérêts), couverts en
7
Werner Onken, “Ein vermessenes Kapital der Wirtschafts geschiente.
Schwanenkirchen. Wörgl und undere Freigeld expérimente”, Zeitschrift
für Sozialökonomie, NR 58/59, Mai 1983, pp. 3-20
44
tourne autour du Soleil – bien que nos sens nous donnent à
penser le contraire. Gesell proposa d’assurer la circulation
monétaire en faisant de l’argent un service public dont
l’utilisation serait soumise à un droit. Et c’est là qu’intervient
le message central de ce livre : Au lieu de payer des intérêts
à ceux qui ont davantage d’argent qu’ils n’en ont besoin, les
gens devraient payer un droit (minime) s’ils ne mettent pas
leur argent en circulation.
Afin de mieux comprendre cette idée, il peut être utile de
comparer l’argent à un wagon de marchandises, lequel
facilite également l’échange des biens et des services.
Contrairement aux États qui émettent la monnaie, la
compagnie de chemin de fer n’accorde pas une prime à
l’usager pour décharger le wagon et par là même le remettre
en « circulation » – au contraire, le client paye une petite
redevance journalière s’il ne le décharge pas. Dans le
nouveau système monétaire, il suffirait d’appliquer le même
principe à l’argent. La communauté ou la nation qui émet une
« nouvelle » monnaie afin de faciliter les échanges de biens
et de services prélève un droit de « stationnement » auprès
de l’usager qui conserve plus de temps que nécessaire cette
nouvelle monnaie. Ce changement, aussi simple qu’il puisse
paraître, peut résoudre les nombreux problèmes sociaux
occasionnés par les intérêts simples et composés tout au long
de l’Histoire.
Alors que, de nos jours, les intérêts constituent un profit
privé, dans ce nouveau système monétaire, les droits perçus
sur l’utilisation de la monnaie constitueraient un profit pour
l’État. Le produit de ces droits devrait réintégrer le flux
monétaire afin de maintenir l’équilibre entre la masse
monétaire et le volume de l’activité économique. Ces droits
constitueraient un revenu pour le gouvernement et, par là
43
L’explication que donnait Silvio Gesell de ce phénomène
était que la monnaie, à l’inverse d’autres biens et services,
peut être conservée sans frais. Si un individu possède un sac
de pommes et un autre l’argent nécessaire pour acheter ces
pommes, le premier est obligé de les vendre dans un laps de
temps relativement court afin de ne pas perdre son capital.
Les détenteurs d’argent, de leur côté, peuvent attendre
jusqu’à ce que le prix d’une marchandise leur convienne, car
l’immobilisation de leur argent n’entraîne pas nécessairement
des « coûts de possession ».
Gesell en conclut que si nous pouvions créer un système
monétaire qui place l’argent sur un pied d’égalité avec tous
les autres biens et services (en prélevant, en moyenne, 5 %
du prix pour « frais d’immobilisation », ce qui correspond
exactement, en ce qui concerne l’argent, à ce qui a été payé
sous la forme d’intérêts tout au long de l’Histoire), nous
aurions une économie libérée des fluctuations de la
spéculation monétaire. Il suggérait de faire en sorte que
l’argent puisse « rouiller », c’est-à-dire qu’il soit soumis à
une « taxe d’utilisation ».
LE REMPLACEMENTS DES INTéRêTS
PAR DES MESURES D’INCITATION
À LA CIRCULATION MONéTAIRE
En 1890, Silvio Gesell formula une théorie de l’argent et
d’un « ordre économique naturel » . Cette théorie est aussi
éloignée des notions de capitalisme ou de communisme que
le monde de Copernic l’est de celui de Ptolémée. Le Soleil,
de fait, ne tourne pas autour de la Terre. C’est la Terre qui
42
Vers la fin du XIXe siècle, Silvio Gesell, un négociant
dont les affaires étaient florissantes, tant en Allemagne qu’en
Argentine, avait observé que ses marchandises se vendaient
parfois rapidement et à très bon prix, et qu’en d’autres
circonstances la vente se faisait lentement et à des prix
moins élevés. Il commença à s’interroger sur les raisons d’un
tel phénomène. 11 comprit bientôt que ces fluctuations
n’avaient que peu de rapport avec l’utilité et la qualité de ses
marchandises, mais presque exclusivement avec le « prix »
de l’argent sur le marché monétaire.
Il se mit donc à observer ces mouvements et découvrit
que lorsque les taux d’intérêt étaient bas, les gens achetaient,
mais que lorsqu’ils étaient élevés, ils n’achetaient pas. La
raison pour laquelle il y avait plus ou moins d’argent tenait
en partie à la volonté de ceux qui détiennent l’argent de le
louer à d’autres. Si le rendement de leur argent était inférieur
à 2,5 %, ils avaient tendance à le conserver, ce qui entraînait
un arrêt des investissements, lequel à son tour engendrait
faillites et chômage. Puis, au bout d’un certain temps,
lorsque les gens étaient prêts à payer davantage d’intérêts
pour leur argent, celui-ci était à nouveau disponible, ce qui
créait un nouveau, cycle économique. Les prix des
marchandises et les taux d’intérêt augmentaient alors
sensiblement. Par la suite, peu à peu, des réserves monétaires
plus importantes entraînaient dans un premier temps une
baisse des taux d’intérêt, puis à nouveau une « grève » du
capital.
41

CHAPITRE DEU X
reer une monnaie
sans inflation
et sans intérêts
39
banque par la même somme en shillings autrichiens
ordinaires. Avec cette monnaie, ils construisirent des ponts,
améliorèrent les routes et les services publics, réglèrent des
salaires, achetèrent des matériaux et, de plus, payèrent le
boucher, le cordonnier et le boulanger.
Le droit perçu pour l’utilisation de cette monnaie était de
1 % par mois, soit 12 % par an. Il devait être acquitté par la
personne qui détenait des billets à la fin du mois, sous la
forme d’un timbre valant 1 % du billet et collé au dos de
celui-ci. Sinon, le billet n’était pas valable. Cette petite taxe
incitait tous ceux qui possédaient des shillings libres à les
dépenser avant d’utiliser leurs shillings habituels. Les gens
payaient même leurs impôts en avance afin d’échapper à la
petite taxe. En l’espace d’un an, les 32 000 shillings libres
changèrent de mains 463 fois, créant de la sorte des biens et
services d’une valeur de 14 816 000 shillings. Le shilling
ordinaire, en revanche, n’avait changé de mains que 21 fois8
.
A une époque où la plupart des pays d’Europe
connaissaient de graves problèmes de chômage, Wörgl
réduisit son taux de chômage de 25 % au cours de cette seule
année. Les droits perçus par la municipalité, qui eurent pour
résultat que cette monnaie changeait si rapidement de mains,
s’élevèrent à 12 % des 32 000 shillings libres, soit 3840
shillings. Cet argent fut utilisé pour le bien public.
Lorsque plus de 170 communes autrichiennes se mirent
à envisager l’adoption de ce modèle, la Banque Nationale
d’Autriche considéra que son monopole était en danger. Elle
engagea une action contre le conseil municipal et interdit
l’émission de sa monnaie locale. En dépit d’une longue
8
Fritz Schwartz, Das Experiment von Wörgl, Genossenschaft Verlag,
Berne, 1952
45
bataille judiciaire qui monta jusqu’à la Cour Suprême
autrichienne, ni Wörgl ni aucune autre commune européenne
n’a été en mesure jusqu’ici de renouveler cette
expérience.
Dans son livre, Capitalism at its Best9
, Dieter Suhr
présente un rapport sur le mouvement pour « F argenttimbre
» [stamp scrip money] de Hans R. L. Cohrssen qui,
associé à l’économiste Irving Fisher, tenta d’introduire aux
Etats-Unis, également en 1933, le concept de Gesell : celui
d’une monnaie soumise à une taxe. A cette époque, plus
d’une centaine de communes, y compris plusieurs grandes
villes, avaient projeté de mettre en place un système de
monnaie provisoire. Cette question fut traitée au plus haut
niveau, à Washington, par le ministre du Travail, celui de
l’Intérieur et celui des Finances. Ceux-ci ne s’y montrèrent
pas opposés, mais aucun d’eux n’avait le pouvoir d’accorder
les autorisations nécessaires. Finalement, Dean Acheson (qui
devait par la suite devenir ministre des Affaires étrangères),
avant de prendre une décision, demanda son opinion au
professeur Russell Sprague, conseiller économique du
gouvernement. Cohrssen se souvient de la grande cordialité
de cette rencontre :
« Le professeur Sprague me dit… qu’en principe, il n’y
avait pas d’objection à ce qu’on utilise de Targenttimbre’dans
le but de créer des emplois. Cependant, notre
projet lui paraissait aller bien au-delà de cet objectif : il
s’agissait d’une tentative de remodeler le système monétaire
américain et de toute façon il n’avait lui-même aucune
autorité pour approuver une telle proposition. Cela mit fin
non seulement à notre mouvement, mais également à un
‘ Dieter Suhr, Capitalism at its Best (manuscrit non publié), 1988,
p. 122.
46
projet exemplaire qui aurait effectivement pu engendrer une
réforme monétaire. »10
Le 4 mars 1933, le président Roosevelt donna l’ordre aux
banques de fermer temporairement leurs portes, et il interdit
que l’on ait recours à cet expédient qu’est la planche à billets.
Cohrssen conclut :
« En résumé, nous pouvons affirmer que les difficultés
techniques pour atteindre la stabilité monétaire sont
mineures comparées à l’incompréhension générale du
problème lui-même. Aussi longtemps que l’illusion
monétaire… ne sera pas dépassée, il sera impossible de
mobiliser la volonté politique, sans laquelle il n’y a pas de
stabilité monétaire possible. »”
Selon la suggestion d’Otani12
, l’aspect technique de la
réforme, basée sur les modes de paiement d’aujourd’hui,
rendrait le recouvrement d’une « taxe d’utilisation » sur la
nouvelle monnaie beaucoup plus simple. Les 90 % de ce que
nous appelons « argent » ne sont que des données
numériques. Dans ces conditions, chacun de nous aurait
deux comptes : un compte courant et un compte d’épargne.
L’argent déposé sur le compte courant, à tout moment à la
disposition du titulaire du compte, serait traité comme du
liquide et pourrait voir sa valeur diminuer dans une
proportion très minime de l’ordre de 1 % par mois ou 6 % par
an. Toute personne disposant de plus d’argent sur son compte
courant qu’elle n’en a besoin pour régler toutes ses dépenses
mensuelles serait incitée par la taxe à transférer cette somme
sur un compte d’épargne. A partir de là, la banque serait en
10
Hans R. L. Cohrssen, “The Stamp Scrip Movement in the USA”,
ibid, p. 118
“ibid,p.l22
12
Yoshito Otani, Ursprung und Lösung des Geldproblems, Arrow
Verlag Gesima Vogel, Hamburg, 1981
47
mesure de prêter cet argent sans Intérêts à ceux qui en ont
besoin, durant un certain temps et, de cette façon, le compte
d’épargne ne serait pas taxé (cf. chapitre 6).
Le détenteur de la nouvelle monnaie ne toucherait donc
pas d’intérêts sur son compte d’épargne – mais la nouvelle
monnaie garderait sa valeur. Dès lors que les intérêts sont
supprimés, l’inflation n’a plus de raison d’être (cf. chapitre 1).
La personne bénéficiant d’un crédit ne paierait pas d’intérêts,
mais une prime de risque et des frais bancaires assez
comparables à ceux qui sont inclus dans tout prêt bancaire.
Ces charges s’élèvent aujourd’hui en Allemagne à environ
2,5 % du coût normal du crédit.
Il n’y aurait donc en pratique que très peu de
changement. Les banques fonctionneraient comme à
l’ordinaire, si ce n’est qu’elles seraient plus disposées à
accorder des prêts car elles aussi seraient soumises à un droit
d’utilisation, comme tout un chacun. Afin d’équilibrer
temporairement le montant disponible du crédit et de
l’épargne, elles seraient peut-être contraintes de payer ou de
recevoir de faibles intérêts selon qu’elles disposeraient ou
non, dans les comptes d’épargne, de cette nouvelle monnaie
en quantité plus grande qu’elles n’en ont besoin ou qu’elles
auraient ou non des problèmes de liquidités. Dans ce cas, les
intérêts ne serviraient que de mécanisme régulateur et non de
mécanisme de redistribution des richesses, comme ils le font
aujourd’hui.
Cette réforme serait basée sur un ajustement très précis
de la quantité d’argent en circulation à la quantité d’argent
nécessaire pour gérer toutes les transactions. Lorsque la
nouvelle monnaie aura été créée en quantité suffisante pour
traiter toutes les transactions, Il ne sera plus nécessaire d’en
émettre davantage. Cela signifie que l’argent suivrait alors un
48
schéma de croissance « naturelle » (courbe A, Figure 1) et
non plus un schéma de croissance exponentielle.
Un autre aspect technique de la mise en œuvre d’une telle
réforme monétaire concerne la prévention de la
thésaurisation. Il existe une solution plus élégante que celle
qui consiste à coller un timbre au dos d’un billet de banque :
elle consisterait à imprimer des billets de banque de couleurs
différentes afin que diverses séries de ces billets puissent être
retirées une ou deux fois par an, sans préavis. Cela ne
coûterait pas plus cher au gouvernement que le
remplacement des vieux billets de banque usagés par de
nouveaux billets, ainsi que cela se pratique aujourd’hui.
Comme le montrent les expériences américaines et
autrichiennes, l’aspect politique de cette réforme revêt une
importance plus grande que son aspect technique. Nous en
reparlerons au chapitre 3.
Si la réforme monétaire décrite ci-dessus devait être mise
en œuvre sur une grande échelle, une réforme de l’impôt
foncier devrait lui être associée. Sans une réforme foncière,
l’argent en excédent aurait tendance à s’investir dans la
spéculation foncière. Sans une réforme de la fiscalité, le
boom économique consécutif à l’introduction de la monnaie
sans intérêts pourrait avoir de graves conséquences sur
l’environnement.
LA NéCESSITé
D’UNE RéFORME FONCIèRE
L’argent et la terre sont deux choses indispensables à
notre vie. Nous ne pouvons vivre sans terres, quelle que soit
la nature de nos activités. La terre, donc, comme l’air et l’eau,
49
devrait appartenir à tout le monde. Comme le disent les
Indiens d’Amérique du Nord : « La Terre est notre Mère.
Comment pourrait-on la diviser et la vendre ? » La terre
devrait appartenir à la communauté et ensuite être louée par
cette dernière à tous ceux qui l’utilisent pour leurs besoins.
C’était la conception et l’usage dans de nombreux pays
européens jusqu’à l’introduction au Moyen Âge du droit
romain, lequel accordait une grande importance à la
propriété privée.
De nos jours, le monde est partagé entre deux systèmes :
* la propriété et l’utilisation privées de la terre dans les
pays capitalistes ;
* la propriété et l’utilisation communes de la terre dans
les pays à économie socialiste.
Dans les pays capitalistes, c’est la majorité des gens qui
payent pour les profits colossaux tirés de la spéculation sur
les terres privées (Figure 7) et la terre est de plus en plus
concentrée entre des mains de moins en moins nombreuses.
Dans les pays à économie socialiste, l’utilisation non
rentable des terres de la communauté constitue le problème
principal. Dans i’ex-Allemagne de l’Ouest, environ 70 % des
terres appartiennent à 20 % de la population. Au Brésil et
dans d’autres pays du Tiers Monde, les propriétaires fonciers
représentent une minorité qui ne dépasse pas 2 ou 3 % de la
population. Les problèmes, dans les pays capitalistes, sont
donc en partie liés à la propriété privée de la terre.
Dans les pays communistes, par exemple dans l’exURSS,
où la terre était possédée et utilisée de manière
collective, environ 60 % des denrées alimentaires étaient
produites sur des terres privées. Cela signifie que la source
des problèmes résidait dans la propriété et l’utilisation
collectives de la terre.
50
POUR ACQUéRIR UN TERRAIN à BâTIR EN ALLEMAGNE
DE L’OUEST DANS LES ANNéES 80, IL FALLAIT TRAVAILLER
3 Fois PLUS QUE DANS LES ANNéES 50
Sans prendre en considération la contribution des propriétaires, la valeur
des terrains à bâtir s’est accrue de mille milliards de DM depuis 1950.
* Pour quelles raisons la terre est-elle devenue de plus en plus chère à
l’achat ?
* Qui sont les bénéficiaires de la politique actuelle ?
* Que faudrait-il changer pour créer une situation plus équitable ?
Figure n°7
51
Une combinaison de l’utilisation privée et de la propriété
collective de la terre constituerait la solution la plus
avantageuse pour parvenir à la justice sociale et favoriser îe
développement personnel. C’est exactement la démarche que
préconisaient Henry George en 187913
, Silvio Gesell en
190414
et Yoshlto Otani en 198113
.
Concrètement, aujourd’hui, cela impliquerait qu’une
commune rachète en bloc toutes ses terres et les loue à bail
à tous ses habitants. Les pays dotés d’une constitution
progressiste n’auraient, au niveau des idées, aucune difficulté
à introduire ces changements. C’est ainsi que la constitution
de l’ex-République fédérale d’Allemagne définit la terre
comme un patrimoine porteur d’une responsabilité
« sociale ». Jusqu’à présent, toutefois, cette responsabilité
sociale n’a pas été assumée. La Figure 7 montre qu’en
moyenne, en 1982, les gens devaient travailler trois fois plus
longtemps qu’en 1950 pour acheter une propriété.
Au vu des conséquences catastrophiques des
expropriations dans les pays communistes, aucune nation
occidentale ne serait aujourd’hui en mesure de proposer
l’expropriation des terres sans Indemnisations à la clé. Bien
que le droit romain – qui a réintroduit, il y a environ cinq
siècles, la notion de propriété privée de la terre dans les
nations occidentales – ait été Imposé de force aux peuples
par leurs conquérants, ceux qui au début en ont bénéficié
appartiennent maintenant à un passé révolu et, de nos jours,
les propriétaires ont acheté la terre qu’ils occupent ou bien en
ont hérité légalement.
13
Henry George, Progress and Poverty, San Francisco, 1879
14
Gesell, op. cit., p.74
15
Yoshito Otani, Die Bodenfrage und ihre Lösung, Arrow Verlag
Gesima Vogel, Hamburg, 1981
52
Dans ces conditions, une société ayant le souci de
l’équité devrait allouer une indemnisation quelconque aux
personnes expropriées. Une possibilité envisageable sur le
long terme consisterait à imposer une petite redevance
d’environ 3 % par an sur la valeur de chaque parcelle de
terre. Le produit de ces redevances serait reversé à la
commune et affecté à l’achat de terres disponibles sur le
marché. De cette façon, la commune deviendrait propriétaire
de ses terres en un peu plus de 33 ans.
L’autre solution serait que les propriétaires fonciers
soient informés de la possibilité de ne pas payer de
redevances à condition de vendre leurs terres à la commune.
Ainsi, par exemple, la taxe de 3 % serait déduite du prix
normal après 33 ans. Il n’y aurait pas d’échange monétaire.
Dans l’intervalle, les propriétaires auraient encore le droit
d’utiliser leurs terres – mais après la période de 33 ans, ils
leur faudrait payer annuellement à la commune un loyer de
3 % de la valeur foncière.
Cette législation aurait pour effet immédiat de mettre un
terme à la spéculation foncière. La plupart des terres que les
gens possèdent aujourd’hui seraient mises en vente afin
d’éviter des pertes continuelles. Plus II y aurait de terres
disponibles, plus le prix de celles-ci baisserait, tandis que
beaucoup plus de gens auraient la possibilité d’utiliser de
manière productive la terre disponible. Cela pourrait avoir,
principalement dans les pays en voie de développement, un
effet considérable sur la production alimentaire, car la
diminution constante des denrées alimentaires disponibles
par rapport au nombre de gens à nourrir n’est pas une
question de technique agricole, mais tient au fait qu’il y a de
moins en moins de terres disponibles pour les petites
exploitations agricoles.
53
Dans les pays en vole de développement comme dans les
pays industrialisés, les locataires bénéficieraient, dans ce
nouveau système, de tous les avantages de la réglementation
actuelle sur les baux héréditaires. Ils pourraient utiliser leurs
propriétés dans les limites des restrictions imposées par les
plans locaux d’occupation des sols. Ils pourraient construire
sur leurs terres. Ils pourraient vendre leurs maisons ou les
léguer à leurs descendants. Ils pourraient, sans que la
commune s’en mêle, les louer à des tiers aussi longtemps
que ces derniers paieraient leur loyer. En déterminant le
montant exact du loyer grâce à des soumissions, à des
enchères publiques ou à tout autre procédé similaire,
l’inefficacité caractéristique des procédures des économies
planifiées ou bureaucratiques pourrait être évitée.
Ce changement soulagerait enfin d’un énorme fardeau les
populations actives qui, en fin de compte, paient toujours
pour les profits des spéculateurs. La terre, en fait, a toujours
été utilisée dans des buts spéculatifs. Dans ces conditions,
une évolution réaliste vers une solution sociale viendra à
bout de la spéculation monétaire et foncière. Là encore, la
solution proposée ne vise pas à punir ceux qui profitent du
système actuel : elle a pour raison d’être de mettre fin,
lentement mais sûrement, à une situation qui offre d’énormes
avantages à un petit nombre de gens, tout en contraignant le
plus grand nombre à payer pour eux.
LA NéCESSITé
D’UNE RéFORME FISCALE
En Allemagne, on estime à l’heure actuelle que la part du
produit national brut « soupçonnée » d’entraver une
54
économie respectueuse de l’environnement est de 50 à
75 %16
. Dans ces conditions, s’efforcer d’augmenter la
production et l’emploi grâce aux réformes foncières et
monétaires préconisées pourrait nécessiter deux
changements dans la façon dont sont prélevés les impôts, car
sans ces mesures, de grands désastres écologiques
risqueraient fortement de se produire :
(1) substituer une taxe sur les produits à l’impôt sur le
revenu ;
(2) intégrer à cette taxe sur les produits les coûts
écologiques estimés.
Hermann Laistner17
, qui explique cette idée en détail
dans son livre, Die Ökologische Wirtschaft [L’Économie
écologique], fait remarquer que l’impôt sur le revenu rend
finalement la main-d’œuvre plus chère, ce qui entraîne une
mécanisation accrue. Celle-ci, à son tour, favorise
l’épuisement des ressources limitées, en raison de la baisse
continue du prix des produits de grande consommation. Si
une taxe sur les produits était introduite – laquelle inclurait
également leurs coûts écologiques estimés – les prix
auraient, dans une certaine mesure, tendance à augmenter.
Associé à un moindre coût de la main-d’œuvre, ce système
rendrait moins nécessaire l’automatisation accrue de la
production et davantage de gens trouveraient du travail.
Aujourd’hui, la collectivité paie deux fois quand un
travailleur est remplacé par une machine. D’une part elle
perd l’impôt sur le revenu – les revenus des machines n’étant
pas imposés – et d’autre part elle paie des allocations
chômage au travailleur privé d’emploi. Par ailleurs, le travail
16
Pierre Fomaliaz, Die Ökologische Wirtschaft, AT Verlag, Stuttgard.
1986
17
Hermann Laistner, Die Ökologische Wirtschaft, Verlag Max Huber,
Ismanning près Munich, 1986
55
au noir a pris de nos jours une grande ampleur parce que les
gens veulent échapper à l’impôt sur le revenu. Si ce dernier
était supprimé, cette économie parallèle pourrait enfin
devenir légale.
Tout en n’entraînant aucune baisse du niveau de vie –
parce que l’augmentation des prix serait compensée par
l’absence d’impôt sur le revenu – ce changement entraînerait
à long terme chez le consommateur des comportements très
différents et plus proches des préoccupations écologiques.
Les gens réfléchiraient à deux fols avant d’acheter une
nouvelle voiture, car cela reviendrait beaucoup plus cher que
de réparer l’ancienne.
Ce changement de système fiscal pourrait être Introduit
progressivement, même sans réforme monétaire et foncière.
Il épaulerait efficacement bon nombre des revendications et
propositions avancées par les écologistes depuis des dizaines
d’années. Associé aux deux autres réformes, Il rendrait
obsolètes de nombreux problèmes liés à l’environnement et
de nombreuses « mesures de protection », tout en
contribuant à résoudre le problème du chômage.
56
CHAPITRE TROIS
MI profiterait
d’un nouveau type de
système monétaire ?
57

Les évolutions sociales et individuelles semblent se
produire pour trois raisons fondamentalement différentes :
(1) parce qu’une crise, due à un type de comportement
particulier, s’est déjà produite et donc pour éviter
qu’elle ne se répète ;
(2) parce qu’une crise, due à un type de comportement
particulier, pourrait se produire et donc précisément
pour l’éviter ;
(3) parce qu’un autre type de comportement semble plus
approprié pour parvenir au résultat escompté.
Le changement de système monétaire proposé au
chapitre précédent pourrait survenir pour n’importe laquelle
de ces raisons, pour une combinaison de ces raisons ou pour
toutes ces raisons réunies.
(1) Dans le passé, l’accumulation cancéreuse des
richesses a été régulièrement entravée par les
révolutions sociales, les guerres et les crises
économiques. De nos jours, l’interdépendance
économique sans précédent de toutes les nations et le
potentiel extraordinaire de destraction globale rend
ce mécanisme de résolution des conflits
inacceptable. Nous sommes obligés de trouver
des solutions nouvelles pour éviter d’autres guerres,
révolutions ou crises économiques.
(2) Selon de nombreux spécialistes de l’économie et de
la finance, le krach boursier de 1987, au cours
59
duquel 1500 milliards de dollars s’envolèrent en
fumée en l’espace de quelques jours, ne fut en fait
que broutille comparé au danger imminent d’une
nouvelle grande crise économique, semblable à celle
de 1929, qui a de fortes chances de se produire si
nous ne procédons pas à des changements
fondamentaux au cours des quelques années à
venir18
. En changeant maintenant de système
monétaire, nous pourrons éviter les coûts énormes,
au plan humain et matériel, d’un tel désastre.
(3) Que nous soyons capables ou non de comprendre
que toute courbe de croissance exponentielle
s’achève inéluctablement par une autodestruction,
les avantages d’un passage à un nouveau système
monétaire sont si évidents en termes d’équité sociale
et environnementale que cette voie devrait être
empruntée pour la simple raison qu’elle est meilleure
que celle où nous sommes engagés actuellement.
Quoi qu’il en soit, le problème principal dans tout
processus de transformation n’est pas tant la peur du
changement ou le fait que l’on ne voit pas bien les avantages
de ce à quoi l’on aspire, mais plutôt de savoir comment
passer d’une situation à une autre – comment sauter d’un
trapèze à l’autre sans mettre sa vie en danger ?
Afin de mieux comprendre comment cette
transformation pourrait aux groupes sociaux les plus divers
d’atteindre leurs buts, examinons d’abord de plus près les
défauts du système monétaire actuel, puis les avantages du
nouveau système pour les riches et pour les pauvres, les
dirigeants et les individus, les minorités et la majorité, les
18
John L. King, On the Brink of Great Depression II, Future Economie
Trends, Goleta, CA, 1987, p.36
60
Industriels et les écologistes, les matérialistes et les
spiritualistes. A ce moment particulier de l’histoire, dans
cette situation de crise que nous avons nous-mêmes créée, le
point intéressant est que tout le monde verrait son sort
s’améliorer au sein d’un nouveau système monétaire. Nous
serons tous dans une situation ne présentant que des
avantages si nous réalisons les changements nécessaires.
Mais II est grand temps de se mettre à l’ouvrage.
LES AVANTAGES
EN GéNéRAL
Jusqu’ici, dans notre analyse, nous avons examiné des
faits et des chiffres que tout le monde peut vérifier. A partir
de maintenant, nous nous baserons sur des « hypothèses
sérieuses » qui reposent sur des expériences passées. La
justesse de ces hypothèses devra être corroborée par des
exemples réels.
Une question, cependant, nous vient immédiatement à
l’esprit : pour quelles raisons un pays ou une région
choisiraient-iîs d’essayer ce nouveau système monétaire ou
d’en être le terrain d’essai ?
Si notre analyse a été correcte jusqu’ici, les solutions
préconisées présentent, entre autres, les avantages suivants :
(1) l’élimination de l’inflation,
(2) une plus grande justice sociale,
(3) un chômage en baisse,
(4) une baisse des prix de l’ordre de 30 à 50 %,
(5) un boom économique immédiat,
(6) et enfin, une économie stable.
61
LES DéFAUTS
DU SYSTèME MONéTAIRE ACTUEL
Dans la plupart des pays, la frappe de la monnaie reste le
monopole de l’État. Dans ces conditions, toute
expérimentation du nouveau système monétaire – même sur
une petite échelle, à l’échelon régional par exemple – devrait
bénéficier du soutien du gouvernement. Il est évident que
l’introduction d’une monnaie sans intérêts constituerait un
problème hautement politique. Il faut du courage à n’importe
quel gouvernement pour admettre qu’un système si
inégalitaire ait pu être toléré jusqu’ici. D’un autre côté, pour
la plupart des gens, il est manifestement très difficile de
comprendre pourquoi une « taxe » sur l’argent est une
meilleure solution que les intérêts.
A l’heure actuelle, les responsables gouvernementaux,
les hommes politiques, les banquiers et les économistes
s’efforcent de trouver des solutions aux problèmes
qu’engendrent les défauts fondamentaux du système en
traitant les symptômes et en proposant des solutions à court
terme. Lors des campagnes électorales, les hommes
politiques promettent régulièrement de combattre l’inflation,
d’améliorer les services sociaux, de s’attaquer aux problèmes
de l’environnement et de la protection de la nature.
En vérité, ils se battent le dos au mur et la situation, loin
de s’améliorer, ne cesse de se dégrader au fur et à mesure que
l’on se rapproche de la phase d’accélération de la courbe de
croissance exponentielle du système monétaire. Loin
d’apporter des améliorations dans les domaines des services
sociaux et de l’environnement, les coupes sombres
pratiquées dans les budgets entraînent une aggravation de la
situation. Qu’il s’agisse d’hommes politiques conservateurs
62
ou progressistes, Il y a en vérité très peu d’espace, dans le
système actuel, pour un véritable changement.
La Figure 8 explique les raisons de cette situation. Dans
toute économie très diversifiée, chaque secteur est
intimement lié à un autre. Si l’on pénalise trop un secteur, on
ne manque pas de provoquer des désordres, non seulement
dans ce secteur, mais également dans les autres.
63
POURQUOI L’ECONOMIE
EST-ELLE PRISE DANS CET ENGRENAGE ?
* Ces réactions en chaînes peuvent-elles être stoppées ?
* Qui devrait intervenir ?
* Qu’est-ce qui devrait changer dans le mécanisme de la
circulation monétaire ?
Figure n°8
64
Lorsque la dette publique et son coût augmentent, une
plus grande quantité d’argent va vers les détenteurs de la
richesse monétaire. En même temps, ceux qui travaillent ont
moins d’argent à leur disposition pour consommer, ce qui
entraîne les fluctuations du marché et leurs conséquences
négatives sur l’emploi. Les gouvernements qui accroissent
leurs dettes pour boucler leurs budgets amplifient ainsi
invariablement ce phénomène de réactions en chaîne. Le
nouveau système monétaire contribuerait à réduire
l’augmentation disproportionnée des dettes ainsi que la
concentration, entre les mains d’un petit nombre, de l’argent
et des richesses, et assurerait l’échange régulier des biens et
des services dans une économie de marché.
Si déjà nous avons l’impression que la situation est
difficile dans les pays industrialisés, nous ferions bien de
jeter un regard sur celle des pays du Tiers Monde, qui
subissent les pires conséquences du système actuel. Alors
que les grandes banques américaines et allemandes
accroissent leurs réserves afin d’être prêtes à faire face à
l’effondrement financier de leurs débiteurs dans les pays en
voie d’industrialisation, les pays industrialisés continuent à
importer une partie de leur capital.
En accordant de nouveaux prêts pour contribuer au
remboursement des anciens, ils prolongent et amplifient la
crise de la dette internationale. Le fait que cette tendance
doive absolument s’inverser a été clairement démontré dans
le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et
le développement de l’O.N.U, intitulé Notre futur commun.
Ce document prouve également que les crises de l’économie
mondiale et de l’écologie planétaire, apparemment
distinctes, n’en constituent en réalité qu’une seule.
.65
«L’écologie et l’économie sont de plus en plus
interdépendantes – au niveau local, régional, national et
mondial – selon un déterminisme strict dans l’enchaînement
des causes et des effets… Les dettes qu’elles ne peuvent pas
rembourser obligent les nations africaines à s’en remettre à la
vente de leurs matières premières jusqu’à l’épuisement de
leurs sols fragiles, lequel a pour conséquence de transformer
la terre en désert…
Les systèmes de production d’autres pays en voie de
développement souffrent tout autant des défaillances locales
que des mécanismes des systèmes économiques
internationaux. Conséquence de la « crise de la dette » des
pays d’Amérique Latine, les ressources naturelles de cette
région sont maintenant utilisées non pas pour le
développement, mais pour faire face aux obligations
financières envers les créanciers étrangers.
Cette approche du problème de la dette est, à différents
points de vue – économique, politique et écologique – une
vision à court terme des choses. Elle implique que des pays
relativement pauvres acceptent simultanément une pauvreté
croissante tout en exportant des quantités toujours plus
importantes de leurs maigres ressources.
Les inégalités constituent le principal problème
« écologique » de la planète, et ce sont elles qui entravent le
plus son développement. »19
Selon M. Herrhaus, directeur de la plus grande banque
allemande (la Deutsche Bank), « La structure et la dimension
du problème défient les techniques traditionnelles de
résolution des problèmes. »20
19
UN World Commission on Environment and Development, Our
Common Future, Oxford University Press, Oxford and New York, 1982
20
Interview au Spiegel, op. cit., p.59
66
Ceux qui gèrent le système monétaire actuel savent
pertinemment qu’il ne peut durer. Cependant, ou bien ils
ignorent l’existence d’une alternative possible, ou bien ils
refusent d’en entendre parler. La Figure 9 nous donne au
moins une explication à cette attitude. Par rapport au produit
national brut et à l’accroissement de la dette, les banques se
sont adjugé une part disproportionnée de la richesse
nationale. Cela est dû en partie aux bas taux d’intérêt qui
procurent aux banques de meilleurs profits, mais aussi à une
spéculation monétaire accrue. Tout cela entraîne une
augmentation des frais de courtage. Les banquiers avec qui
j’ai discuté de ce problème n’avaient pas connaissance d’une
solution de rechange. Dès lors que je leur avais présenté
cette alternative, ils en tiraient souvent la conclusion qu’ils
ne pouvaient la divulguer sans mettre en danger leur
situation.
Les banques ne souhaitent pas débattre ouvertement de
la façon dont fonctionne le système des taux d’intérêt, sauf
dans une perspective à long terme. A l’heure actuelle, elles
changent manifestement leur fusil d’épaule.
67
LA CROISSANCE DU PNB EN R.F.A.
ENTRE 1950 ET 1989
Le PNB a été multiplié par 22.
La dette nationale a été multipliée par
75.
Les transactions bancaires ont été
multipliées par 88.
* Quelles sont les causes de cette croissance démesurée dans le
domaine monétaire ?
* Quelles sont les conséquences de ce phénomène pour la
société ?
* Que pourrait-on faire pour réduire ce déséquilibre ?
Figure n°9
68
La Figure 10 nous montre quelques déclarations
fallacieuses que l’on trouve dans des publicités que les
banques font publier dans des magazines et des journaux
partout dans le monde. L’argent – disent les banquiers – doit
« croître », « se multiplier ». Le plus souvent, elles essayent
de convaincre les gens que l’argent devrait « travailler » pour
eux. Cependant, personne n’a jamais vu de l’argent
« travailler ». Le travail a toujours été le fait des hommes,
avec ou sans machines.
Ces publicités dissimulent le fait que tout DM ou dollar
qui arrive dans les mains d’un investisseur résulte des efforts
accomplis par une autre personne, laquelle a été spoliée de
cette somme, quelle que soit la façon dont cela s’est produit.
En d’autres termes, les gens qui travaillent pour gagner leur
argent s’appauvrissent au même taux que les investisseurs
s’enrichissent. C’est là le véritable mystère de l’argent qui
« travaille » – un mystère que les banques n’aiment pas du
tout voir dévoiler.
Selon mon expérience, ceux qui, du fait de leur
éducation, devraient prendre conscience du problème et de
sa solution -j e veux parler des économistes – craignent pardessus
tout d’être qualifiés d’« extrémistes ». En effet, pour
eux, soutenir un système monétaire sans intérêts reviendrait
à essayer de s’attaquer aux racines de l’un des problèmes
économiques mondiaux les plus urgents.
Deux des plus grandes personnalités de ce siècle, Albert
Einstein et John Maynard Keynes, ont clairement perçu
l’importance de la réforme monétaire proposée par Gesell.
Keynes a même déclaré en 1936 : « L’avenir tirera plus de
leçons des idées de Gesell que de celles de Marx. »21
21
John Maynard Keynes, The General Theorie of Employaient, Interest
and Money, London, 1936 (réédité en 1967), p.355
69
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L’ARGENT
Gagnez de l’argent
Gagnez de l’argent
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Il y a en moyenne 200 000 DM derrière chaque emploi.
* Comment est-il possible de gagner de l’argent avec
de l’argent ?
* Qui contribue à la productivité ?
* Qui tire profit du « travail » de l’argent ?
Figure n°10
70
Cet avenir, toutefois, n’est pas encore là, bien que
banquiers et économistes n’aient nul besoin d’être très
clairvoyants pour admettre qu’un nouveau système
monétaire leur permettrait de résoudre le dilemme central
auquel ils sont confrontés depuis des décennies. Voici
comment John L. Ring décrit leur aveuglement dans son
livre, On The Brink of Great Depression II [ A la veille de la
deuxième grande dépression] :
« Leurs statistiques, résultats de calculs informatiques
longs et complexes, se sont avérées si inadéquates que, parvoie
de conséquence, leurs prédictions sont devenues
célèbres pour leur grossière inexactitude. C’est comme si
nous avions appris à ces gens à aller au-delà de leur faculté
de penser. »~
Personnellement je crois que, à l’inverse de la plupart des
techniciens, les économistes ne comprennent pas vraiment le
danger qu’implique une croissance exponentielle. Ils sont
capables de reconnaître ce danger dans la prolifération du
viras du sida ou dans « l’explosion démographique » ; mais
dans leur propre domaine, ils paraissent pratiquement
aveugles et ont la certitude naïve qu’un traitement
symptomatique, ici et là, suffira à écarter le danger.
Les gouvernements qui introduiraient ce type de réforme
monétaire seraient rapidement amenés à œuvrer pour la
justice sociale et la survie au plan écologique, ainsi que pour
la guérison des maux qui affectent la monnaie et qui, durant
des décennies, ont constitué pour ce qu’on appelle les
« économies libérales » un véritable fléau.
1
Mm L. King, op. cit., p. 162
71
LES AVANTAGES DONT BéNéFICIERAIT
LE PAYS (OU LA RéGION) QUI INTRODUIRAIT
LE PREMIER CES CHANGEMENTS
La possibilité d’investir et de produire sans avoir à payer
des intérêts ne permettrait pas seulement de diminuer le prix
des biens et des services dans les régions ou les pays qui
introduiraient le nouveau système monétaire, mais elle
constituerait également un énorme avantage pour les
industries et les produits en compétition sur le marché
national ou sur les marchés mondiaux. Quel que soit le taux
d’intérêt en vigueur, les prix des biens et les services seraient
beaucoup moins élevés. Cela entraînerait rapidement un
boom économique dans les régions qui, les premières,
auraient introduit l’argent sans intérêts.
On pourrait penser que ce changement aurait comme
inconvénient de constituer une menace pour l’environnement.
En réalité, en dehors de la possibilité d’instaurer
un meilleur système fiscal (comme celui décrit ci-dessus),
nous devons envisager la situation suivante.
Beaucoup de produits et services qui, à l’heure actuelle,
ne peuvent rivaliser avec le pouvoir rémunérateur de l’argent
sur le marché monétaire, deviendraient subitement
économiquement viables. Parmi ces biens et services, il y
aurait de nombreux produits écologiques et des projets à
caractère social et artistique, lesquels pourraient être souvent
menés à bonne fin à condition de « rentrer dans ses frais ».
Tout ceci engendrerait une base économique plus diversifiée,
plus stable et sans danger pour l’environnement.
Le taux de chômage baisserait en même temps que
l’activité économique s’épanouirait, ce qui aurait pour effet
72
de rendre moins nécessaires les allocations chômage, de
mettre un terme au développement incessant de la bureaucratie
et à la hausse des impôts.
Si l’argent sans intérêts n’était introduit que dans une
seule région, il faudrait qu’il y ait un taux de change modéré
pour faciliter l’activité commerciale entre cette région et les
autres régions du pays. Jusqu’à ce que le pays tout entier
adopte le nouveau système monétaire, il faudrait établir
certaines règles pour prévenir les opérations de change
spéculatives.
Si l’argent sans intérêts était introduit dans un pays tout
entier, le commerce avec les pays étrangers se poursuivrait
comme aujourd’hui. Il y aurait toujours un taux de change
ordinaire. Cependant, la stabilité de cette monnaie
entraînerait au fil des années une augmentation des taux de
change en sa faveur par rapport à d’autres monnaies, parce
qu’elle ne courrait pas le risque d’être dévaluée en raison de
l’inflation. Dans ces conditions, le fait d’investir dans cette
monnaie constituerait un réel avantage par rapport aux
monnaies instables, telles que le dollar actuellement.
Tout comme dans le cas de Wörgl décrit plus haut (cf.
chapitre 2), deux systèmes monétaires pourraient même
coexister. Nous pourrions conserver celui que nous avons
actuellement tout en introduisant la nouvelle monnaie, et ce,
même dans une région ou une ville relativement petite. Selon
la loi de Gresham, la « mauvaise » monnaie chasse la
« bonne ». La monnaie que nous voulons créer est, au sens
où l’entendait Gresham, une « mauvaise » monnaie –
soumise à une taxe d’utilisation, à l’inverse de la monnaie
actuelle. Chaque fois que les gens pourront payer avec la
« mauvaise » monnaie, ils la feront circuler et conserveront
précieusement la « bonne ». De cette façon, la nouvelle sera
73
utilisée aussi souvent que possible, ce qui correspond
exactement à l’effet recherché. L’ancienne sera conservée et
utilisée dans la mesure du nécessaire. Ce faisant, Introduit au
début en tant que système expérimental dans une région
particulière, le système monétaire proposé pourrait
également coexister avec le système actuel jusqu’à ce qu’il
ait prouvé son utilité.
Qui d’autre pourrait tirer profit d’un nouveau système
monétaire ?
LES RICHES
Les personnes qui commencent à comprendre l’efficacité
du mécanisme caché de redistribution de la richesse dans le
système monétaire actuel posent souvent cette question
cruciale : est-ce que les 10 % de la population qui profitent
présentement de ce mécanisme permettront le moindre
changement susceptible de mettre à mal la possibilité qu’ils
ont de soutirer sans travailler un revenu à la grande majorité
des gens ?
La réponse historique est bien sûr que non – à moins d’y
être contraints par ceux qui paient. La nouvelle réponse est
la suivante : bien sûr que oui, s’ils prennent conscience du
fait que « la branche sur laquelle Us sont assis pousse sur un
arbre malade » et qu’il existe un « arbre de remplacement
sain » – un arbre qui ne risque pas de s’abattre à plus ou
moins long terme. La seconde réponse implique l’évolution
sociale ; c’est la voie « douce ». La première réponse
implique la révolution sociale ; c’est la voie « dure ».
La voie « douce » donne aux riches la possibilité de
conserver leurs profits liés au système des intérêts. La voie
74
« dure » les conduira inéluctablement à des pertes
importantes.
La voie « douce » n’implique aucune mise en cause de
ceux qui ont tiré profit des taux d’intérêt avant l’instauration
du nouveau système monétaire, étant donné qu’ils étaient
totalement dans leurs droits en agissant de la sorte. La voie
« dure » de la révolution sociale risque d’être bien plus
douloureuse. La voie « douce » implique que l’on ne gagnera
plus d’argent sans travailler. En revanche, elle est synonyme
de monnaie stable, de baisse des prix et sans doute d’une
baisse des impôts. La voie « dure » implique une insécurité
grandissante, l’instabilité, une inflation galopante, des prix
en hausse et des impôts élevés.
Jusqu’ici mon expérience avec les individus faisant
partie des « 10 % les plus riches » a été la suivante : ils n’ont
pas pleinement conscience du fonctionnement réel du
système des taux d’intérêt, ni de l’existence de solutions de
rechange. Dans leur grande majorité, ils auraient tendance à
choisir la sécurité plutôt que des profits supplémentaires, car
ils ont presque tous assez d’argent pour eux-mêmes et parfois
même pour les générations à venir.
La seconde question est la suivante : qu’arriverait-il si les
riches transféraient leur argent dans d’autres pays où ils
pourraient profiter de taux d’intérêt supérieurs, au lieu de le
mettre sur leurs comptes d’épargne où il garderait sa valeur
mais ne fructifierait pas ?
La réponse est que très peu de temps après l’introduction
de la réforme, ils feraient probablement l’opposé. En effet, ce
que les gens gagnent dans d’autres pays grâce aux intérêts,
déduction faite de l’inflation, serait à peu près équivalent à
l’accroissement en valeur de la nouvelle monnaie chez eux,
du fait que celle-ci ne serait pas soumise à l’inflation.
75
En fait, le danger pourrait se situer exactement à
l’opposé. Il y a le risque de créer une sorte de « superSuisse
» avec une monnaie stable et une économie en pleine
expansion. En Suisse, des années durant, les investisseurs
devaient même payer des intérêts pour laisser leur argent sur
un compte en banque. A l’inverse, les Etats-Unis, qui
offraient les plus hauts taux d’intérêt au début de
l’administration Reagan, attirèrent ainsi les excédents
monétaires de toute la planète, ce qui conduisit ce pays à
dévaluer de manière drastique le dollar afin de faire face à
ses obligations vis-à-vis de ses créanciers à l’étranger. Avec
des taux d’intérêt à 15 %, les Etats-Unis auraient dû reverser,
après cinq années, environ deux fois les sommes investies
par les bailleurs de fonds étrangers. Ils n’auraient jamais pu
honorer ces obligations si le dollar avait conservé sa valeur
initiale. Une autre conséquence de cette politique fut que les
Etats-Unis passèrent d’une situation où ils étaient le plus
grand État créancier du monde à celle du plus grand État
débiteur, et ce, en l’espace de huit années seulement.
La quantité colossale de capitaux flottants – estimés à
environ 50 milliards de dollars !! – qui circulent dans le
monde d’une place financière à une autre, à la recherche
d’investissements rentables, démontre qu’il y a pénurie de
possibilités de tels investissements plutôt que pénurie
d’argent. Cette situation changerait dans une région ou un
pays qui, en introduisant une monnaie sans intérêts, créerait
une économie en pleine expansion, stable et diversifiée. Il
est probable que c’est l’excédent monétaire venu de
l’extérieur qui serait investi sur le marché intérieur et non
l’excédent monétaire intérieur qui quitterait la région.
A bien des égards, il serait donc plus rentable pour les
riches de participer à l’avènement de la réforme monétaire et
76
de soutenir un système stable, plutôt que de contribuer à une
instabilité croissante et de risquer un krach inévitable.
Une troisième question relative à la frange la plus riche
de la population concerne ceux qui vivent de leur capital et
sont trop âgés pour travailler. Quel sera leur sort si les
intérêts sont supprimés ?
Pour ce qui est des taux d’inflation et d’intérêt, un
exemple pris en Allemagne montre que ceux qui peuvent
aujourd’hui vivre du produit de leur capital sont en mesure
de le faire pour au moins une génération, si ce n’est deux ou
plus encore. En supposant que l’actif immobilisé d’une
personne se monte à 1 million de DM (avec un taux d’intérêt
moyen à 7 % et un taux d’inflation à 3 %), ses revenus bruts
s’élèveront à 40 000 DM par an, sans diminution du capital.
Dans le nouveau système monétaire, les intérêts et
l’inflation sont supprimés, ce qui diminue le prix de tous les
biens et services ainsi que les impôts d’environ 40 %. Cela
signifie que cette même personne aura besoin d’un revenu
brut de 24 000 DM pour pouvoir garder le même niveau de
vie que dans le système actuel. Si nous divisons 1 000 000
par 24 000, nous voyons que cette personne pourrait vivre
pendant 40 ans de son capital.
Ce que montre cet exemple, c’est que pratiquement tous
ceux qui actuellement sont en mesure de vivre de leur propre
capital le seront également si le système monétaire change.
Parmi les 10 % les plus riches de la population, il y a
ceux dont les actifs dépassent un million de DM.. Mais il y a
aussi ceux qui, chaque jour, gagnent plus d’un million de DM
d’intérêts. Selon des sources officielles23
, le revenu quotidien
de la Reine d’Angleterre, la femme la plus riche du monde,
était de 700 000 livres (environ 6 millions de francs) en
23
Aachener Nachrichten, 29.5.85
77
1982. Bien que ni la Reine, ni des entreprises comme
Siemens, Daimler-Benz et General Motors n’aient de
véritable pouvoir officiel, les sommes considérables que
détient tout ce beau monde constituent en réalité un pouvoir
officieux. Les scandales des pots-de-vin versés par des
grandes entreprises pour financer des partis politiques en
Allemagne, aux Etats-Unis et dans d’autres pays
occidentaux, ont démontré que toutes les démocraties sont
menacées quand on laisse se perpétuer le mécanisme actuel
de redistribution monétaire. Avec le temps, ceux qui croient
vivre dans une démocratie se retrouveront, dans le meilleur
des cas, sous le joug d’oligarchies ou, dans le pire, sous un
régime fasciste. Au Moyen Âge, les gens se plaignaient
parce qu’ils devaient payer la dîme – un dixième de leurs
revenus ou de leur production – au propriétaire féodal. A cet
égard, leur sort était plus enviable que le nôtre : aujourd’hui,
plus d’un tiers de chaque DM ou dollar paie les intérêts du
capital. Ceux qui tirent le plus profit de cette situation sont
les super-riches, les multinationales, les grandes compagnies
d’assurances et les banques.
Nous avons maintenant deux possibilités : soit nous
comprenons que le système monétaire actuel engendre
l’injustice sociale et, par voie de conséquence, nous nous
efforçons de le changer, soit nous préférons attendre un
effondrement économique ou écologique planétaire, ou
encore une guerre ou une révolution mondiale. Étant donné
qu’il est impossible que des individus ou de petits groupes
puissent à eux seuls changer le système monétaire actuel,
nous devons nous efforcer de rassembler ceux qui ont
compris comment le transformer et ceux qui ont le pouvoir
de le faire. Dans cette perspective, les points suivants
doivent être clairs :
78
* ceux qui, actuellement, profitent du système des
intérêts ne doivent en aucun cas être mis en accusation, car
ils sont pour l’instant parfaitement dans leur droit ;
* toutefois, ce à quoi l’on peut mettre un terme, c’est à la
possibilité qu’ont les gens de puiser continuellement de
l’argent dans l’économie sans travailler ;
* il ne devrait pas y avoir de lois stipulant les modalités
futures d’investissement par ceux qui en ont plus d’argent
que nécessaire. S’ils sont intelligents, ils le laisseront de
toute façon dans leur pays, ce qui entraînera un nouveau
boom économique grâce à la suppression du système des
intérêts.
79
DISTRIBUTIO N D E L A RICHESS E MONéTAIR E
EN ALLEMAGNE DE L’OUEST
A quelle catégorie de la population appartenez-vous ?
Comment une telle injustice a-t-elle pu se développer ?
Quelles sont les conséquences d’une telle concentration
de la richesse ?
Figure m°ll
80
LES PAUVRES
Les pauvres bénéficieraient-ils aussi d’un nouveau
système monétaire ? Si l’on établissait la moyenne des
avoirs en Allemagne, chaque famille allemande aurait
disposé en 1939 d’une fortune personnelle de 100 000 DM.
Ce serait une formidable preuve de prospérité si cette
richesse était justement répartie. La triste réalité est que la
moitié de la population doit se contenter de 4 % de cette
richesse tandis que l’autre moitié en détient 96 %. (Figure
11). Pour être plus précis, la richesse de 10 % des citoyens
augmente continuellement aux dépens de tous les autres.
On comprend ainsi pourquoi, en Allemagne, les familles
issues de la petite bourgeoisie sont de plus en plus obligées
de rechercher une aide financière auprès des bureaux d’aide
sociale. Le chômage et la pauvreté augmentent en dépit d’un
système de protection sociale impressionnant mis en place
pour venir à bout de ces deux fléaux.
L’élément déterminant dans le système de redistribution
de la richesse est le système des intérêts qui soutire
quotidiennement 500 à 600 millions de DM à ceux qui
travaillent pour les reverser à ceux qui détiennent le capital.
COMPARAISON DES TAUX D’INTéRêTS,
DE CHôMAGE ET DU NOMBRE DES FAILLITES
Plus les réserves monétaires sont faibles, plus les taux d’intérêt
augmentent, ce qui entraîne une élévation
du nombre des chômeurs et des faillites.
FAILLITES (EN MILLIERS)
Pourquoi le chômage augmente-t-il lorsque les taux d’intérêt
sont élevés ?
Pourquoi ces différents facteurs sont-ils interdépendants ?
Comment peut-on remédier à cette situation ?
Figure n°12
82
Même si la plupart des gouvernements s’efforcent de
compenser ce déséquilibre par le biais de l’impôt, il n’en
reste pas moins que la situation demeure complètement
déséquilibrée. En outre, les coûts sans cesse croissants d’une
bureaucratie omniprésente affectent tout le monde en raison
de l’augmentation des impôts. Le coût humain en termes de
temps et d’énergie, auquel II faut ajouter l’humiliation
engendrée par les tracasseries administratives, est rarement,
pour ne pas dire jamais, pris en compte.
L’absurdité d’un système monétaire qui, dans un premier
temps, dépossède les gens de leur juste part du gâteau de
« l’économie libérale », pour ensuite – par le biais des
procédures les plus inefficaces que l’on puisse imaginer –
redistribuer une partie de cet argent sous la forme
d’allocations sociales à ces mêmes personnes, a rarement été
dénoncée par les « experts », pas plus qu’elle n’a fait l’objet
d’un débat public. Aussi longtemps que ces 80 % de gens qui
payent ne comprendront pas comment ils payent, pourrait-il
en être autrement ?
Une comparaison entre la hausse des taux d’Intérêt,
l’augmentation du nombre des faillites dans le commerce et
l’industrie et celle du taux de chômage, qui suit avec un
décalage d’environ deux ans (Figure 12), fournit un autre
argument convaincant en faveur de l’adoption d’un système
monétaire sans intérêts. En outre, les coûts sociaux comme
l’alcoolisme, l’éclatement des familles et l’augmentation des
comportements criminels constituent des charges
supplémentaires qui ne sont pas prises en compte dans les
statistiques ci-dessus, mais qui pourraient être nettement
réduites par la réforme monétaire.
En examinant le dilemme des pays du Tiers Monde
(Figure 13), nous y découvrons notre propre situation à
83
travers une loupe grossissante. Nous avons là, en raison des
mêmes dysfonctionnements structurels du système
monétaire, comme une caricature de ce qui se produit dans
les pays industrialisés. Quoi qu’il en soit, la différence entre
les deux types de pays est que ces derniers, dans leur
ensemble, tirent profit de ce système tandis que les premiers
contribuent à le financer. Chaque jour, nous recevons des
pays du Tiers Monde 300 millions de dollars en versements
d’intérêts – c’est-à-dire deux fois le montant de « l’aide au
développement » que nous leur accordons.
84
L’AIDE AU DéVELOPPEMENT
Chaque jour le Tiers Monde paye
300 millions de dollars d’intérêts au monde industrialisé
* Notre aide au développement ne s’élève qu’à la moitié
de cette somme !
* Combien de temps encore cette situation pourra-t-elle durer ?
* Comment mettre un terme à cette exploitation ?
Figure n°13
85
Sur la dette totale des pays du Tiers Monde – mille
milliards de dollars – en 1986, environ un tiers de cette
somme a été prêtée pour rembourser les intérêts de prêts
antérieurs. Ces pays ne seront jamais en mesure de se sortir
de cette situation, si ce n’est à travers une crise majeure ou
un changement fondamental de politique. Si la guerre
entraîne la famine, le dénuement et la mort, la misère sociale
et humaine, alors nous sommes bel et bien en pleine
« Troisième guerre mondiale » (Figure 14), même si elle n’a
pas été déclarée. C’est une guerre où des taux d’intérêt
usuraires, des prix artificiels et des pratiques commerciales
injustes tiennent lieu d’armes ; une guerre qui condamne les
gens au chômage, à la maladie et à la criminalité. Allonsnous
indéfiniment tolérer cette situation ?
Il ne fait aucun doute que ceux qui sont les exclus
système monétaire que nous avons créé représentent plus des
trois quarts de la population mondiale. La situation des pays
du Tiers Monde changerait immédiatement si leurs dettes
étaient partiellement ou totalement effacées par les banques
et les pays créanciers. Cette solution, régulièrement
préconisée par les économistes progressistes, commence
d’ores et déjà à être mise en application. Cependant, à moins
que le dysfonctionnement fondamental du système
monétaire disparaisse, la prochaine crise est inéluctable.
Dans ces conditions, une des démarches les plus importantes
à accomplir pour favoriser l’avènement d’un système
économique plus stable à l’échelle mondiale est de faire
savoir à ceux qui en profiteraient sans nul doute le plus – les
pauvres et les pays en voie de développement – qu’un
nouveau système pourrait avantageusement remplacer
l’ancien.
86
Nous SOMMES D’ORES ET DéJ à
EN PLEINE TROISIèME GUERRE MONDIALE
… une guerre économique. Il s’agit d’une guerre non
déclarée. C’est une guerre de taux d’intérêt usuraires, de
prix exorbitants et de pratiques commerciales
malsaines… Des taux d’intérêt et des termes d’échange
imposés de l’extérieur ont, sur une planète livrée au
pillage, déjà tué des millions de gens, qui meurent
victimes de la faim, de la maladie, du chômage et de la
criminalité.
* Doit-on supporter plus longtemps cette situation ?
* Les révolutions constituent-elles des solutions de rechange
valables ?
* Quelles sont les véritables causes de cette guerre ?
Figure n°14
87
LES EGLISES
ET LES GROUPES SPIRITUELS
Bon nombre des grands dirigeants politiques et spirituels
tels que Moïse, Jésus Christ, Mahomet, Luther, Zwingli et
Gandhi ont essayé de réduire les Injustices sociales en
prohibant le prêt avec intérêts. Ils avaient compris pourquoi
l’usure est source de problèmes. Mais ils ne proposèrent pas
de solution pratique et le dysfonctionnement fondamental du
système resta donc inchangé. La prohibition du prêt à
intérêts au sein de la chrétienté par les papes durant le
Moyen Âge, par exemple, ne fit que déplacer le problème,
car les Juifs devinrent, à cette époque, les grands banquiers
de l’Europe. Ils n’étaient pas autorisés à pratiquer l’usure
entre eux, mais ils pouvaient accorder des prêts avec intérêts
aux Gentils.
En terre d’Islam, les gens ne paient pas d’intérêts pour un
prêt, mais les banques et les individus prêteurs deviennent
actionnaires de leurs affaires et profitent des bénéfices
éventuels. Ce système peut être, selon les cas, meilleur ou
pire que celui du prêt à intérêts.
De nos jours, les Églises chrétiennes et les œuvres de
bienfaisance font sans cesse appel à la générosité de leurs
fidèles et de leurs adhérents afin d’atténuer les problèmes
sociaux gravissimes qui accablent les pays Industrialisés et
les pays en voie de développement. Ce ne sera qu’un
traitement symptomatique tant que le dysfonctionnement
généralisé de notre système monétaire perdurera. Ce dont
nous avons besoin, c’est en réalité de propager l’information
et de débattre librement des effets du système monétaire
actuel et de la solution que peut constituer une réforme
monétaire.
88
En Amérique Latine, par exemple, l’Église catholique est
divisée entre une hiérarchie conservatrice attirée par le
modèle de la société capitaliste occidentale et des prêtres
progressistes qui louchent vers le modèle communiste. Nous
avons aujourd’hui l’occasion historique de proposer une
économie libérée des intérêts, ce qui représente un troisième
type de solution que ni le communisme, ni le capitalisme,
n’est en mesure d’offrir – une solution qui transcende ces
deux systèmes. Cette solution permettrait d’aller plus loin
dans le sens de la justice sociale que n’importe quel
programme d’aide. Elle instaurerait une économie stable et
apporterait une aide précieuse aux Églises dans leurs efforts
pour répandre la paix sur cette terre.
Au plan spirituel, tout ce que nous observons dans ie
monde extérieur est un reflet de notre Moi intérieur, de nos
systèmes de croyance, de nos espoirs et de nos pensées.
Dans ces conditions, une transforrnation du monde extérieur
exige une transformation du monde intérieur. L’une ne va
pas sans l’autre.
La diffusion de la connaissance ésotérique un peu
partout dans le monde indique un profond changement de
conscience chez un nombre sans cesse croissant d’individus.
Leur travail intérieur est la base des changements extérieurs.
Sans lui, une transformation pacifique du système monétaire
actuel serait probablement impossible. Dans ces conditions,
une grande responsabilité incombe à ceux qui poursuivent
des buts humanitaires et qui ont pris conscience du véritable
atout que constitue la réforme monétaire en tant qu’élément
essentiel d’une transformation globale.
89
LE COMMERCE
ET L’INDUSTRIE
Dans une économie sans inflation ni intérêts, les prix des
biens et des services seraient déterminés, tout comme dans
les sociétés capitalistes actuelles, par l’offre et la demande.
Mais ce qui changerait, c’est la dénaturation du « marché
libre » par le mécanisme des taux d’intérêt.
En moyenne, chaque poste de travail de l’industrie
allemande doit supporter le fardeau d’une dette d’à peu près
80 000 DM (250 000 F environ). Les seuls intérêts de cette
dette s’élèvent jusqu’à 23 % des coûts salariaux24
(cf. Figure
15). Au poids des Intérêts sur les capitaux empruntés il faut
ajouter la charge des intérêts sur les propres capitaux de
l’entreprise, qui sont soumis aux mêmes taux que les
capitaux empruntés. C’est la raison pour laquelle les dettes
s’accroissent deux à trois fois plus vite que le niveau général
de productivité d’un pays (cf. Figure 5). Ce décalage pèse de
plus en plus sur les travailleurs et les créateurs d’entreprise.
A l’heure actuelle, nous assistons à une concentration
sans cesse croissante dans tous les secteurs de l’Industrie. De
petites entreprises, Industrielles ou non, sont rachetées par
des entreprises de plus en plus Importantes, jusqu’à ce qu’un
jour presque tous les acteurs de la prétendue « économie
libérale » soient contraints de travailler pour une société
multinationale. Cette évolution a pris de l’ampleur en raison
de ce que l’on appelle les « économies d’échelle » et de
l’automatisation des procédés de fabrication dans les grandes
entreprises industrielles, mais aussi à cause des superprofits
réalisés par ces entreprises sur le marché monétaire. Ainsi,
24
Weltwirtschaftswoche, N°4, 1984, p.23
90
par exemple, Siemens et Daimler-Benz en Allemagne
gagnent plus d’argent grâce à leurs investissements sur le
marché du capital que dans le secteur productif. La presse
allemande a d’ailleurs qualifié ces entreprises de « grandes
banques dotées d’un secteur productif de façade ».
Par contraste, les petites et moyennes entreprises doivent
généralement emprunter de l’argent pour être en mesure de
se développer et sont de ce fait prisonnières du système des
intérêts simples et composés. Elles ne peuvent profiter des
économies d’échelle ni tirer des revenus de leurs capitaux.
Jusqu’à maintenant, notre économie reposait sur le
capital. Hans-Martin Schleyer, président du patronat
allemand, a fait un jour une réflexion tout à fait pertinente :
« Il faut se mettre au service du capital ». Mais dans le
nouveau système monétaire, le capital aura pour fonction de
pourvoir aux besoins de l’économie. Il devra se rendre
disponible sous peine d’être taxé : en bref, c’est lui qui devra
se mettre à notre service !
91
LES COûTS SALARIAUX
SONT PLUS ELEVéS QUE LES SEULS SALAIRES
En 1985, chaque fois
que 100 DM ont été
payés en salaires…
… les entreprises
industrielles ont dû
ajouter 23 DM d’intérêts.
D’où proviennent ces coûts supplémentaires ?
Quelles en sont les conséquences ?
Peut-on changer la répartition des coûts ?
Figure n°15
92
LES AGRICULTEURS
En raison des effets dévastateurs des intérêts dans ce
secteur, l’agriculture constitue un bon argument en faveur
d’un nouveau système monétaire. En effet, l’agriculture peut
être définie comme une industrie reposant sur l’écologie. En
règle générale, les processus écologiques suivent une courbe
de croissance naturelle. Les processus industriels, eux,
doivent obéir à la courbe de croissance exponentielle des
intérêts simples et composés. Étant donné qu’on ne peut
contraindre la nature à se développer de la même façon que
le capital, l’industrialisation de l’agriculture a engendré des
problèmes qui menacent notre survie. Aux premiers temps
de l’industrialisation, les paysans achetèrent des machines
plus puissantes et plus efficaces. Puis, les gros paysans
rachetèrent des- petites fermes pour s’agrandir encore plus,
aidés en cela par les subventions gouvernementales et les
incitations fiscales. C’est alors que les premiers symptômes
de maladie commencèrent à apparaître et à se multiplier :
l’épuisement et la pollution des sources d’approvisionnement
en eau, la transformation des sols fertiles en déserts
desséchés et encroûtés, la disparition d’au moins 50 % des
espèces animales et végétales, la surproduction de certains
produits agricoles qui ne peuvent être vendus qu’avec des
subventions gouvernementales toujours plus importantes, la
création de produits hybrides fades et toxiques, la
dépendance totale vis-à-vis des produits pétroliers pour le
transport, les engrais chimiques, les insecticides et les
pesticides, la destruction de la forêt tropicale dans le but de
fournir les matériaux de conditionnement nécessaires au
transport des marchandises à longue distance entre les lieux
de production, de stockage, de traitement, de vente et de
consommation.
93
HOURRA !
ENCORE 2,5% DE CROISSANCE
De nos jours,
2,5 % de croissance
équivalent à
9 % de croissance
dans les années 50.
D’où vient cette pression insensée en faveur de la
croissance ?
Comment pourrions-nous nous libérer de cette pression ?
Pour quelles raisons une économie stable est-elle
impossible dans le système actuel ?
Figure n°16
94
Même si les intérêts ne représentent qu’un des facteurs
contribuant à cette évolution désastreuse, l’adoption d’un
système monétaire sans intérêts constituerait un élément
particulièrement important en faveur de ce secteur
économique qui assure notre survie. Les prêts sans intérêt,
associés à une réforme foncière et fiscale (cf. Chapitre 2),
pourraient permettre à un plus grand nombre de personnes
qu’il n’est envisageable actuellement de retourner à la terre.
Avec les nouvelles méthodes de l’agriculture intégrée (celle
qui gère adroitement les ressources naturelles), nous
pourrions assister à l’avènement d’un mode de vie différent,
associant ville et campagne, travail et loisirs, activité
manuelle et activité intellectuelle, technologies de pointe et
technologies de base, le tout au service d’une approche plus
holistique du développement individuel, agricole et social.
LES ECOLOGISTES
ET LES ARTISTES
Lorsqu’on évoque la croissance économique – mesurée
par l’accroissement en pourcentage du PNB et comparée aux
taux de croissance des années précédentes -, on oublie
d’ordinaire que cet accroissement concerne chaque année
une somme plus importante. Ainsi, 2,5 % de croissance
aujourd’hui correspondent en réalité à quatre fois 2,5 % de
croissance durant les années cinquante (Figure 16).
La raison pour laquelle les hommes politiques, les
industriels et les responsables syndicaux continuent à
préconiser de relancer la croissance économique est facile à
comprendre : au cours des phases de diminution des taux de
croissance, l’écart entre revenu du capital et revenu du
95
travail (ou transfert des richesses du travail vers le capital) se
creuse. Il en résulte des problèmes sociaux et écologiques
accrus ainsi que des tensions économiques et politiques plus
aiguës.
La croissance économique continue, toutefois, aboutit à
l’épuisement des ressources naturelles. Cela signifie, dans le
système monétaire actuel, que nous n’avons plus, devant
nous, que les deux termes de cette alternative : soit un
effondrement économique, soit un désastre écologique à
l’échelle planétaire. En outre, la concentration de l’argent
entre les mains d’un nombre décroissant d’individus et de
trusts multinationaux crée une demande pressante et
constante d’investissements lourds (centrales nucléaires,
immenses barrages pour les centrales hydroélectriques,
industrie de l’armement, etc.). D’un point de vue purement
économique, le comportement des Etats-Unis et de l’Europe
a été pendant des années politiquement pétri de
contradictions : d’un côté, ils déployaient des armes toujours
plus efficaces et puissantes contre la Russie, et de l’autre, ils
lui livraient du beurre, du blé et des savoir-faire
technologiques. Mais commercialement, cette attitude était
parfaitement logique. La production d’armements est le seul
secteur où le point de « saturation » puisse être repoussé
indéfiniment, aussi longtemps que « l’ennemi » est lui aussi
capable de mettre au point des armes de plus en plus rapides
et efficaces. Les profits du complexe militaro-industriel sont
beaucoup plus élevés que ceux de n’importe quel secteur
civil de l’économie.
Tant qu’un investissement devra rivaliser avec le pouvoir
lucratif de l’argent sur le marché monétaire, la plupart des
investissements écologiques, dont le but est d’instaurer une
économie rationalisée (c’est-à-dire de stopper la croissance
96
quantitative à son niveau optimal), seront difficile à réaliser
sur une plus grande échelle. Aujourd’hui, les gens qui
doivent emprunter de l’argent pour des investissements
écologiques perdent au niveau économique. Si l’on abolissait
les intérêts, ils pourraient au moins équilibrer leurs comptes ;
cependant, la différence avec d’autres types
d’investissements (industrie de l’armement, par exemple)
resterait la même.
Prenons comme exemple un investissement dans le
domaine des capteurs solaires destinés à la production d’eau
chaude. Si on ne peut s’attendre qu’à un rendement de 2 %
sur l’argent prêté, il serait économiquement imprudent
d’investir dans cette technologie, par ailleurs rationnelle et
écologique, étant donné que si nous mettions notre argent en
banque, il nous rapporterait 7 % d’intérêts environ.
Si le système monétaire changeait, les gens qui
investissent pour préserver et améliorer l’environnement
auraient au moins des chances de rentrer dans leurs fonds.
Les individus et des groupes seraient alors très motivés pour
s’engager dans la protection de la nature et privilégier des
technologies non polluantes.
Le volume de l’activité économique lui-même s’ajusterait
plus facilement aux besoins réels des populations. Puisqu’un
rendement élevé du capital ne serait plus nécessaire pour
fournir les intérêts, l’incitation à la surproduction et à la
surconsommation diminuerait considérablement. Les prix
diminueraient de 30 à 50 %, pourcentage qui sert
actuellement à financer une technologie à fort coefficient de
capitaux. En théorie, pour conserver le même niveau de vie,
les pourraient se contenter de travailler à mi-temps.
Au sein du nouveau système monétaire, la croissance
quantitative aurait toutes les chances de se transformer en
97
croissance qualitative. Les gens auraient le choix de laisser
leur argent sur un compte d’épargne (en nouvelle monnaie)
où il conserverait sa valeur, ou bien de l’investir en achats de
porcelaine, de meubles, d’oeuvres d’art ou d’une belle maison
– lesquels conserveraient également leur valeur. Ils auraient
probablement tendance à choisir des investissements
embellissant leur vie quotidienne. Quoi qu’il en soit, plus la
qualité exigée serait élevée, plus la production serait
importante. De cette manière, on peut s’attendre à une
révolution des valeurs, ce qui aurait sans nul doute des
conséquences positives aux plans culturel et écologique.
Bon nombre d’investissements dans l’art et les technologies
écologiques seraient capables, dans le cadre d’une monnaie
« stable » et d’un mode de vie en accord avec la nature, de
supporter la concurrence et de produire des bénéfices, même
si ce n’étaient pas de gros profits. L’art et l’écologie
deviendraient ainsi rapidement « économiquement viables ».
LES FEMMES
Pourquoi les femmes sont-elles si peu présentes dans le
monde de l’argent ? Qu’il s’agisse de la Bourse ou de la
banque, nous sommes toujours en présence d’un univers
d’hommes et les exceptions ne font que confirmer la règle. Je
me suis rendu compte, grâce à ma longue expérience des
problèmes et des projets féminins, que la plupart des femmes
ressentent intuitivement que quelque chose ne va pas dans ce
système monétaire, bien que, comme les hommes, elles ne
puissent préciser la nature de ce dysfonctionnement.
Le combat acharné des femmes pour l’égalité (qui est
également, dans une large mesure, un problème écono-
98
mique) a suscité en elles un profond ressentiment envers tout
ce qui engendre l’injustice, par exemple les pratiques des
milieux financiers. La plupart des femmes savent
d’expérience que pour qu’un individu puisse gagner de
l’argent sans travailler – par exemple grâce aux intérêts
simples et composés – une autre personne doit fournir un
travail. Cette personne, très souvent, sera une femme. Les
femmes constituent la majorité de cette moitié de la
population qui ne détient que 4 % de la richesse totale
(Figure 11).
Dans le monde entier, les femmes – et les enfants –
supportent en grande partie le fardeau du chaos économique
et de la misère sociale provoqués par le système monétaire
actuel. L’introduction d’un nouveau système monétaire qui
jouerait le rôle d’un « système de troc amélioré » changerait
de manière spectaculaire leurs conditions de vie. Pour cette
raison, je pense que l’on comptera beaucoup de femmes
parmi ceux qui préconiseront un moyen d’échange plus
équitable. Elles savent d’expérience ce qu’est l’exploitation.
Lorsque le nouveau système s’instaurera, il y a de fortes
chances pour qu’elles s’impliquent beaucoup plus dans les
questions d’investissements et les affaires bancaires, ceci
parce qu’elles comprendraient qu’il s’agit de faire fonctionner
un système favorable à la vie et non pas, comme
aujourd’hui, un système destructeur.
En outre, last but not least, ce système monétaire
s’accorde beaucoup mieux avec leur conception du pouvoir.
Les hommes sont habitués à un système hiérarchique, avec
un sommet tout puissant et une base désarmée. Celui qui
prend une part du gâteau en prive un peu plus les autres.
C’est un jeu où on est obligé soit de gagner, soit de perdre.
Les femmes ressentent généralement le pouvoir comme un
99
concept extensible à l’infini. Chaque fois que quelqu’un
donne son pouvoir à un groupe, c’est l’ensemble du groupe
qui devient plus puissant. Dans une telle situation, tout le
monde est gagnant.
Un système monétaire qui se développe pour répondre à
des besoins grandissants mais s’arrête lorsque ces besoins
ont été satisfaits crée presque automatiquement, à long
terme, une situation ne présentant que des avantages pour
tout le monde. Ceci est également vrai pour le court terme,
dans une situation de crise telle que celle que nous vivons
actuellement.
Ce que les femmes désireront le plus pour elles-mêmes
et leurs enfants est que, au lieu d’une énième révolution dure
comme celles qui ont engendré tant de souffrances et de
misères dans le passé, le changement, cette fois-ci – s’il peut
survenir avant le krach – se fasse selon un processus évolutif
plus doux.
100
CHAPITRE QUATRE
Quelques leçons
tirées de Vhistoire
101

Le système monétaire dont nous avons hérité a plus de
2000 ans d’âge. Argent, en allemand, se dit Geld, ce qui fait
précisément référence à l’or, matière des premières
monnaies. L’or, métal plutôt inutile en dehors de la bijouterie
et des ornements, est devenu le moyen d’échange favori aux
environs de 700 avant Jésus Christ dans l’Empire Romain.
La monnaie a toujours impliqué la frappe. C’était l’idée
figurant dans la constitution américaine. Les pièces d’or et
d’argent (ou leur contre-valeur « papier ») étaient les seules
monnaies à avoir cours légal aux Etats-Unis jusqu’en 1934.
De nos jours encore, bon nombre de gens – en particulier
ceux qui ont compris les désavantages inhérents à la
possibilité de créer du papier-monnaie de façon
pratiquement illimitée – sont en faveur d’un retour au régime
de l’étalon-or.
A sa publication en 1904, les trois quarts du livre de
Silvio Gesell avaient trait à ce problème25
. Contre tous les
économistes de son temps à la réputation bien établie, il
s’efforça de prouver, au plan théorique et avec des exemples
pratiques, que non seulement l’étalon-or était inutile mais
qu’il était aussi préjudiciable à un système monétaire
efficace fondé sur une monnaie sans Intérêts.
Aujourd’hui, nous savons que l’étalon-or n’est pas une
référence indispensable. Il n’existe pas, actuellement dans le
monde, de système monétaire basé sur ce principe. John
25
Gesell, op. cit.
103
Maynard Keynes, qui connaissait bien les travaux de Silvio
Gesell, a contribué à supprimer cette entrave à l’efficacité de
l’économie dans les années trente. Toutefois, ce qu’il a
oublié, c’est de défendre l’autre ingrédient essentiel à
l’efficacité : le remplacement des intérêts par une taxe sur la
circulation monétaire. C’est en grande partie pour cette
raison que nous avons tant de problèmes aujourd’hui et que
nous en aurons à Intervalles réguliers jusqu’à ce que nous
ayons compris la leçon.
Afin de montrer combien 11 est difficile de comprendre
en profondeur les problèmes monétaires, j’aimerais citer
quelques exemples historiques pour éclaircir ce point.
LE SYSTèME MONéTAIRE
« BRAKTEATEN »
DANS L’EUROPE MéDIéVALE
Entre le Xlle et le XVe siècle en Europe, il y eut un
système monétaire appelé « Brakteaten ». Frappée par
différentes villes, ainsi que par différents évêques et
souverains, cette monnaie ne facilitait pas seulement
l’échange des biens et services, mais permettait également de
percevoir l’impôt. Chaque année, les fines pièces d’or et
d’argent étaient « rappelées » et frappées à nouveau à deux
ou trois reprises, perdant de ce fait 25 % de leur valeur.
Étant donné que personne ne voulait garder cette
monnaie, les gens investissaient en achetant des meubles, de
belles maisons, des œuvres d’art ou tout autre objet ayant des
chances de conserver ou d’accroître sa valeur. C’est à cette
époque que furent produites certaines des plus belles œuvres
104
de l’art et de l’architecture sacrés et profanes. « Car lorsque
la richesse monétaire ne peut s’accumuler, c’est la vraie
richesse qui voit le jour. »2S
On estime que cette époque constitua l’un des sommets
de l’histoire culturelle européenne. Les artisans travaillaient
cinq jours par semaine, les apprentis bénéficiaient du « saintlundi
» (lundi chômé) et le niveau de vie était élevé. En
outre, il y avait très peu de conflits et de guerres entre les
différents pouvoirs.
Cependant, les gens n’aimaient pas cette monnaie dont la
valeur s’effondrait à intervalles réguliers et, pour finir, vers
la fin du XVe siècle, le penny « étemel » fut introduit ; avec
lui apparurent les intérêts et la concentration de la richesse
entre des mains toujours moins nombreuses, en même temps
que les problèmes économiques et sociaux qui en découlent.
La leçon à tirer de tout ceci est que les impôts doivent être
prélevés distinctement des frais de circulation de l’argent et
ne pas leur être associés.
L A RéPUBLIQU E D E WEIMA R
ET L’ ETALON-OR
Durant la république de Weimar (1924-1933), le
président de la Banque Centrale allemande, Hjalmat
Schacht, voulut créer une monnaie « honnête », ce qui, dans
son esprit, signifiait un retour à l’étalon-or. Comme il ne
pouvait acheter assez d’or sur le marché mondial pour
équilibrer la quantité d’argent en circulation, il se mit à
26 Hans R.L. Cohrssen, “Fragile Money” in the New Outlook,
Septembre, 1933, p.40
105
diminuer celle-ci. Le manque de liquidités provoqua une
hausse des taux d’intérêt, réduisant par là même les
incitations à investir et les possibilités d’investissements, ce
qui mena les entreprises à la faillite et augmenta le chômage.
Ces différents facteurs préparèrent le terrain pour le
radicalisme et contribuèrent, en fin de compte, à l’arrivée au
pouvoir d’Hitler.
La Figure 17 montre le rapport de cause à effet entre
l’augmentation de la pauvreté et la montée des exîrémismes
dans la république de Weimar.
Ce processus avait été prévu par Silvio Gesell, bien que
pour des raisons différentes. Dès 1918, peu après la première
guerre mondiale, alors que tout le monde parlait de paix et
que de nombreuses organisations internationales se créaient
pour préserver cette paix, Gesell publia l’avertissement
suivant dans une lettre au rédacteur en chef du journal
berlinois Zeitung am Mittag :
« En dépit de la promesse sacrée des peuples de bannir la
guerre une fois pour toutes, en dépit du cri de ces millions de
gens : ‘Plus jamais la guerre !’, en dépit des espoirs d’un
avenir meilleur, il me faut affirmer ceci : si le système
monétaire actuel, fondé sur les intérêts simples et les intérêts
composés, reste en vigueur, j’ose affirmer aujourd’hui qu’il
ne se passera pas plus de vingt-cinq ans avant que nous ne
subissions une nouvelle guerre, bien plus terrible encore. Je
peux prédire précisément les événements qui nous attendent.
Le niveau actuel de développement technologique
débouchera rapidement sur des performances industrielles
exceptionnelles. L’accroissement du capital sera rapide
malgré les énormes pertes causées par la guerre et cette
surabondance fera baisser les taux d’intérêt. L’argent sera
alors thésaurisé. L’activité économique ralentira et un
106
LE CHôMAGE APPAUVRIT,
LA PAUVRETé ENGENDRE LA RADICALISATION
Figure n°17
107
Sommes-nous menacés par un nouveau radicalisme ?
Qu’est-ce qui engendre la « nouvelle pauvreté » ?
Pouvons-nous éviter cette évolution ?
nombre croissant de personnes sans travail seront jetées à la
rue… Au sein des masses mécontentes naîtront des idées
sauvages et révolutionnaires, et nous assisterons de nouveau
à la prolifération de cette plante vénéneuse, l’ultranationalisme.
L’incompréhension sera générale entre les
pays, ce qui ne pourra déboucher que sur une nouvelle
guerre. »27
D’un point de vue historique, après les faits, on s’aperçoit
que la monnaie, volontairement émise en quantité limitée par
la Banque Centrale, fut thésaurisée par les personnes
privées. Les effets s’avérèrent désastreux. Pourtant, les
responsables des banques centrales semblent toujours
ignorer la seule thérapeutique capable de venir à bout des
problèmes auxquels ils sont confrontés chaque jour.
27
Zeitung am Mittag, Berlin, 1918
108
CHAPITRE CINQ
a reforme monétaire
dans le contexte
d’une transformation
mondiale,
ou comment procéder
aux changements
109

Le fait que ce livre se focalise sur la question de la
réforme monétaire en tant qu’élément important de la
transformation mondiale et totale dont nous serons très
bientôt les témoins ne signifie pas que cet élément soit plus
important que les autres. De la transformation structurelle à
la transformation individuelle, de l’évolution technologique
à l’évolution spirituelle, nous avons besoin de
changements.
Le mode de fonctionnement de l’argent et ses
conséquences sur la société ont été notoirement négligés,
bien qu’ils semblent constituer une pièce maîtresse du
puzzle. Ni les experts ni ceux qui recherchent des
alternatives au système économique actuel ne semblent
s’intéresser particulièrement à cette question. Elle est peut-
être plus importante que d’autres, mais en tout cas elle ne
l’est pas moins. La vérité, c’est qu’elle affecte la vie de tout
un chacun.
REMPLACER
LA RéVOLUTION PAR L’EVOLUTION
Comme les trois réformes – monétaire, foncière et
fiscale – proposées dans ce livre constituent seulement
une petite partie des changements globaux nécessaires à
notre survie sur cette planète, elles peuvent s’adapter
111
aisément aux efforts entrepris pour créer une relation
nouvelle entre les êtres humains et la nature – ainsi qu’entre
eux. La justice sociale, l’environnement et la liberté sont
menacés lorsque nous tolérons la prolifération de structures
sociales qui ont tendance, intrinsèquement, à s’opposer à ces
aspirations.
A l’évidence, les réformes proposées allient les
avantages du capitalisme à ceux du communisme. Elles
évitent leurs défauts respectifs et offrent un « troisième type
de solution ». Elles permettraient l’épanouissement
personnel et la liberté individuelle au sein d’une économie
libérale, ainsi qu’un niveau de justice sociale bien supérieur.
En même temps, elles mettraient un terme à l’exploitation
d’une large majorité de gens par une petite minorité – sans
pour cela qu’il faille instaurer les lourdes réglementations et
la bureaucratie toute puissante propres aux économies
planifiées.
Les tentatives faites par le communisme pour libérer
l’homme de l’exploitation ont échoué parce que, dans le but
d’assurer un minimum vital à tous, il a supprimé la liberté
individuelle. La tendance capitaliste, d’un autre côté, en
permettant que la terre et le capital soient exploités dans un
contexte de liberté personnelle quasi illimitée, a mis en
danger le minimum vital du plus grand nombre.
Les deux systèmes sont allés trop loin dans leurs voies
respectives. L’un a placé la liberté de manger à sa faim audessus
de la liberté de choisir son mode de vie. L’autre a
placé au premier plan de ses priorités la liberté individuelle
qui, dans le système monétaire actuel, n’est accessible qu’à
une toute petite minorité.
Les deux systèmes ont partiellement raison, mais ils ont
tous deux échoué dans leurs tentatives pour créer les
112
conditions indispensables à une existence véritablement
humaine, dans une liberté authentique.
Les réformes proposées ici pourraient réduire les
interventions gouvernementales et créer une économie
écologique dans laquelle les biens et services seraient
produits à une taille et à un niveau de complexité optimum,
aussi bien pour ce qui est de la quantité que de la complexité,
car c’est ainsi qu’ils seraient les moins chers, donc les plus
compétitifs dans le cadre d’un système libéral.
Alors que l’importance du transfert des richesses par le
biais des systèmes monétaire et foncier est moins visible
dans les pays très industrialisés en raison de l’exploitation
des pays en voie de développement, les travailleurs de ces
derniers paient réellement le prix des systèmes monétaires
du monde industrialisé. Bien que ce soit eux qui en souffrent
le plus, il y a peu d’espoir que ces idées soient appliquées en
premier dans le Tiers Monde, où une petite élite exerce sa
domination en termes de pouvoir financier, foncier et
politique. Mais il existe une possibilité de changement dans
les petites nations démocratiques d’Europe. La Scandinavie,
par exemple, avec une majorité de citoyens aisés et
instruits, pourrait s’avérer assez ouverte au changement
social, lequel est précisément l’objectif essentiel de la
réforme monétaire.
A l’audience publique de la Commission mondiale de
l’ONU à Moscou, le 11 décembre 1986, A. S. Timoshenko,
de l’Institut de l’État et de la Loi, de l’Académie des sciences
de l’URSS, a fait la proposition suivante :
« Aujourd’hui il est impossible d’assurer la sécurité d’un
État aux dépens d’un autre. La sécurité ne peut être
qu’universelle, mais elle ne peut se contenter d’être
seulement politique ou militaire. Elle doit être également
113
ASSURER
LA CIRCULATION MONéTAIRE
barème des intérêts barème de la taxe sur
l’argent immobilisé
COûT ANNUEL MOYEN
DU CRéDIT
dans le système monétaire avec intérêts (1991)
a. commissions bancaires 1,7 %
b. primes de risque 0,8 %
c. liquidités 3,0 %
d. indexation sur le taux d’inflation 4,0 %
Total 9.5%
dans le système monétaire sans intérêts (1991)
a.
b.
c.
d.
commissions bancaires
primes de risque
liquidités
indexation sur le taux d’inflation
Total
Figure n°18
1,7%
0,8%
0,0%
0,0%
2,5 %
114
écologique, économique et sociale. Elle doit assurer la
satisfaction des aspirations de l’humanité dans son
ensemble. »2S
Le combat de l’humanité pour la justice sociale et
économique a été long et acharné. Il a engendré des divisions
tranchées dans les orientations politiques et les croyances
religieuses. Il a entraîné la perte de nombreuses vies
humaines. Il est véritablement urgent que nous comprenions
ceci : personne ne peut obtenir sa propre sécurité aux dépens
d’un autre ou aux dépens de l’environnement dont il dépend.
Pour trouver cette sécurité, il faut changer en profondeur les
structures sociales. Espérons que les changements proposés
dans ce livre favoriseront l’avènement de la sécurité et de la
justice pour les hommes et du respect de l’environnement,
substituant pour finir l’évolution à la révolution.
UNE SOLUTION ENVISAGEABLE
POUR LE PROCHE AVENIR
Avant que le système monétaire ne puisse être réformé,
une grande partie de la population devra comprendre la
nécessité de circonscrire l’argent à son rôle de moyen
d’échange, d’échelle des prix et de critère constant de valeur.
Si cette prise de conscience se transformait en action
politique, la Banque Centrale, qui est contrôlée par le
gouvernement, choisirait, pour assurer la circulation
monétaire, le système d’une taxe sur l’argent Immobilisé
plutôt que le système des taux d’intérêt.
28
A.S. Timoshenko, cité par La Commission mondiale de l’ONU sur
l’environnement et le développement, op. cit., p.294
115
LA TAXE SUR L’ARGENT IMMOBILISé
CRéE UN SYSTèME MONéTAIRE NEUTRE
En tant que méthode capable d’assurer la circulation
monétaire, la taxe sur l’argent immobilisé rendrait possibles
toutes les transactions nécessaires. S’il y a assez d’argent
pour accomplir toutes ces dernières, il n’est pas nécessaire
d’en mettre davantage en circulation. Dans ces conditions,
l’accroissement de la quantité de monnaie disponible est
parallèle à la croissance de l’économie et suit, tout comme
cette dernière, la courbe de croissance naturelle (Figure 1).
Si une personne détient plus de liquidités qu’elle n’en a
besoin, elle paie une taxe sur les sommes déposées en
banque. Selon la durée de dépôt de ces sommes, la taxe sur
l’argent immobilisé sera diminuée ou annulée. La Figure 18
montre comment, aujourd’hui, le barème des intérêts serait
remplacé par un barème de taxes sur l’argent immobilisé. Les
dépôts à long terme ne seraient pas taxés, tandis que l’argent
liquide, lui, le serait au maximum.
La thésaurisation de l’argent dans le nouveau système
pourrait être évitée beaucoup plus facilement qu’en collant
un timbre au dos des billets de banque, comme c’était le cas
dans l’expérience de Worgl. Plusieurs suggestions ont été
proposées, entre autres un système de loterie qui permettrait
d’assurer la circulation monétaire en retirant telle ou telle
coupure, à l’instar d’un tirage de la loterie.
Basé sur les huit coupures actuelles (dans le cas du DM,
les coupures de 5/10/50/100/200/500/1000), on peut
imaginer un système dans lequel huit boules de couleurs
représentant les différentes coupures seraient mélangées
avec des boules blanches non convertibles de façon à, par un
calcul statistique, faire en sorte qu’il y ait une ou deux
116
conversions par an. Les tirages pourraient avoir Heu, par
exemple, tous les premiers samedis du mois. A partir du
moment où une coupure serait tirée, la période de
convertibilité s’étendrait jusqu’à la fin du mois. Jusque-là,
les billets tirés auraient toujours cours légal et pourraient être
utilisés comme moyen de paiement dans tous les
commerces. Cependant, la taxe d’immobilisation devrait être
déduite des paiements effectués avec ces billets. Une autre
option consisterait à échanger les billets périmés en réglant,
à la banque ou à la poste, une taxe sur les opérations de
change. Comme personne n’aime s’acquitter d’une
redevance, tout le monde limiterait l’utilisation d’espèces aux
sommes nécessaires et l’argent en excédent serait déposé sur
des comptes bancaires.
On pourrait faciliter l’échange en donnant une taille et
une couleur différentes aux nouvelles coupures. Les
nouveaux billets de 100 DM, de couleur jaune,
remplaceraient les vieilles coupures bleues au fur et à
mesure qu’elles seraient retirées de la circulation. De même,
on éviterait la dissimulation des billets périmés en allongeant
ou en élargissant légèrement les nouveaux billets afin que
tout billet périmé se distingue des autres dans une liasse,
aussi grosse soit-elle.
A l’inverse des autocollants, ou timbres monétaires, le
tirage des coupures a l’avantage de rendre inutile la frappe
d’une nouvelle monnaie. La monnaie actuelle serait
conservée et le coût du système ne serait guère plus élevé
que le remplacement des billets usagés aujourd’hui.
Dans ce système monétaire neutre, les banques auraient
comme tout le monde l’obligation de distribuer l’argent à
ceux qui en ont besoin. Dans le cas où elles auraient dans
leurs comptes des dépôts sans intérêts, et qu’elles ne
117
prêteraient pas cet argent ou ne le transféreraient pas dans
une banque centrale ou régionale, elles devraient elles aussi
s’acquitter d’une taxe sur l’argent immobilisé. Les gens qui
bénéficieraient d’un crédit ne paieraient pas d’intérêts, mais
uniquement des frais bancaires et des primes de risque,
comparables à ceux qui sont inclus dans tout prêt bancaire.
En 1991, ceux-ci équivalaient en Allemagne à environ 2,5 %
du coût moyen du crédit (voir Figure 18), en Suisse, à 1,5 %
environ, tandis que dans les pays en voie d’industrialisation,
le pourcentage est parfois deux ou trois fois plus élevé.
118
CHAPITRE SI X
Comment apporter
sa contribution
à la période
JL
de transition ?
119

Le plus gros obstacle à la transformation du système
monétaire est le suivant : rares sont les gens qui
comprennent le problème et encore plus rares ceux qui
savent qu’il existe une solution. Cependant, depuis octobre
1987, lorsque 1500 millions de dollars se sont évanouis à
Wall Street, les gens sont devenus plus attentifs lorsqu’on
évoque ces questions. Bien connaître le fonctionnement des
intérêts simples et composés constitue le premier pas vers le
changement. Etre capable de discuter de la solution et de ses
diverses implications constitue l’étape suivante.
S’INFORMER,
FAIRE PRENDRE CONSCIENCE AUX AUTRES
Commencez par tester avec vos amis et avec les
membres de votre famille votre capacité à expliquer le
problème. Puis passez à des personnes que vous connaissez
moins bien et, pour finir, n’hésitez pas à en parler à votre
banquier, à votre agent d’assurances, aux hommes politiques
et aux journalistes locaux. Bon nombre de discussions avec
des professionnels, banquiers et économistes, m’ont
convaincue qu’il n’existe pas de difficultés « réelles », en
dehors des blocages mentaux dus à l’éducation et aux
systèmes de croyances réducteurs concernant la nature de
l’argent et la façon dont il devrait fonctionner.
121
Il faut bien garder à l’esprit que l’argent représente, pour
la majorité des gens, une préoccupation majeure. Il est donc
fortement lié dans leur esprit à la façon dont ils se perçoivent
et perçoivent le monde. Générosité ou avarice, ouverture ou
fermeture, chaleur ou froideur – la façon dont les gens se
comportent dans d’autres domaines de la vie se reflétera dans
leur attitude envers lui. Il est généralement difficile de traiter
l’argent comme un problème isolé. Quoi qu’il en soit, il vous
faudra commencer par expliquer comment les intérêts
permettent la concentration de la richesse avant de traiter les
symptômes, qui se manifestent notamment dans la sphère
politique et sociale. Sinon, tous vos efforts d’explication
risquent de s’avérer vains.
Expliquez bien que la réforme monétaire est liée à de
multiples autres problèmes et qu’elle ne va pas les résoudre
tous automatiquement. Elle ne permettra pas, à elle seule, de
subvenir aux besoins des pauvres, des personnes âgées, des
malades et d’éliminer d’autres problèmes sociaux, mais elle
permettra surtout de venir plus facilement en aide aux
catégories sociales défavorisées. Cela ne signifie pas que
nous pourrons nous passer de mesures ou de programmes
spécifiques pour résoudre d’autres problèmes sociaux. Il en
est de même en ce qui concerne l’écologie, la protection de
la nature et d’autres domaines encore.
Informez-vous de ce qui se passe dans le monde. Ce
faisant, vous comprendrez mieux l’urgence de ce
changement, la possibilité de le réaliser et la responsabilité
qui incombe à tous ceux qui connaissent la solution de la
divulguer le plus largement possible.
122
PARRAINER
DES EXPéRIENCES PILOTES
La condition préalable la plus importante pour instaurer
un système monétaire sans intérêts est de réaliser quelques
« applications concrètes » qui nous donneront une idée des
effets que ce changement pourrait entraîner sur une plus
grande échelle.
Les régions ou les pays intéressés par cette expérience
devraient, si possible, coordonner leurs actions afin de
parvenir à une meilleure synthèse des résultats dans
différentes conditions sociales, culturelles et économiques.
Les régions sélectionnées devraient être assez grandes
pour que les conclusions puissent être étendues au pays tout
entier et il serait préférable qu’elles bénéficient d’un haut
niveau d’autonomie, ce qui signifie que bon nombre des
biens et des services nécessaires à l’expérience y soient
disponibles.
L’autre possibilité consiste à choisir une région en crise
– d’ordinaire en raison d’un manque de diversification – et à
créer une dynamique favorisant une économie plus
diversifiée et stable grâce à l’introduction du nouveau
système monétaire. Ce dernier cas est certainement le plus
tentant, parce que lorsque la situation est mauvaise, les gens
sont plus ouverts au changement, surtout s’ils s’aperçoivent –
comme dans le cas de Wörgl (chapitre 2) – qu’ils ont tout à
gagner et rien à perdre dans l’expérience. D’un autre côté,
une région relativement active, diversifiée et
économiquement saine trouverait également des avantages
évidents dans l’introduction d’un nouveau système
monétaire, et là le changement pourrait réussir bien plus
rapidement.
123
Il serait important, pour mieux démontrer la justesse de
notre solution, de ne pas limiter l’expérience à l’une ou l’autre
de ces situations, afin de se rendre compte des conséquences
de l’introduction d’une monnaie sans intérêts dans différents
contextes sociaux.
METTRE EN PLACE UN SYSTèME LOCAL
D’ECHANGES COMMERCIAUX
De toutes les tentatives d’échange de biens et services en
dehors des systèmes monétaires actuels, celle de Michael
Linton à Vancouver Island, au Canada, est la plus facilement
adaptable à n’importe quelle localité et, de ce fait, la plus
connue dans le monde.
Le système LET (Local Exchange Trading : échanges
commerciaux locaux), fonctionne assez simplement comme
un système de comptes en dollars « verts », non assorti d’une
taxe sur l’argent lui-même, mais d’une petite taxe sur chaque
transaction. Les gens définissent ensemble le prix en dollars
« verts » ou en dollars « normaux » de chaque produit qu’ils
achètent ou vendent. Ils transmettent à un service comptable
informatisé leurs crédits et leurs débits. La limite des dettes
à ne pas dépasser peut être déterminée au début, et modifiée
si nécessaire plus tard, afin de minimiser le risque pour tous
les participants. Il est évident que plus les gens qui
participent à l’expérience sont nombreux, plus le système
sera économiquement avantageux.
Ainsi, une petite commune près de Vancouver est venue
en aide à un jeune dentiste qui n’avait pas les moyens
d’ouvrir un cabinet. Elle a fait construire une maison et
installer un cabinet, en grande partie grâce aux dollars verts.
124
Le dentiste a ensuite traité ses patients en échange d’un
certain pourcentage de dollars verts.
Au début, le système LET fonctionne bien, mais dans
certaines circonstances ii a connu des problèmes ou même
un effondrement29
, en raison de gros excédents ou de gros
déficits. Cela est dû en partie au fait qu’en l’absence d’une
taxe favorisant la circulation monétaire, les gens n’étaient
pas assez incités à recycler leur argent.
Quoi qu’il en soit, il est toujours justifié de soutenir des
expériences mettant en œuvre des systèmes de circulation
monétaire différents du système actuel, car cela permet aux
gens de mieux comprendre les fonctions et la raison d’être de
l’argent. Des exemples concrets vous en apprendront plus
que n’importe quel livre ou article.
SOUTENIR
LES INVESTISSEMENTS « MORAUX »
Chacun d’entre nous peut faire immédiatement un pas en
direction du nouveau système en veillant à ce que ses
excédents monétaires soient investis d’une façon morale. Du
fait que de plus en plus de gens ont pris conscience de ses
implications éthiques et sociales, l’investissement moral aux
Etats-Unis a pris une telle ampleur qu’il est devenu un
mouvement où se brassent des millions de dollars. Selon les
mots d’Hazel Henderson, « une armée toujours plus
nombreuse de gens ordinaires sont sortis sur le pas de leur
porte, ont vu la décomposition de la société et n’ont pu
29
Lettre de Hendric de Ilde de Vancouver Island au Canada, à David
Weston, Oxford, Grande-Bretagne, le 20 janvier 1988
125
tolérer plus longtemps que ce qu’ils faisaient avec leur argent
puisse gêner leur mode de vie et s’opposer à leurs
aspirations. »30
Les « investisseurs moraux » envisagent leurs
investissements potentiels en termes économiques et
sociaux. Des gens comme Robert Schwartz, un pionnier des
investissements à visée sociale, ont commencé par éliminer
de leurs listes d’investissements possibles les entreprises qui
étaient de gros fournisseurs de l’armée ou celles qui avaient
une politique déloyale vis-à-vis de leurs employés, ou encore
les grands pollueurs, y compris les centrales nucléaires, qui
représentaient un danger pour l’environnement, ainsi que les
entreprises qui mettent leurs actifs à la disposition de
gouvernements répressifs comme celui d’Afrique du Sud.31
La conscience écologique n’est pas seulement un concept
essentiel fondé sur la morale, mais dans bon nombre de cas,
elle se justifie aussi par la rentabilité, surtout lorsque la
situation est assez grave du fait d’une exploitation
impitoyable antérieure des ressources naturelles. L’industrie
nucléaire, par exemple, avec ses accidents et ses coûts de
dépollution, s’est avérée une mauvaise affaire pour les
investisseurs aux Etats-Unis, alors que les sources d’énergie
de substitution sont, ces derniers temps, devenues rentables.
Le plus gros avantage d’une politique d’investissements
« moraux » est qu’elle peut être mise en pratique dès
maintenant. Que nous changions de monnaie aujourd’hui ou
plus tard, l’investissement « moral » demeure une idée
formidable, applicable dans n’importe quel système
monétaire.
30
Hazel Henderson, cité dans l’article de Jennifer Fletcher, Ethical
Investment, in International Permaculture Journal, Permacuiture
International Ltd., Sydney, Australie, 1988, p.38
31
Robert Schwartz, cité dans ibid, p.39
126
CHAPITRE SEPT
Les applications
concrètes
d’aujourd’hui
sont les embryons
d’une nouvelle
économie
127

Il y a deux obstacles majeurs qui empêchent la
transformation effective de notre monnaie actuelle assortie
d’intérêts en un moyen d’échange utile à tout le monde. En
premier lieu, peu de gens semblent comprendre le problème.
En second lieu, les expériences réussies sont rarissimes dans
le monde par rapport au commerce effectué avec l’argent
« normal ».
Toutefois, considérées de manière globale, ces
expériences ne constituent pas seulement la preuve
encourageante que chacun de nous peut avoir une action
Immédiate, mais elles nous offrent également une image de
ce à quoi ressemblerait une transformation allant « de la base
vers le sommet ». Si un nombre suffisant de personnes
comprenaient les véritables enjeux de cette question, Il serait
possible de changer notre système monétaire sans le soutien
de l’État. Les modèles que nous allons aborder diffèrent par
leur fonction – épargne et prêt d’un côté, échange de biens et
services de l’autre – ainsi que par leur champ d’action, qui va
de l’échelon local à l’échelon national.
Au niveau local, le système LET canadien propose un
moyen d’échange sans Intérêts, destiné aux groupes, aux
communes, aux villages et aux banlieues comprenant entre
20 et 5000 membres.
Le WIR-Wirtschaftsring suisse (coopérative économique)
démontre qu’un système de comptes pratiquement
libéré des taux d’intérêt servant à l’échange des biens et
129
services peut apporter des avantages importants aux petites
et moyennes entreprises.
Le système danois et suédois JAK propose, à l’échelon
national, des systèmes d’épargne et de prêts sans intérêts, à
des conditions bien meilleures que celles des banques
commerciales.
L’ensemble de ces expériences pilotes prouvent qu’un
système monétaire sans intérêts, remplissant exactement les
mêmes fonctions qu’un système monétaire basé sur les
intérêts, est tout à fait concevable. Elles montrent également
que ceux qui utilisent ce type de systèmes y trouvent des
avantages ; si ce n’était pas le cas, ces derniers n’existeraient
plus.
LE SYSTèME
LET
Dans chaque ville et chaque région, on trouve des gens
dotés de compétences et de ressources que le système
économique en place n’utilise pas, bien que la demande
existe. Un réseau d’échanges faisant passer des informations
par les panneaux d’affichage, les journaux, les banques de
données, la radio et les autres moyens de communication
donne aux gens la possibilité de partager leurs compétences
respectives et enrichit la vie de la communauté dans le vrai
sens du terme, en dehors du système monétaire en place.
De tous les systèmes d’échange, le modèle LET est le
plus largement utilisé. Il en existe des centaines aux EtatsUnis,
en Australie, en Europe, en Nouvelle-Zélande et dans
bien d’autres pays. Le premier fut lancé par Michael Linton
en janvier 1983, à Vancouver Island, en Colombie
130
britannique, au Canada. En 1990, l’organisation comptait
environ 600 membres et avait un chiffre d’affaires annuel
d’environ 325 000 dollars verts. Ces dollars verts, qui
constituent l’unité de paiement du système LET, ont la même
valeur que le dollar canadien ordinaire.
La somme qu’une personne doit pour un service ou un
travail est débitée de son compte, puis créditée sur le compte
de celui qui s’acquitte de cette tâche. Il n’y a pas d’intérêts
versés, ni pour les débits ni pour les crédits. La valeur du
dollar vert – l’unité de compensation – étant égale à celle du
dollar canadien, l’inflation agit comme un système de
contrôle de la circulation monétaire, puisque les crédits
inutilisés se dévaluent au rythme de l’inflation. Comme
chacun est responsable des dettes de la coopérative, il est
important que les gens se connaissent et se fassent
mutuellement confiance.
La limitation d’un système LET à une région donnée se
justifie au début, jusqu’à ce que les gens apprennent à
prendre les responsabilités qu’il exige. Malheureusement, il
n’a pas encore été possible de payer les impôts en dollars
verts. Si cela s’était fait, la municipalité ou le comté serait
devenu un partenaire du système et aurait pu financer des
investissements dans cette monnaie. Les avantages du
système sont évidents : les habitants de la région concernée
s’enrichissent et l’État ou la municipalité peuvent mettre en
œuvre des programmes de travaux à un coût incroyablement
bas. D’un point de vue juridique, le système LET n’empiète
pas sur l’autorité du système légal en place dans la plupart
des pays, pas plus que sur le monopole de la frappe de la
monnaie relevant de l’État, parce qu’il n’est rien d’autre
qu’une association de troc ou un système de comptabilité et
qu’il reste à un niveau local.
131
Le système LET comble une lacune du système
économique actuel, lequel est toujours à la recherche du lieu
de production le moins cher, détruisant ainsi les structures
économiques autonomes locales. Il est exact que le marché
libre mondial offre des avantages et qu’il a contribué à la
prospérité dont nous jouissons aujourd’hui dans de
nombreuses parties du monde. Cependant, il est également
vrai que cette prospérité s’est développée aux dépens des
travailleurs des « pays à bas salaires », ainsi qu’on les
nomme, et aux dépens des sources d’énergie non
renouvelables et de la stabilité des structures économiques
régionales.
Dans ces conditions, il est important de ranimer les
économies locales et régionales. Les hauts et les bas de
l’activité économique mondiale ne peuvent être compensés
que si l’économie interne d’une région fonctionne comme un
système complémentaire stable, harmonieusement intégré au
commerce mondial des biens de consommation. Plus le
système économique tout entier sera fort, plus ses
composantes régionales le seront également.
A cet égard, le système LET constitue une réponse locale
au pouvoir des grandes entreprises et des monopoles d’État
qui mettent de plus en plus en difficulté les petites structures
économiques et politiques. Il est immunisé contre les
récessions régionales ou internationales, les intérêts sur les
dettes, le vol et le détournement d’argent. Le système
monétaire international peut s’effondrer, le dollar ou le DM
perdre leur valeur, le chômage augmenter, le dollar vert, lui,
fonctionnera toujours, d’une part parce qu’il est totalement
garanti par le travail et les biens et d’autre part parce qu’il ne
peut être efficace que si les gens coopèrent par des échanges
directs. Sa force principale réside dans le fait qu’il ne peut
132
pas être utilisé dans un but spéculatif ou pour un
enrichissement injustifié.
L’avantage du système LET est qu’il n’a pour seules
limites que le temps et l’énergie qu’une personne est disposée
à lui consacrer. Cette caractéristique peut constituer un
critère décisif pour son introduction et son application sur
une grande échelle, lorsque les taux d’intérêt sont élevés et
qu’il y a pénurie monétaire. L’expérience a montré que les
exclus du système économique normal font preuve de
compétences inaccoutumées lorsqu’ils rejoignent le système.
Les activités à temps partiel et les travaux payés à l’heure
(baby-sitting, jardinage, lavage de carreaux, mise en
conserve de fruits, nettoyage de printemps…) sont quelques
exemples des échanges possibles au sein du système.
A ses débuts, le système LET rencontra une forte
opposition. Les gens de gauche pensèrent que c’était un
complot de la droite et la droite le considéra comme une
tentative de contrôle de l’économie par les communistes.
Certains hommes d’affaires crurent qu’il s’agissait d’une
combine pour leur soutirer de l’argent. Les hommes se
montrèrent méfiants face à cette proposition et les femmes
bien plus pragmatiques : « Voyons voir si c’est efficace ; si
c’est le cas, pourquoi ne pas l’utiliser ? » La plupart des
membres des réseaux furent fascinés par la facilité
d’utilisation du système et par sa capacité d’auto-régulation,
fonction du nombre de transactions qu’il peut absorber.
Le système LET peut être assez facilement associé au
système monétaire existant. L’origine des dollars verts,
totalement décentralisée, est directement liée à leur source,
la créativité des participants. Étant donné qu’on ne peut les
utiliser en dehors de leur zone de validité, par exemple pour
acheter des voitures japonaises ou des robes fabriquées à
133
Hong Kong, toutes les transactions commerciales
encouragent le développement de l’économie locale. Une
mère au chômage exprimait ainsi sa satisfaction : « Cela me
donne le sentiment de faire quelque chose pour la
communauté, car chaque fois que j’achète quelque chose
avec des dollars verts, je sais que j’aide quelqu’un à
améliorer sa situation financière. »
L E RéSEA U WI R
ET AUTRES ASSOCIATIONS SIMILAIRES
La Suisse possède depuis 1934 un réseau national
d’échange dont l’objectif est d’offrir aux entreprises des
crédits raisonnables et d’aider ses membres à augmenter leur
chiffre d’affaires et leurs profits.
Le WIR (abréviation de Wirtschaft = économie en
allemand) a été fondé par les partisans d’un système
monétaire sans intérêts, les « Freiwirte » (les Économistes
Libres). En tant que réseau d’échange, il fonctionne sur
les mêmes bases que le système LET et les associations
de troc : un système de comptes est géré par un bureau
central, les retraits ou les dépôts en liquide ne sont pas
autorisés, ce qui fait qu’en pratique les crédits peuvent être
sans intérêts.
En 1990, le WIR comprenait 53 730 membres, 16 788
comptes officiels et un chiffre d’affaires semestriel d’environ
0,8 million de WIR (dénomination de cette unité de
paiement, qui a la même valeur que le franc suisse). Étant
donné que ce système monétaire a besoin d’informations
pour coordonner l’offre et la demande, le service
administratif publie un magazine mensuel ainsi que trois
134
catalogues annuels permettant de présenter les produits et les
services proposés au sein du réseau.
Le WIR se définit lui-même ouvertement comme un
système de soutien aux petites et moyennes entreprises en
concurrence avec des entreprises plus grandes et plus
puissantes, qu’il aide ainsi à se défendre contre un
gouvernement de plus en plus puissant et interventionniste.
L’organisation, structurée comme une banque, a son siège
social à Bâle ; elle dispose de sept agences régionales et
emploie cent dix personnes. Les paiements s’effectuent selon
une formule similaire à celle des banques ordinaires, au
moyen de chèques, de cartes de crédit et de formulaires
bancaires. Toutes les transactions sont créditées ou débitées
par l’agence centrale. L’épargne ne génère pas d’intérêts et
seule une taxe minime est prélevée sur les prêts. La monnaie
est « créée » lorsqu’une transaction est effectuée, exactement
comme dans le système LET. La différence est qu’ici il s’agit
d’un système à l’échelon d’un pays, réservé exclusivement
aux entreprises. En 1990, les coûts de l’organisation WIR
étaient couverts par une cotisation de 8 francs suisses par
trimestre (soit 32 FS par an), à laquelle s’ajoute un
prélèvement de 0,6 à 0,8 % sur chaque transaction.
En dépit de sa réussite depuis bientôt soixante ans en
Suisse, ce système d’échange coopératif n’a pas été reproduit
ailleurs en Europe. Il y a à cela plusieurs raisons. En 1934,
en Allemagne, après que d’innombrables « chambres de
compensation », « sociétés de clearing » et « banques
d’échange », organisées selon les principes du réseau WIR,
eurent attiré bon nombre de gens ordinaires, une commission
d’enquête présidée par Hjalmat Schacht (alors président de la
Banque Centrale allemande) imposa une législation dirigée
contre « l’emploi abusif » des systèmes de paiements sans
135
argent. Le paragraphe 3 de cette loi stipule que tout système
de comptes bancaires doit autoriser les retraits en espèces.
Cette législation visait les fondements des réseaux
d’échange. Personne ne s’attendait donc, après cette défaite
juridique et malgré un très grand nombre de difficultés, à ce
qu’une association commerciale basée sur le troc puisse
s’établir à Francfort, la principale place financière de la
République fédérale d’Allemagne. L’expérience du groupe
BCI (Barter, Clearing and Information), en dépit de ses
services bien plus onéreux que ceux du réseau WIR, a été
couronnée de succès. Au lieu d’une cotisation annuelle de 32
FS (environ 120 francs français), le groupe BCI demande
480 DM (environ 150 FF) la première année et, au lieu des
0,6 à 0,8 % par transaction exigés par le réseau WIR, il
réclame 1 à 2 %.
Le groupe BCI n’est pas considéré comme une banque
par le Bureau fédéral de contrôle allemand, parce qu’il ne
s’occupe que de l’échange de biens et de services et n’utilise
l’argent que pour calculer la valeur des transactions. En
1990, son chiffre d’affaires était de 102 millions de DM, dont
30 millions de cotisations pour les opérations de troc. A
l’inverse du WIR, le BCI possède un service spécialisé pour
conseiller les clients et vérifie que les entreprises ne
conservent pas trop longtemps des soldes débiteurs. Après
douze mois, ceux-ci doivent être rééquilibrés en DM. Cela
permet à ceux qui ont un solde créditeur de percevoir une
compensation en DM s’ils quittent le système après une
période de six mois. Cette particularité résout le problème de
la convertibilité en espèces exigée par la législation
allemande sur le crédit, celui de la non-convertibilité de la
monnaie du réseau suisse WIR en francs suisses, ainsi que
celui posé par les membres qui ne souhaitent plus faire partie
136
du système mais ne peuvent le quitter parce que leurs dépôts
sont élevés, étant donné qu’ils ont fourni des biens et des
services à d’autres au sein du système.
LES BANQUES COOPéRATIVES J.A.K.
EN SUèDE
Les initiales J.A.K. signifient en danois terre (Jord),
travail (Arbete) et capital (Kapital). C’est un mouvement qui
s’est constitué au Danemark au cours des années trente. A
cette époque, la plupart des agriculteurs danois étaient
lourdement endettés et bien que leurs exploitations agricoles
fussent productives, ils étalent dans l’incapacité de conserver
la propriété de leurs biens. Associés à des commerçants et
des patrons de petites et moyennes entreprises, ils mirent en
place leur propre système bancaire et leur propre monnaie
sans Intérêts. Ils s’aperçurent bientôt que grâce à ce nouveau
système, leurs exploitations agricoles étalent à nouveau
rentables. Craignant que cet exemple ne fasse boule de
neige, le gouvernement danois interdit la nouvelle monnaie
de 1934 à 1938.
Aujourd’hui, les systèmes danois et suédois (qui ont été
relancés dans les années soixante et soixante-dix) ont des
bases similaires et proposent les mêmes facilités de prêt,
mais leur organisation est différente. Au Danemark, il existe
de petites banques « JAK » qui proposent des services
ordinaires, tandis qu’en Suède, le système fonctionne par
l’intermédiaire des services bancaires de la poste.
Les objectifs socio-politiques à long terme de la
coopérative JAK suédoise sont de rendre les intérêts inutiles
afin de créer une économie en harmonie avec la nature,
137
débarrassée de l’inflation et du chômage. Les membres sont
répartis dans tout le pays. Au début de 1991, le réseau
comptait 3900 membres et avait un chiffre d’affaires total de
34 millions de couronnes suédoises (CS), soit environ 75
millions de FF. En 1993, le nombre de membres était déjà
passé à 38 000 et le chiffre d’affaires à 600 millions de CS.
Étant donné que le montant de l’épargne est au moins
équivalent au montant des emprunts, il est évident que le
système dans son ensemble est en équilibre constant.
Les Figure 19 et 20 présentent deux exemples de prêts
d’un montant différent, ainsi qu’une comparaison entre des
prêts bancaires et des prêts JAK de la même durée.32
Il est
évident que tout le monde s’en sort mieux lorsqu’un système
d’épargne et de prêts réciproques fonctionne réellement sans
intérêts. La participation au système JAK, à hauteur du
montant total d’un prêt, se justifie tout à fait. Certaines
personnes vont délibérément au-delà de cet engagement,
donnant ainsi à ceux qui en ont besoin la possibilité
d’emprunter avant même d’avoir épargné. Les gens qui
souhaitent seulement épargner, toutefois, y perdent (en
raison de l’inflation) et, de ce fait, participent rarement au
système.
Les deux exemples présentés aux pages et font état d’un
petit prêt à court terme et d’un prêt plus important à teng
terme. Toutes les sommes sont en couronnes suédoises (CS).
1ER EXEMPLE : un prêt de 17 000 CS sur trois ans, au
taux d’intérêt réel de 3,4 %, est encore nettement moins cher
qu’un prêt bancaire identique à 16,1 %.
2EME EXEMPLE : le coût d’un prêt plus important de
399 640 CS, quant à lui, s’élèverait à 1,7 % d’intérêts sur 20
32
Per Almgren, J.A.K. An Interest-free Savings and Loan Associations
in Sweden, Tumba, 1990
138
ans, à comparer à un prêt bancaire ordinaire d’un coût de
13,1 %.
Dans les deux cas, les emprunteurs bénéficient non
seulement de meilleures conditions, mais en outre d’une
rémunération tout à fait favorable équivalant à 60 % du
capital prêté à la date d’échéance prévue de l’emprunt.
En janvier 1990, le Ministère des affaires Islamiques du
Koweït a confirmé que le principe du système JAK était
compatible avec les principes économiques de l’Islam.
Depuis lors, un pourcentage important de membres des
réseaux JAK est originaire du monde arabe.
D’un point de vue juridique, le système J.A.K. est légal
en Suède parce qu’une association agréée par l’État est
autorisée à gérer des dépôts et à effectuer des transactions.
AVANTAGES ET INCONVéNIENTS
DE LA MONNAIE
ET DES SYSTèMES DE CRéDIT ALTERNATIFS
Les réseaux d’échange, les clubs de troc et les
associations d’épargne et de crédit constituent les embryons
d’une nouvelle économie parce qu’ils offrent des avantages à
leurs membres ; sinon, personne ne ferait appel à eux. Des
biens et services pour une valeur de 2 milliards de dollars
sont échangés chaque année aux Etats-Unis dans le cadre de
ces réseaux.
Si l’on prend en compte le nombre croissant de
transactions basées sur le troc entre l’Europe de l’Ouest et
l’Europe de l’Est, ainsi qu’entre les pays industrialisés et les
pays en voie de développement, une bonne partie du
139
COMPARAISON (EN COURONNES SUéDOISES)
ENTRE LES CRéDITS DU SYSTèME J.A.K.
ET CEUX D’UNE BANQUE NORMALE
EXEMPLE 1
* Le remboursement périodique varie durant la période d’amortissement d’un
crédit à tempérament. Source : Per Almgren, « JAK – An Inlerest-Free Savings
and Loan Association in Sweden, » Tumba, 1990.
Figure m°19
140
COMPARAISON
ENTRE LES CRéDITS DU SYSTèME J.A.K .
ET CEUX D’UNE BANQUE NORMALE
EXEMPLE 2
JAK BANQUE
Sommes épargnées chaque mois
Période d’épargne en mois
Montant total épargné
Intérêts créditeurs (banque : 10 %)
Impôts
Fonds disponibles
Montant du crédit
Coût du crédit déduit îors du remboursement
Sommes disponibles
Intérêts (taux d’intérêt de la banque : 14 %)
Coût net après déductions
Frais de gestion de compte et d’exploitation
Coût total
Taux d’intérêt annuel réel du crédit
Versements trimestriels
Épargne durant le remboursement
Paiements trimestriels
(2139,33 CS chaque mois pour le réseau JAK)
Paiements trimestriels après déduction fiscale
(moyenne)
Période de remboursement en mois
2000
72
144000
0
0
144000
2000
72
144000
48840
-14651
178189
308000 221651
-52360 -200
399640 399640
0 465319
36652 327273
0 1550
36652 327273
1.7% 13.1%
3423 429-7133*
2995 0
6418 7648
6011
270
Paiement à l’emprunteur 273 mois après le crédit
(90 ¥ 2995 CS pour le réseau JAK) 269550
6114
270
0
* Le- remboursement périodique varie durant la période d’amortissement d’un
crédit à tempérament. En résumé, le système JAK génère des coûts totaux
inférieurs, des mensualités souvent moins importantes ou d’importance égale, et
davantage d’épargne à la fin du prêt.
Figure n°20
141
commerce mondial – entre 10 et 30 % d’après les
estimations – est en fait du commerce de troc. Partout, ce
dernier permet une augmentation du volume des échanges
commerciaux, qui n’aurait pas été possible dans le cadre du
système monétaire actuel. Les caractéristiques
fondamentales de tous les systèmes d’échange ou de troc
sont très similaires :
* Les membres ont un compte à l’agence centrale ;
* Les comptes sont tenus en unités de compensation
fictives (dollars verts, WIR, etc.), dont la valeur est identique
à celle de la monnaie nationale ;
* Un découvert est autorisé dans une certaine limite et
les membres pourvus d’un solde créditeur deviennent de
facto prêteurs ;
* Les comptes ayant un solde positif ne reçoivent pas
d’intérêts, les prêts sont sans intérêts ou – si on les compare
à ceux du marché international – à des taux d’intérêt très
faibles ;
* Les dépôts en espèces sont parfois autorisés, alors que
les retraits en espèces sont en général interdits ou limités ;
* Les membres doivent informer l’agence centrale de
toutes leurs transactions, par téléphone, par écrit ou par
messagerie électronique ;
* L’agence centrale assure tous les règlements ;
* L’agence centrale est rémunérée par des contributions
annuelles et/ou par une taxe sur chaque transaction prélevée
chez l’acheteur et/ou le vendeur ;
* Les participants déterminent eux-mêmes le prix de
l’unité de compte fictive ;
* L’agence centrale peut exiger une provision pour
s’assurer contre les pertes et les utilisations abusives du
système ;
142
* L’agence centrale a pour tâche d’informer les membres
du réseau sur les besoins en crédits et en prêts et de les
mettre en rapport les uns avec les autres.
Il va sans dire que les systèmes d’échange et de troc,
qu’ils fonctionnent au niveau local, national ou international,
ont grandement bénéficié des nouvelles technologies de
l’information. La notion de libre échange des biens et des
services, telle que l’ont envisagée Gesell et Proudhon, est
bien plus facile à mettre en œuvre maintenant que
l’information circule à toute vitesse dans le monde entier.
Il est important de comprendre que les associations de
troc ont inversé les principes bancaires actuels. Elles
récompensent ceux qui échangent des biens et des services
au moyen d’une monnaie sans intérêts et pénalisent ceux qui
trônent sur un tas d’argent inutilisé. Il n’est pas rentable de
laisser dormir des dollars verts ou des WIR sur un compte,
car ils ne rapporteront rien. Si le groupe qui utilise le
système de troc est suffisamment représentatif du marché
dans son ensemble, ce microcosme économique
fonctionnera bien. Un système économique qui serait
constitué d’une centaine d’associations de troc décentralisées
n’aurait à assumer que des frais de compensation et
d’information, au lieu d’intérêts très lourds à payer.
L’expérience montre qu’un excès de prêts – des comptes
trop longtemps débiteurs – peuvent s’avérer aussi dangereux
qu’un excès de dépôts, c’est-à-dire des comptes trop
longtemps positifs. Pour éviter la première situation, on peut
fixer une date limite afin de forcer les gens à équilibrer les
comptes par trop débiteurs, en stipulant, par exemple, qu’au
bout d’un an les soldes négatifs doivent être payés en
monnaie normale sur le compte d’une banque associée,
jusqu’à ce qu’ils redeviennent positifs.
143
Pour éviter la seconde situation, on peut introduire une
taxe sur l’argent immobilisé afin d’encourager les gens à
utiliser leur épargne. Bon nombre de réseaux de troc ont du
mal à se développer parce que trop de membres épargnent
trop. Le système LET à Comox Valley et dans d’autres
régions a atteint un certain niveau de développement, puis
s’est mise à stagner de manière soudaine lorsqu’il ne s’est
plus présenté de possibilités d’investissements rentables.
Malgré tout, l’activité économique redémarrait dès lors que
le crédit redevenait disponible pour les membres.
C’est la raison pour laquelle les échanges devraient être
liés à un service bancaire. Afin de simplifier les procédures
bancaires pour ceux qui disposent d’un gros excédent de
crédit et de faciliter les négociations pour ceux qui sont à la
recherche d’un emprunt, il serait possible de proposer des
crédits en dollars verts (ou toute autre unité fictive
permettant le troc). Les gros risques seraient assumés et
couverts par des primes de risque et un solde créditeur.
L’épargnant serait récompensé non pas par un surplus
d’argent ou d’intérêts, mais par la possibilité de conserver son
argent, sans perdre, sur un compte d’épargne. A cet égard,
une taxe sur l’argent immobilisé, en tant que mesure
d’incitation, dote le système d’une force d’attraction similaire
à celle des intérêts. Ce qui disparaît, ce sont les multiples
remboursements d’intérêts et, avec eux, la croissance
malsaine du système économique et les avantages dont
bénéficient aujourd’hui encore ceux qui possèdent l’argent –
des avantages injustes fondés sur les intérêts perçus.
A ce stade, il nous faut mentionner deux problèmes
importants :
(1) En premier lieu, la fraude fiscale. Ce fut un problème
fréquent au sein des associations de troc il y a quelques
144
années aux Etats-Unis. Pour combattre ce phénomène, une
législation a été mise en place à Washington, qui autorise les
inspecteurs des impôts à vérifier les comptes de tous les
membres d’une association de troc ;
(2) Cela nous amène au second problème : le droit à la
protection de la vie privée. Un système comptable central
parfait ne constituerait pas seulement un instrument idéal
pour effectuer des transactions économiques débarrassées du
lourd fardeau des intérêts, mais également un système de
contrôle idéal pour un gouvernement totalitaire. Un service
d’information aussi parfait d’un point de vue quantitatif et
qualitatif a été depuis longtemps le rêve des planificateurs,
tant à l’Ouest qu’à l’Est. Déjà en 1897, Solvay suggérait une
économie sans monnaie fondée sur un système de comptes
centralisés qui garderait la trace de toutes les activités et de
toutes les relations de chaque individu. Au XIXe siècle, il
était techniquement impossible de traiter la quantité
colossale d’informations nécessaires à un tel contrôle, mais
(comme nous le savons tous) la situation a complètement
changé au cours des dernières décennies.
Un système monétaire sans argent liquide donne la
possibilité de vérifier sur un diagramme les activités de
n’importe quel individu grâce à l’archivage de toutes les
transactions effectuées sur son compte. Nous devons être
bien conscients qu’un monopole d’État, associé à un système
monétaire totalement dépourvu d’argent liquide, pourrait
véritablement représenter un grand danger pour notre liberté
individuelle.
Pour conclure, j’aimerais récapituler mes propositions :
La combinaison d’un réseau d’échange – tel le système
LET ou le réseau WIR – avec un groupement d’épargne et de
prêt – tel le système J.A.K. -, mais fondé sur une taxe sur
145
l’argent Immobilisé (ou sur toute autre mesure facilitant la
circulation monétaire eî toutes les transactions nécessaires)
n’existe pas aujourd’hui ; pourtant, il serait relativement
facile de la mettre en place en associant l’expérience
pratique très ancienne de ces deux systèmes. Dans ces
conditions, il serait créé un système monétaire sans intérêts
pouvant proposer toutes les facilités offertes par le système
monétaire actuel :
(1) échange,
(2) prêt,
(3) épargne.
Les diverses expériences de systèmes monétaires
alternatifs sont politiquement essentielles, parce qu’elles
nous aident à comprendre le fonctionnement de l’argent et la
raison d’être de celui-ci dans notre vie. Les expériences
pratiques sont importantes, parce qu’elles encouragent les
gens à effectuer des changements dépassant le niveau
individuel. Cependant, jusqu’ici aucune de ces tentatives n’a
pu résoudre les problèmes majeurs qu’engendre le système
monétaire actuel dans l’économie mondiale. Dans ces
conditions, l’objectif d’un changement’ radical de système
monétaire aux niveaux national et international devrait faire
partie de nos plus hautes priorités politiques dans la
perspective d’un monde où régnerait la justice.
146
Adresses
utiles
Australie
LET System
1 Ross Road
Cfaannon via Lismore
NSW 2480
Autriche
International Association for a Natural Economie Order
Wallseerstrasse 45
A 4020 Linz
Canada
Landsman Community Services, Ltd.
1600 Embleton Crescent
Courtenay, B.C. V9N 6N8
Danemark
Folkesparekassen (JAK Bank)
Herningvej 37
DK 8600 Silkeborg
JAK National Association for Land, Work & Capital
Drejegaardavej 4
DK 8600 Silkeborg
147
Allemagne
Hamburger Geld und Bodenrechtsschule e.V.
Ringheide 24c
D 21149 Hambourg
Trion Institute
Gerberstr 9
D 22767 Hambourg
Inde
Self Transformation Network for a Just World
35 CCI Chambers
Bombay 400 020
Mexique
International Association for a Natural Economic Order
902 Esquina Rüben Dario
Colina, Col. 28010
Nouvelle-Zélande
New Zeland Social Credit Institute
P.O. Box 910
Hamilton 2015
Sri Lanka
Center For Society and Religion
281 Dean’s Road
Maradona, Colombo 10
Suède
JAK Interest Free Economy
Vasagatan 14
S 54150 Skovde
Suisse
International Association for a Natural Economic Order
Postfach 3359
CH 5001 Aarau
Talent-Experiment
Postfach 3062
CH 5001 Aarau
148
WIR
Auberg 1
CH 4002 Basel
Royaume-Uni
International Association for a Natural Economic Order
Exeleigh South Starcross
Devon EXP 8PD
LETS LINK
61 Woodcock Road
Warminster, Wiltshire
New Economies Foundation
Universal House, 2nd Floor
88-94 Wentworth St.
London
Etats-Unis
E. F. Schumacher Society
F. Box 76, RD 3
Great Barrington, Massachusetts 01230
Ithaca Money
RO. Box 6578
Ithaca, New York 14851
Seif Transformation Network for a Just World
2601 Cochise Lane
Okemos, Michigan 48864
Time Dollars
RO. Box 19405
Washington, DC 20036
149

Revues
Der Dritte Weg
Zeitschrift für die Natürliche Wirtchaftsordnung
Erftstrasse 57
D 45219
Allemagne
Dollars & Sense
One Summer St.
Sommervilie, Massachusetts 02143
Etats-Unis
Évolution
P.O. Box 3062
CH 5001 Aarau
Suisse
Fragen der Freiheit
Badstrasse 35
D 73087 Boll
Allemagne
Permaculture Magazine
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Buckfastleigh, Devon TQ1. 0LH
Angleterre
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Apprenez à vous aimer vous-même et vous serez surpris
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La vie vous a fait le cadeau le plus précieux, vous
respirez, et pourtant vous doutez qu’elle puisse vous
procurer ce qui est bon et important pour vous ! Louise L.
Hay démontre ici la force prodigieuse des ressources
intérieures de l’être humain, par son pouvoir et sa créativité.
256″ pages
JE VEUX, J’OBTIENS
Julia Hastings
La visualisation créatrice est l’art d’utiliser son
imagination pour réaliser un désir. Cette technique est
remarquable dans tous les domaines de la vie : visualiser,
c’est bon pour la santé, le travail, la vie affective,
l’épanouissement de soi… Son efficacité n’est plus à
démontrer notamment dans le domaine sportif où la
visualisation créatrice s’est fait connaître. Aujourd’hui, elle
est universellement reconnue comme une clef essentielle de
la réussite.
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e livre étudie le fonctionnement de l’argent. Il expose
les raisons des changements incessants qui affectent
l’une de nos plus importantes unités de mesure. Il
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pourquoi, en même temps, il le ruine.
La dette du Tiers-monde, le chômage, la dégradation de l’environnement
et la course aux armements, entre autres facteurs,
sont liés à un mécanisme qui permet à l’argent de circuler : les
intérêts.
Cet ouvrage remet les choses en ordre et révèle une possibilité
peu connue dont nous disposons.
L’importance de ce livre, par rapport à bien des écrits publiés,
réside dans sa capacité :
• à expliquer des problèmes complexes aussi simplement que
possible.
• à montrer comment aujourd’hui, le fait de passer à un nouveau
système monétaire créerait une situation ne présentant
que des avantages pour tous et contribuerait à établir une économie
rationalisée.


http://desiebenthal.blogspot.ch/2011/10/lettre-mon-cure-sur-la-creation.html

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