Politik der Schweiz | Politique suisse

La monnaie pleine: ce que la Suisse a toujours voulu

Souvent, on attribue un radicalisme dangereux à l’initiative «Monnaie pleine», actuellement en cours de récolte de signatures. Ainsi, Thomas Jordan, président de la BNS, a récemment qualifié le système de la monnaie pleine d’«expérimentation géante pour laquelle les expériences et points de comparaison manquent» (discours tenu lors de la journée d’Uster le 23.11.2014). Toutefois, un petit retour historique sur le développement de l’ordre monétaire suissedémontre le contraire: durant plus de 100 ans, le franc suisse a été conçu comme une monnaie pleine.
La modernisation monétaire revendiquée par l’initiative «Monnaie pleine»comporte trois éléments centraux: premièrement, seule la Banque nationale suisse (BNS) doit être autorisée à créer de la monnaie, sous forme papier ou électronique. Deuxièmement, l’émission de monnaie ne doit plus être liée à l’endettement de l’économie et de la société. Et troisièmement, les bénéfices générés par l’émission de monnaie doivent servir à soulager les caisses publiques et bénéficier à la collectivité. Ces trois éléments sont ancrés dans la tradition helvétique.
La Suisse a dans les faits disposé d’un système de monnaie pleine de 1891 à 1999.
Helvetia et Guillaume Tell signent l’initiative  «Monnaie pleine»   sur la place fédérale à Berne, en juin 2014. Image/ Gian Ehrenzeller/Keystone

Helvetia et Guillaume Tell signent l’initiative «Monnaie pleine» sur la place fédérale à Berne, en juin 2014. Image/ Gian Ehrenzeller/Keystone
Le franc suisse a été créé en 1848 sous forme d’étalon-argent et son émission était régulée par la Confédération helvétique nouvellement formée. Cet étalon-argent représentait un moyen sûr et sans dette de créer de l’argent, la valeur de celui-ci émanant de sa teneur en métal précieux.
Ensuite, dans le courant de la deuxième moitié du 19e siècle, l’utilisation de billets de banque en tant que moyen de paiement s’est également répandue. A cette époque, les banques étaient autorisées à imprimer leurs propres billets. Ceux-ci étaient convertibles en monnaie et, sur le plan légal, ne constituaient qu’un substitut à l’argent. Il arrivait alors que certaines banques ne disposent plus d’une couverture en monnaie suffisante pour convertir leurs propres billets de banque. Pour mettre un terme à cette situation problématique ainsi qu’aux inconvénients que représentait la diversité des billets de banque en circulation, le peuple suisse octroya à la Confédération le monopole sur l’émission des billets de banque le 18 octobre 1891.
L’article relatif aux billets de banque qui fut alors inscrit dans la Constitution fédérale débute par la phrase: «Le droit d’émettre des billets de banque et toute autre monnaie fiduciaire appartient exclusivement à la Confédération». Ceci correspond précisément à ce que l’initiative «Monnaie pleine» entend aujourd’hui faire inscrire dans la Constitution. Mais pourquoi donc, si la décision a déjà été prise il y a longtemps? Parce que dans l’intervalle, la précision «et de toute autre monnaie fiduciaire» a été supprimée de la Constitution lors de la révision de l’article sur les billets de banque adoptée en 1999.
Phénomène étonnant: en vertu de la Constitution, la Suisse a dans les faits disposé d’un système de monnaie pleine de 1891 à 1999. La Confédération jouissait alors d’un monopole complet sur l’émission de monnaie, et la participation des cantons aux bénéfices de la BNS avait été ancrée dans la Constitution dès 1891.
Dans la pratique, les banques n’ont toutefois pas respecté le monopole de création de monnaie confié à la Confédération au moment où elles ont introduit des instruments de paiement autres que les espèces et débuté l’émission de monnaie scripturale. La Confédération a toléré cette pratique durant des années. En 1999, lors de la révision de l’article sur les billets de banque évoquée précédemment, la Constitution a finalement été adaptée à la pratique, sans que la question de la création de monnaie soit portée au débat public.
Depuis, l’émission de monnaie scripturale par les banques a explosé, constituant aujourd’hui 90% de l’argent en circulation en Suisse. La monnaie électronique est désormais placée sur un pied d’égalité avec les espèces, alors que sur le plan légal, il ne s’agit que d’un substitut, à l’instar des billets de banque à l’époque.
Les problèmes et dangers de l’émission de substituts d’argent par un grand nombre de banques sont les mêmes avec la monnaie scripturale d’aujourd’hui qu’ils l’étaient à l’époque avec les billets de banque. Par conséquent, les arguments qui avaient prévalu en leur temps lors de la création d’un monopole sur les billets de banque approuvée par le peuple en 1891 restent d’actualité dans le cadre de l’initiative «Monnaie pleine» qui défend l’introduction d’un monopole de la BNS sur la création de monnaie scripturale. L’objectif reste aujourd’hui encore de garantir un trafic des paiements résistant aux crises ainsi qu’un approvisionnement monétaire adéquat de l’économie dans le cadre d’une politique monétaire visionnaire et démocratiquement légitimée.
Par Mark Joób, 2. avril 2015
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