Paul VI, prophète de « la civilisation de l’amour »
Paul VI, souvent incompris et calomnié, a en réalité été un prophète dans un temps de grande turbulence tant au niveau des sociétés occidentales qu’à l’intérieur de l’Église. Telle est du moins la thèse que défend le P. Patrick de Laubier dans ce livre (1).
Être chrétien dans un monde d’abondance
Prophète, Paul VI l’aurait notamment été en annonçant la « civilisation de l’amour ». Le pape utilise cette expression pour la première fois le 25 décembre 1975, dans l’homélie de clôture de l’Année sainte, « mais la réalité prophétisée traverse tout son enseignement », écrit le P. Patrick de Laubier. C’est ce qu’il montre en parcourant ses nombreux écrits pontificaux. Il remonte à la longue lettre pastorale de Carême 1963 publiée alors qu’il était encore le cardinal Montini (2).
La question de l’archevêque de Milan est déjà de savoir comment le chrétien, « un porteur de croix », peut « avoir droit de cité dans la civilisation moderne », dans une société d’abondance. Après avoir évoqué les perspectives et les risques de cette civilisation du bien-être et son matérialisme pratique, il parle longuement de la pauvreté chrétienne, conscient du caractère apparemment anachronique d’une telle référence : » Il semble absurde aujourd’hui de faire l’éloge de la pauvreté. La richesse a pris une telle importance que la louange ou même la simple tolérance de la pauvreté apparaît comme un non-sens. »
La primauté de l’économie désavouée
Cette pauvreté est aussi économique et celle-ci est le reflet d’une autre pauvreté, celle de l’esprit qui elle est indispensable pour le chrétien. La pauvreté en esprit, écrit le cardinal Montini, c’est « la prise de conscience de l’insuffisance humaine et du besoin de Dieu qui en découle, c’est le désaveu de la primauté de l’économie et de la capacité des biens temporels à satisfaire le cœur de l’homme. (…) Nous devrons même d’autant plus connaître et pratiquer la pauvreté chrétienne qu’aujourd’hui, au milieu de l’abondance des biens temporels, nous sommes davantage tentés de l’oublier ou empêchés de la pratiquer. »
Ceci ne l’empêche pas de juger positivement le bien-être économique, tout en exprimant des réserves sur les mentalités qu’il favorise : l’areligiosité, l’égocentrisme et le relâchement moral. Au final, les chrétiens sont « invités à la charité et au sacrifice au plan local et universel de manière à faire du bien-être économique un instrument de la charité évangélique, de la miséricorde », conclut le P. de Laubier.
Un humanisme plénier
Dans son parcours, P. de Laubier s’arrête notamment sur l’encyclique Populorum Progressio (1967). « Cette encyclique est un exposé sur ce que pourrait être la ‘civilisation de l’amour’ », écrit-il. La première partie, qui expose l’anthropologie chrétienne, se conclut par « un appel de note renvoyant à Humanisme intégral de Jacques Maritain, humanisme ouvert à l’Absolu c’est-à-dire à Dieu ».
« L’humanisme plénier » qu’évoque Paul VI n’est pas un humanisme sans Dieu. Pour Paul VI, l’humanisme chrétien est le seul qui puisse avoir un sens et un avenir. La veille de la publication de l’encyclique Humanae Vitae, lors de l’audience générale du 24 juillet 1968, le pape signifia que « le christianisme n’a pas confiance en l’humanisme naturaliste : il sait que l’homme et un être blessé depuis son origine et que dans la richesse complexe de ses facultés, il est porteur de déséquilibre extrêmement dangereux qui nécessite une discipline austère et permanente (…). Notre humanité triomphe de la grotesque déformation de la beauté humaine, recherchée dans la dolce vita. » « Ce procès de la dolce vita, commente de Laubier, annonçait la décision du lendemain. » En déclarant « intrinsèquement déshonnête » toute méthode artificielle de régulation des naissances, l’encyclique allait à l’encontre de l’air permissif et jouissif du temps et qui prend sens, selon l’auteur, dans une conception d’un humanisme chrétien dont la force vient du Christ et qui contient une part de renoncement de soi.
« La civilisation de l’amour attend la conversion des chrétiens »
Pour le pape, la civilisation de l’amour « s’oppose à la contestation, au matérialisme et au conformisme qui est une conséquence de la peur », écrit encore l’auteur. Et c’est toujours en référence à cette civilisation de l’amour, qui exige la paix, que Paul VI dénonce la course aux armements, la délinquance et le terrorisme.
L’étude des différents textes de Paul VI fait apparaître que cette civilisation est une réalité « non pas utopique, mais surnaturelle. Pour dire les choses autrement ce n’est pas un mythe, mais un mystère qui exige la foi pour être envisagé », écrit le P. de Laubier. Ou encore : « La ‘civilisation de l’amour’ attend la conversion des chrétiens. » Une conversion qui renouvelle en profondeur les capacités d’aimer et de vivre-ensemble. Telle est la conviction à laquelle Paul VI n’a jamais dérogé même au cœur des années de tempête qui ont suivi le Concile. Ce n’est pas le moindre des intérêts de ce livre que de nous faire (re)découvrir cette période difficile pour l’Église à travers des textes et des discours qui méritent d’être mieux connus. Et en lisant P. de Laubier on peut se demander si « l’écologie humaine » dont il est tant questions en ce moment n’est pas une autre manière de parler de cette « civilisation de l’amour ».
(1) Patrick de Laubier, La civilisation de l’amour selon Paul VI, Frédéric Aimard éditeur, 112 p., 13 €.
(2) Voir le texte dans La Documentation catholique du 19 mai 1963, p. 672-692.
DISCOURS DU PAPE PAUL VI
À L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES À L’OCCASION DU 20ème ANNIVERSAIRE DE L’ORGANISATION*
Lundi 4 octobre 1965
Au moment de prendre la parole devant cet auditoire unique au monde, Nous tenons à exprimer d’abord Notre profonde gratitude à Monsieur Thant, votre Secrétaire Général, qui a bien voulu Nous inviter à rendre visite aux Nations-Unies, à l’occasion du vingtième anniversaire de cette institution mondiale pour la paix et la collaboration entre les peuples de toute la terre.
Merci également à Monsieur le Président de l’Assemblée, Monsieur Amintore Fanfani, qui, dès le jour de son entrée en charge, a eu pour Nous des paroles si aimables.
Ici encore Nous répétons Notre souhait: allez de l’avant! Nous dirons davantage: faites en sorte de ramener parmi vous ceux qui se seraient détachés de vous; étudiez le moyen d’appeler à votre pacte de fraternité, dans l’honneur et avec loyauté, ceux qui ne le partagent pas encore. Faites en sorte que ceux qui sont encore au dehors désirent et méritent la confiance commune, et soyez alors généreux à l’accorder. Et vous, qui avez la chance et l’honneur de siéger dans cette assemblée de la communauté pacifique, écoutez-Nous: cette confiance mutuelle qui vous unit et vous permet d’opérer de bonnes et grandes choses, faites en sorte qu’il n’y soit jamais porté atteinte, qu’elle ne soit jamais trahie.
4 La logique de ce souhait qui appartient, peut-on dire, à la structure de votre Organisation, Nous porte à le compléter par d’autres formules. Les voici: que personne, en tant que membre de votre union, ne soit supérieur aux autres: Pas l’un au-dessus de l’autre. C’est la formule de l’égalité. Nous savons, certes, que d’autres facteurs sont à considérer outre la simple appartenance à votre organisme. Mais l’égalité aussi fait partie de sa constitution: non pas que vous soyez égaux, mais ici vous vous faites égaux. Et il se peut que, pour plusieurs d’entre vous, ce soit un acte de grande vertu: permettez que Nous vous le disions, Nous, le représentant d’une religion qui opère le salut par l’humilité de son divin Fondateur. Impossible d’être frère si l’on n’est humble. Car c’est l’orgueil, si inévitable qu’il puisse paraître, qui provoque les tensions et les luttes du prestige, de la prédominance, du colonialisme, de l’égoïsme: c’est lui qui brise la fraternité. 5. Et ici Notre Message atteint son sommet. Négativement d’abord: c’est la parole que vous attendez de Nous et que Nous ne pouvons prononcer sans être conscient de sa gravité et de sa solennité: jamais plus les uns contre les autres, jamais, plus jamais! N’est-ce pas surtout dans ce but qu’est née l’Organisation des Nations-Unies: contre la guerre et pour la paix? Ecoutez les paroles lucides d’un grand disparu, John Kennedy, qui proclamait, il y a quatre ans:« L’humanité devra mettre fin à la guerre, ou c’est la guerre qui mettra fin à l’humanité ». Il n’est pas besoin de longs discours pour proclamer la finalité suprême de votre Institution. Il suffit de rappeler que le sang de millions d’hommes, que des souffrances inouïes et innombrables, que d’inutiles massacres et d’épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui vous unit, en un serment qui doit changer l’histoire future du monde: jamais plus la guerre, jamais plus la guerre! C’est la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de toute l’humanité! Merci à vous, gloire à vous, qui depuis vingt ans travaillez pour la paix, et qui avez même donné à cette sainte cause d’illustres victimes! Merci à vous et gloire à vous pour les conflits que vous avez empêchés et pour ceux que vous avez réglés. Les résultats de vos efforts en faveur de la paix, jusqu’à ces tout derniers jours, méritent, même s’ils ne sont pas encore décisifs, que Nous osions Nous faire l’interprète du monde entier et que Nous vous exprimions en son nom félicitation et gratitude. Vous avez, Messieurs, accompli, et vous accomplissez une grande œuvre: vous enseignez aux hommes la paix. L’ONU est la grande écalé où l’on reçoit cette éducation, et nous sommes ici dans l’Aula Magna de cette école. Quiconque prend place ici devient élève et devient maître dans l’art de construire la paix. Et quand vous sortez de cette salle, le monde regarde vers vous comme vers les architectes, les constructeurs de la paix.
La paix, vous le savez, ne se construit pas seulement au moyen de la politique et de l’équilibre des forces et des intérêts. Elle se construit avec l’esprit, les idées, les œuvres de la paix. Vous travaillez à cette grande œuvre. Mais vous n’êtes encore qu’au début de vos peines. Le monde arrivera-t-il jamais à changer la mentalité particulariste et belliqueuse qui a tissé jusqu’ici une si grande partie de son histoire? Il est difficile de le prévoir; mais il est facile d’affirmer qu’il faut se mettre résolument en route vers la nouvelle histoire, l’histoire pacifique, celle qui sera vraiment et pleinement humaine, celle-là même que Dieu a promise aux hommes de bonne volonté.
Les voies en sont tracées devant vous: la première est celle du désarmement. Si vous voulez être frères, laissez tomber les armes de vos mains. On ne peut pas aimer avec des armes offensives dans les mains. Les armes, surtout les terribles armes que la science moderne vous a données, avant même de causer des victimes et des ruines, engendrent de mauvais rêves, alimentent de mauvais sentiments, créent des cauchemars, des défiances, de sombres résolutions; elles exigent d’énormes dépenses; elles arrêtent les projets de solidarité et d’utile travail; elles faussent la psychologie des peuples. Tant que l’homme restera l’être faible, changeant, et même méchant qu’il se montre souvent, les armes défensives seront, hélas!, nécessaires. Mais vous, votre courage et votre valeur vous poussent à étudier les moyens de garantir la sécurité de la vie internationale sans recourir aux armes: voilà un but digne de vos efforts, voilà ce que les peuples attendent de vous. Voilà ce qu’il faut obtenir! Et pour cela, il faut que grandisse la confiance unanime en cette Institution, que grandisse son autorité; et le but alors – on peut l’espérer – sera atteint. Vous y gagnerez la reconnaissance des peuples, soulagés des pesantes dépenses des armements, et délivrés du cauchemar de la guerre toujours imminente. Nous savons – et comment ne pas Nous en réjouir? – que beaucoup d’entre vous ont considéré avec faveur l’invitation que Nous avons lancée pour la cause de la paix, de Bombay, à tous les Etats, en décembre dernier: consacrer au bénéfice des Pays en voie de développement une partie au moins des économies qui peuvent être réalisées grâce à la réduction des armements. Nous renouvelons ici cette invitation, avec la confiance que Nous inspirent vos sentiments d’humanité et de générosité. 6. Parler d’humanité, de générosité, c’est faire écho à un autre principe constitutif des Nations-Unies, son sommet positif: ce n’est pas seulement pour conjurer les conflits entre les Etats que l’on œuvre ici; c’est pour rendre les Etats capables de travailler les uns pour les autres. Vous ne vous contentez pas de faciliter la coexistence entre les nations: vous faites un bien plus grand pas en avant, digne de Notre éloge et de Notre appui: vous organisez la collaboration fraternelle des Peuples. Ici s’instaure un système de solidarité, qui fait que de hautes finalités, dans l’ordre de la civilisation, reçoivent l’appui unanime et ordonné de toute la famille des Peuples, pour le bien de tous et de chacun. C’est ce qu’il y a de plus beau dans l’Organisation des Nations Unies, c’est son visage humain le plus authentique; c’est l’idéal dont rêve l’humanité dans son pèlerinage à travers le temps; c’est le plus grand espoir du monde; Nous oserons dire: c’est le reflet du dessein de Dieu – dessein transcendant et plein d’amour – pour le progrès de la société humaine sur la terre, reflet où Nous voyons le message évangélique, de céleste, se faire terrestre. Ici, en effet, il Nous semble entendre l’écho de la voix de Nos Prédécesseurs, et de celle, en particulier, du Pape Jean XXIII, dont le Message de Pacem in Terris a trouvé parmi vous une résonance si honorable et si significative. Ce que vous proclamez ici, ce sont les droits et les devoirs fondamentaux de l’homme, sa dignité, sa liberté, et avant tout la liberté religieuse. Nous sentons que vous êtes les interprètes de ce qu’il y a de plus haut dans la sagesse humaine, Nous dirions presque: son caractère sacré. Car c’est, avant tout, de la vie de l’homme qu’il s’agit, et la vie de l’homme est sacrée: personne ne peut oser y attenter. C’est dans votre Assemblée que le respect de la vie, même en ce qui concerne le grand problème de la natalité, doit trouver sa plus haute profession et sa plus raisonnable défense. Votre tâche est de faire en sorte que le pain soit suffisamment abondant à la table de l’humanité, et non pas de favoriser un contrôle artificiel des naissances, qui serait irrationnel, en vue de diminuer le nombre des convives au banquet de la vie.
*AAS 57 (1965), p.877-885.
Insegnamenti di Paolo VI, vol. III, p.507-516.
L’Osservatore Romano, 6.10.1965 p.3, 4.
L’Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.41 p.1.
La Documentation catholique n. 1457 col.1730-1738.
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