Sortir de la crise par la demande :
Des  dividendes  pour la consommation  des familles.


​L’offre ou la demande ?

Sortir de la crise. Soit. Mais comment ?
Par l’offre ou par la demande ?

– Soutenir l’offre en subventionnant momentanément les entreprises, dont les banques, nécessite de très sérieuses garanties. Il conviendrait de s’assurer que les capitaux prêtés concourent exclusivement au maintien et au développement de l’activité économique et ne sont pas utilisés à alimenter des jeux financiers nocifs et dangereux. On a, en effet, constaté depuis les années 1980, que l’épargne des entreprises est davantage dirigée vers les circuits financiers spéculatifs que vers la création de biens et services, et l’emploi. D’où les hausses des prix du marché de l’immobilier dans les pays développés. Hausses qui ont jeté à la rue les populations les plus fragiles. Il faut d’ailleurs souligner que ce sont les prêts bancaires accordés à des organismes privés qui ont alimenté les bulles spéculatives qui, depuis plus de 30 ans, falsifient les marchés, notamment le marché immobilier, avec la dernière crise des subprimes.
Alors, peut-on croire réellement que parce que quelques dirigeants sont dépêchés, en avril 2009, pour moraliser les acteurs et les instruments d’un système pervers que ce dernier deviendra vertueux ? Il ne peut s’agir que de pérenniser un système de distribution des revenus en difficulté, mais en aucun cas de le remplacer par un système plus vertueux et solidaire. A ce titre, le choix de la place financière de Londres, temple des affairistes et de leurs groupes de pression, n’est pas anodin.

– Soutenir la demande par une revalorisation des salaires et de leurs ersatz sociaux reviendrait à oublier que les salaires ne sont pas que des revenus mais sont aussi des coûts. Coûts qui s’incorporent dans les prix des biens et des services produits. Renchérir le coût des produits nationaux et européens reviendrait donc à les pénaliser sur les marchés internationaux, et à favoriser les produits importés à plus bas prix sur nos marchés intérieurs. On se demande quelquefois si ceux-là même qui applaudissent les politiques de bas coûts (dont les publicitaires qui en accréditent l’idée absurde) sont conscients qu’ils encouragent ainsi des politiques de salaires à très bas coûts ? Une augmentation des salaires impliquerait ici, in fine, un réarmement douanier et des mesures de protection.

Dépasser l’alternative de l’offre ou de la demande

Alors, ne conviendrait-il pas de dépasser cette alternative et de réactiver, au niveau européen, la proposition du ministre et fondateur de l’OFCE Jean-Marcel Jeanneney [1](1995) de distribuer directement à tous les consommateurs un revenu additionnel, et de le renouveler si nécessaire. Il s’agirait d’injecter auprès du public des revenus financés par une monnaie qui ne soit pas d’origine bancaire. C’est-à-dire qui ne soit pas la contrepartie d’un prêt bancaire, mais qui soit émise par la BCE (Banque centrale), puis distribuée directement à tous les Européens. En effet, comme on le sait, la BCE ne peut remettre des ressources à des organismes publics ni à des personnes morales privées qui en reçoivent d’ordinaire de l’Etat. Les accords européens l’interdisent. En revanche, ils n’interdisent pas qu’elle les remette directement aux citoyens des pays concernés. La BCE distribuerait ainsi la même somme à chacun, sans favoriser une catégorie sociale plus qu’une autre, ou sans perturber les marchés Cette distribution de revenus fournirait aux ménages un pouvoir d’achat supplémentaire, qui n’alourdirait en rien les coûts de production.

Une capitation inversée

Jean Marcel Jeanneney évoquait les deux raisons qui justifient cette distribution directe :
– Une raison juridique, d’une part, car la Banque centrale (BCE) ne peut remettre des ressources à des organismes publics, ni à des personnes morales privées qui en reçoivent normalement de l’Etat, ce qui indirectement reviendrait à leur accorder des subventions.
– Une raison économique, d’autre part, car aucune catégorie sociale ne doit être favorisée plus qu’une autre, ce qui perturberait encore plus le fonctionnement des marchés.
Il proposait en quelque sorte « une capitation inversée ». Le mot capitation désignant un impôt uniforme prélevé par tête d’habitant, l’allocation versée en serait l’inverse.
Le principe de cette capitation inversée pourrait être initié par le versement de 200 euros à 300 euros à toute personne, quels que soient son âge et ses revenus (soit globalement pour la France 300 euros multipliés par 62 millions d’individus = environ 18,6 milliards d’euros). La BCE pourrait d’ailleurs renouveler ces émissions directes si l’activité économique le demande. La simplicité de cette répartition serait appréciée par tous. Sans perturber les grands équilibres, ces revenus d’un même montant distribués à tous accroitraient sensiblement le pouvoir d’achat des familles à revenus modestes et un peu celui des familles à revenus aisés.

Les moins aisés y gagneraient beaucoup et le plus aisés y gagneraient un peu. On peut supposer que certains foyers n’utiliseront pas ces revenus à l’achat de marchandises, mais les épargneront.. D’autres, en revanche, achèteront des biens et des services, les consommeront. Ce qui exigera leur renouvellement et relancera la mécanique économique de la consommation et de la production. Puis à leur tour, les fournisseurs transformeront ces revenus en dépôts et en épargnes. Ces nouveaux dépôts et épargnes viendront accroître ou recréer la liquidité des banques secondaires du réseau européen. Les banques secondaires n’auront donc plus besoin de la garantie ou de l’aide de l’Etat (et de l’argent des contribuables) pour reprendre leur activité traditionnelle.

Relever les réserves obligatoires…

En revanche, il conviendrait, comme le soulignait pertinemment le ministre Jeanneney, de « réactiver les réserves obligatoires ». En effet, on sait que le pouvoir de création monétaire ex nihilo des banques est limité par l’obligation d’avoir en encaisse une fraction de dépôts qu’elles génèrent en accordant des prêts (Prêt consenti d’ailleurs en spéculant sur la capacité présumée de la banque à couvrir ultérieurement celui-ci par des rentrées d’argent d’autres clients). On parle ici d’un taux de couverture fractionnaire des dépôts par les encaisses. Cet instrument permet de limiter le pouvoir qu’ont les banques de créer ex nihilo de la monnaie en accordant des prêts à leur clientèle (en leur ouvrant des comptes de dépôts). Elles ont ainsi l’obligation de déposer des réserves obligatoires auprès de la Banque centrale.
Plus le taux de ces réserves (ou de couverture fractionnaire) est bas, plus le pouvoir de création monétaire des banques est élevé. Plus il est élevé, plus leur pouvoir est limité.

Or, si la Banque centrale injectait directement de la monnaie dans l’économie, il faudrait donc, en contrepartie, que les banques diminuent leurs émissions monétaires. Puisque le Banquier central créera la monnaie nécessaire à l’activité économique, les banquiers secondaires devront s’en abstenir. S’ils en produisaient pendant la même période, ils inonderaient les marchés et provoqueraient des mouvements de hausses des prix et d’inflation. Aussi, pour les contraindre à limiter ce pouvoir de création monétaire, il faut remonter le niveau des réserves fractionnaires des banques.
…. Jusqu’à un taux de couverture intégral de tous les dépôts par des encaisses

Mais après ? Quand ces émissions directes de monnaie par la Banque centrale auront permis la relance des activités économiques, ne pourrait-on pas les renouveler de façon permanente ? Il conviendrait alors de rendre à la Banque centrale son pouvoir exclusif – ou régalien – de création monétaire. Et, comme le demandait Irving Fisher, de mettre définitivement la monnaie à l’abri des prêts.
La monnaie serait ainsi émise régulièrement par la Banque centrale au rythme du développement économique. Sans booms, ni dépressions. Sans générer des survalorisations éphémères, qui ne profitent qu’à quelques initiés, ou des sous-valorisations dramatiques que toute la collectivité finance. Mais en offrant à tous la sécurité de maintenir la valeur de leur patrimoine et de leurs engagements sur l’avenir.
Cette monnaie pourrait donc continuer à être périodiquement distribuée à tous, crédités sur les comptes de chaque citoyen sous la forme d’un dividende national dont le montant par tête serait identique. La garantie de ces dividendes permettra à tous, actifs ou non actifs, de se projeter et d’investir dans l’avenir.
Nous aurions là l’amorce d’une politique économique créditrice – ou de crédit social ou créditiste – qui ne demandera qu’à se développer et se perfectionner pour mettre durablement la finance au service de l’économie, et l’économie au service de l’homme. Le développement durable implique aussi que l’argent n’asservisse plus l’humanité. Faute de quoi, il n’y a pas de futur.

Janpier Dutrieux, 2009

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[1] – Jean-Marcel Jeanneney, Ecoute la France qui bouge, Arléa 1995.

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