Monnaie-pleine au Vatican
Rapport remis hier matin au Pape par Mme Véronique Fayet, la présidente du Secours catholique, en présence du Président Emmanuel Macron.

Mettre la finance au service de l’intérêt général 
Un rapport du Secours Catholique – Caritas France.
En pdf avec les liens ci-dessous qui vous permettront un accès plus aisé, notamment aux graphiques, tableaux et images
Auteurs : Grégoire Niaudet, en collaboration avec Mireille Martini
En partenariat avec : Finance Watch Institut Veblen pour les réformes économiques
Michel Crinetz, Alain Grandjean, Kako Nobukpo, Cécile Renouard, Laurence Scialom
Comité éditorial : Michel Crinetz, ancien superviseur financier Alain Grandjean, économiste, membre du conseil scientifique de la FNH Wojtek Kalinoski, co-directeur de l’Institut Veblen Benoît Lallemand, secrétaire général de Finance Watch Kako Nobukpo, économiste au CIRAD (Paris), professeur agrégé de sciences économiques à l’Université de Lomé, Togo Dominique Plihon, professeur émérite d’économie, membre du conseil scientifique d’Attac Cécile Renouard, directrice de programmes de recherches à l’ESSEC Laurence Scialom, professeure à l’Université Paris Nanterre
Nous remercions pour leurs contributions : Émilie Johann, Noëlle Simonot, Gérard Petit, Armelle Guillembet, Pascale Novelli, Daniel Verger, Christelle Bresin et Sandrine Verdelhan (Secours Catholique – Caritas France), Lucile Dufour et Meike Fink (Réseau Action Climat) Nous remercions spécialement Gaël Giraud, auteur de la postface de ce rapport.
Conception graphique : Possum Interactive Illustrations : Yoann Dondicol (Possum Interactive) Maquette : Guillaume Seyral – Fadip
© Secours Catholique / Caritas France – 2018


Positions très récentes:


http://desiebenthal.blogspot.com/2018/05/positions-catholiques-et-chretiennes.html


http://desiebenthal.blogspot.com/2015/08/universite-de-fribourg-la-monnaie-bien.html


Rerum novarum toujours plus d’actualité

Presque dès le début de l’Encyclique de Léon XIII, deux phrases, qui se rapportent certainement à cette voracité de l’argent, nous laissent sur une certaine curiosité, par l’emploi d’une expression non précisée et qui ne revient pas dans le reste du document :

« Une usure dévorante est venue ajouter encore au mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l’Église, elle n’a cessé d’être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d’une insatiable cupidité ».

Qu’est-ce que cette « usure dévorante sous une autre forme ? » En quoi consiste cette nouvelle forme d’usure qui est venue s’ajouter à l’oppression des travailleurs ? 

C’est cette “création monétaire du néant” qui écrase les familles par des intérêts exponentiels et déments sur la durée.

La création de la dette publique perpétuelle, contractée par les États, les provinces et les communes, même pour entreprises non lucratives. Cette dette permet aux capitalistes de s’enrichir, aux dépens de l’État, par les bénéfices qu’ils réalisent sur le prix d’émission des emprunts. Elle fournit aux spéculateurs un élément considérable pour l’agiotage et les jeux de bourse et aux rentiers le moyen de s’approprier les fruits du travail du peuple. ( voir notamment le point 9 ci-dessous et le blog en lien ).

Benoît XV écrivait que «c’est sur le terrain économique que le salut des âmes est en danger».

Et Pie XI:

«Il est exact de dire que telles sont, actuellement, les conditions de la vie économique et sociale qu’un nombre très considérable d’hommes y trouvent les plus grandes difficultés pour opérer l’oeuvre, seule nécessaire, de leur salut.»(Encyclique Quadragesimo anno.)

L’ordre, l’ordre partout. L’ordre dans la hiérarchie des fins, l’ordre dans la subordination des moyens.

C’est le même Pape qui dit dans la même encyclique:

«Nous entendons parler ici de cet ordre que ne se lasse pas de prêcher l’Evangile et que réclame la droite raison elle-même, de cet ordre qui place en Dieu le terme premier et suprême de toute activité créée, et n’apprécie les biens de ce monde que comme de simples moyens dont il faut user dans la mesure où ils conduisent à cette fin.»

Et aussitôt après, le Saint-Père ajoute:

«Loin de déprécier comme moins conforme à la dignité humaine l’exercice des professions lucratives, cette philosophie nous apprend au contraire à y voir la volonté sainte du Créateur, qui a placé l’homme sur la terre pour qu’il la travaille et la fasse servir à toutes ses nécessités.»

L’homme est placé par son Créateur sur la terre, et c’est à la terre qu’il a le devoir de demander la satisfaction des besoins de sa nature. Il n’a pas le droit d’abréger sa vie en se privant des biens que son Créateur a placés sur la terre pour lui.

Faire la terre, les choses terrestres servir à toutes les nécessités temporelles des hommes, voilà justement la fin propre des activités économiques de l’homme: l’adaptation des biens aux besoins.

PS:

Monnaie-pleine, Genève a voté oui, puis les résultats ont été trafiqués ! http://desiebenthal.blogspot.com/2018/06/monnaie-pleine-la-ville-des-banques.html

Commentaire de Mme Michèle Herzog suite à ce communiqué paru dans plusieurs journaux, dont 20 minutes, le Matin, etc…

10.06.2018, 14:21 Heures

Excellents résultats pour l’initiative Monnaie pleine. Félicitations aux personnes qui ont alerté la population sur le problème lié à la création de la monnaie scripturale pour les banques (création de monnaie incontrôlable). Le fait que la ville de Genève ait accepté cette initiative est un signal très fort.

Michèle Herzog

Notre commentaire après le changement des résultats:
:
Tous les résultats sont très douteux car il est beaucoup trop facile de manipuler le processus des votes, surtout les votes électroniques et ceux par correspondance.

Nous avons des certitudes de tricheries démocratiques trop faciles et prions toutes les personnes courageuses de réfléchir, s’informer et réagir.

Nous lançons une initiative fédérale pour une révision totale de la constitution suisse, avis aux amateurs
http://desiebenthal.blogspot.com/2018/06/revision-totale-de-la-constitution.html

Gaspard Cardinal Mermillod (1824-1892).

Il est né à Carouge, près de Genève, où son père exerçait la profession de boulanger. Ordonné prêtre, à 23 ans, il est ensuite nommé vicaire à Genève et devient un des grands prédicateurs de son temps. Pie IX le sacre Évêque d’Hébron avec Genève comme charge. Il prononça à Sainte-Clotilde de Paris des sermons demeurés célèbres sur la condition des ouvriers.

Il joua un rôle de premier plan dans la préparation du Concile du Vatican et l’élaboration de l’Encyclique Rerum Novarum,



Léon XIII le créa Cardinal en 1890.

M. E. Duthoit décrit ainsi le rôle de Mgr Mermillod :


L’Evêque d’Hébron, admis dans l’intimité du Pape Léon XIII, entretenait le Pontife suprême des intérêts généraux du catholicisme, parmi lesquels sa clairvoyance plaçait sur le plan économique l’intervention résolue de l’Église enseignante. Ses suggestions trouvèrent écho dans l’âme de Léon XIII qu’animaient les mêmes pensées.

En 1882, le Pape retint Mgr Mermillod pendant de longs mois et le chargea de diriger à Rome même les travaux d’un comité qui avait pour mission d’étudier, à la lumière de la doctrine catholique, toutes les questions de l’Économie sociale et spécialement celles qui intéressent les travailleurs ; de chercher les vrais principes qui comptent pour l’Économie actuelle et comment les faire prévaloir au sein des sociétés ».

Le comité se mit à l’oeuvre et, après de sérieux échanges de vue, adopta des propositions sur la nature du travail, le droit de posséder, l’héritage, le revenu du capital. C’étaient là comme des travaux d’approche que l’Unionde Fri­bourg ne devait pas tarder à utiliser.

Les séjours à Rome de l’Evêque d’Hébron soit au moment du Concile, soit plus tard, l’avaient mis en relation avec deux catholiques autrichiens, le comte Kuefstein et le comte de Biome.
Lorsqu’en 1884 les invités de Mgr Mermillod se réunirent au palais épiscopal de Fribourg, trois sources trouvèrent là leur confluent :
– le Comité de Rome que Léon XIII, en qui mûrissaient les vastes projets et les longs espoirs, avait institué ;
– le groupe des catholiques de langue allemande, que présidait à Francfort le prince Charles de Loewenstein ;
– le Concile des Études, établi à Paris, au foyer même de l’Œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers.

Or, il était arrivé que, tout en travaillant séparément, ces trois groupes avaient montré une conformité absolue de tendances dans l’étude des mêmes problèmes, une volonté identique de puiser dans le catholicisme l’inspiration et les principes directeurs d’une réforme fondamentale de l’économie régnante. L’invitation de Mgr Mermillod va désormais leur permettre de travailler, non plus en ordre dispersé, mais en rangs serrés.
Peu à peu le caractère international de l’Union sera marqué plus nettement par sa composition même. Le premier jour, un évêque suisse, Mgr Mermillod, un Allemand, le prince de Loewenstein, un Autrichien, le comte Kuefstein, deux Français, le marquis de la Tour du Pin Chambly et M. Louis Milcent sont seuls présents. Bientôt le comte de Biome, l’illustre théologien Lehmkuhl viennent d’Autriche ou d’Allemagne ; le comte Albert de Mun et le P. de Pascal de France, le comte Medolago d’Italie, M. Python et M. Decurtins représentent la Suisse ; plus tard la section belge délègue le duc d’Ursel et M. Helleputte ; d’Italie encore vient celui que la postérité dénommera un nouvel Ozanam, le professeur Toniolo de Pise ; enfin, l’un des plus jeunes membres français de l’CEuvre des Cercles et du Conseil des Études, M. Henri Lorin, va « chercher à Fribourg, selon le mot du comte de Mun, les sources antiques de la doctrine catholique pour y plonger, comme en un bain de vie, ses aspirations démocratiques. Tous ces hommes tenaient déjà ou allaient tenir dans leur pays des positions de premier plan, dans les affaires publiques, dans les assemblées parlementaires, dans l’enseignement de la théologie, de l’économie politique ou du droit : si l’Union de Fribourg était un confluent, elle allait aussi déverser les eaux vives de sa doctrine par mille canaux dans tous les pays de l’Europe centrale, occidentale et au-delà.

Les travaux de l’Union de Fribourg constituèrent les matériaux dont Léon XIII se servit pour rédiger l’Encyclique Rerum Novarum.

Les thèses de l’Union de Fribourg donnent les précisions suivantes :

I. Salaire.

Le salaire indispensable à l’entretien de la classe ouvrière, dans  Eugène Dtrrnorr, L’Économie au Service de l’Homme, •pp. 70 et seq.


sa condition normale, eu égard aux temps et lieu, constitue l’élément primordial de ce que tout accord de travail doit procurer en stricte justice. Ce salaire répond-il suffisamment aux exigences de la justice sociale qui règle, en vue du bien commun, les rapports entre les diverses classes de la société ou entre les individus et le corps social ? Il faut en douter. La classe ouvrière a le droit de trouver, dans un certain complément au salaire indispensable, un moyen d’améliorer sa condition, notamment d’arriver à la propriété.
Le complément au salaire indispensable ne saurait avoir par­tout même forme et même mesure. Il est constitué par une partici­pation à la prospérité de l’industrie. L’équité demande que la parti­cipation à la prospérité de l’industrie qui l’emploie lui soit corré­lative. Sans prétendre qu’un accord de cette nature soit nécessaire ou suffisant pour le règne de la paix sociale, il faut y reconnaître un progrès sur le salariat proprement dit.
Le râle des pouvoirs publics est de favoriser la conclusion et la généralisation des meilleurs contrats et de promouvoir les organisa­tions sociales qui s’y rattachent ou, tout au moins, d’y orienter l’en­semble des lois, des mœurs et des institutions.
Abstraction faite des droits antérieurs, surtout de ceux qui dé­coulent soit de la nature, soit de conventions librement conclues, chacun acquiert, sur le produit immédiat de son travail, un droit absolu en soi, qui lui permet d’en disposer à son gré et à son profit.
L’homme, par son travail, n’acquiert point de titres immédiats à la libre disposition des fruits qu’il ne produit pas lui-même par un travail indépendant. Cependant le travail engendre un droit moral pour le travailleur et, par conséquent, pour la société le devoir cor­respondant de veiller à ce que, en thèse générale, le travailleur puisse, par un labeur modéré, se procurer une subsistance suffisante pour lui et les siens.
Le taux du salaire ne pouvant être le même dans les divers pays, un règlement international sur ce point n’est guère possible ; mais ce qui est possible et serait désirable, c’est une entente inter­nationale sur les principes à observer par chaque État pour régler les conditions économiques, de même que l’adoption de quelques règles générales, conformes à la loi chrétienne.
Il faudrait, avant tout et au plus vite, préparer une entente sur la solution de plusieurs questions qui influent, directement ou indi­rectement, sur le salaire, selon les mêmes principes.
En première ligne, il y aurait à prendre en .considération :

1°  le repos dominical ;

2° la restriction du travail des enfants qui ne devraient pas être employés dans les grandes usines avant l’âge de 14 ans et même à cet âge avec des mesures protectrices ;

3° puis la réduction du travail des femmes mariées dans les mines et les fabriques ;

4° la défense du travail souterrain aux femmes, jeunes filles et enfants ;

5° la régularisation internationale du commerce ;

6° enfin des journées de travail maximales. (Cependant, en
fixant cette durée, il faudrait avoir égard aux différentes conditions des diverses branches de travail).


Une entente internationale sur les points mentionnés pourra exercer une heureuse influence sur le salaire et conduire ensuite à d’autres mesures salutaires.

2. Régime de la propriété.

Ici les auteurs développent la thèse traditionnelle thomiste con­cernant la propriété et mise en lumière par le Père Liberatore, S. dans la Civilta Catholica. Cette même thèse est reprise dansRerum Novarum.

3. Régime du crédit.

L’Union de Fribourg reconnaît que :
1° Le régime actuel du crédit constitue ce qu’on appelle « le système capitaliste » ou « le capitalisme » tout court. Ce système suppose, à tort, que la valeur des choses séparées de leur substance a, en elle-même, une utilité économique et que, par conséquent, on peut tirer de cette valeur séparée des choses un intérêt fixe ; tandis qu’au contraire, considéré en lui-même, ce procédé a les traits caractéristiques de l’usure, telle qu’elle est définie dans le 5e Concile de Latran par Benoît XIV et les Pères de l’Église.

2° Ce système s’appuie sur la liberté absolue du travail, de la propriété et de l’échange, sur la reconnaissance doctrinale de l’intérêt individuel (égoïsme), comme moteur unique du travail économique et social, sur l’individualisme, sur l’idée de la productivité du capital et de l’argent, sur la considération de l’argent comme producteur général et suprême qui fructifie toujours.

Par suite de ce système, on sépare les moyens matériels du travail humain ; leur réunion économique s’opère par le crédit et on arrive à la capitalisation universelle.

3° Quelques-uns des effets de ce régime du crédit sont :
a) Une concentration démesurée des puissances économiques et des fortunes et un grand développement matériel éphémère ; la diminution relative de la rétribution des travailleurs, malgré l’augmentation de la productivité et de la production ; la diminution de la capacité de consommation qui doit nécessairement produire un excès relatif (partiel) de production et des crises économiques, comme nous le constatons de nos jours.
b) L’augmentation de la productivité sert principalement à la classe capitaliste et tourne au détriment des producteurs réels, sur­tout des journaliers, dont la situation devient de jour en jour plus précaire. Les salaires ne suivent pas la marche ascendante des capitaux.
c) La combinaison du système de crédit et de la liberté absolue de la propriété a entraîné la capitalisation et la mobilisation de la propriété foncière.
d) Au début de l’application de ce système, la valeur vénale du sol éprouve une augmentation pour les propriétaires, mais cet avantage n’est que passager et est suivi de rudes mécomptes.
e) Crevée par l’hypothèque, la terre n’a plus à faire vivre seulement les propriétaires et leurs employés, mais encore, avec les ouvriers et les exploitants, les prêteurs hypothécaires.
f) Le commerce perd sa base solide et voit augmenter son élément aléatoire ; la morale doit nécessairement en souffrir : poursuivre les richesses par n’importe quels moyens éloigne de la religion et nuit à la morale privée et publique.
g) La création de la dette publique perpétuelle, contractée par les États, les provinces et les communes, même pour entreprises non lucratives. Cette dette permet aux capitalistes de s’enrichir, aux dépens de l’État, par les bénéfices qu’ils réalisent sur le prix d’émission des emprunts. Elle fournit aux spéculateurs un élément considérable pour l’agiotage et les jeux de •bourse et aux rentiers le moyen de s’approprier les fruits du travail du peuple.
h) De grandes richesses à côté de grandes misères et non seulement de misères individuelles, mais la misère des masses ; en un mot, le paupérisme.
4° Les suites de ce régime ont été funestes, surtout pour la masse du peuple dépourvue de biens matériels et qui doit vivre du travail des mains.
Par suite du « libre jeu des forces » et de la soi-disant « loi d’airain », on peut dire que, tant que régnera le régime économique actuel, les classes ouvrières se trouveront dans une situation qui ne leur laissera aucun espoir d’amélioration sensible et durable.
5° Ce n’est pas toujours du reste tel ou tel acte qui est à incriminer, c’est le régime lui-même qui est usuraire et il l’est dans son essence, puisqu’il repose tout entier sur l’intérêt des valeurs improductives.
6° Cet état de choses, une fois établi, ne peut être modifié par des efforts individuels. Le pouvoir public, par certaines mesures, comme la protection des ouvriers, — surtout des femmes et des enfants —, les organisations du crédit, la défense de saisie des petites propriétés pour cause de dette, l’introduction de meilleures lois de succession, etc., pourra diminuer les effets du système de crédit, mais non les détruire.
7° Du reste, le capitalisme se détruit lui-même, en frappant les consommateurs dont il a besoin pour l’écoulement des produits du travail, — source de son revenu —, et en provoquant la révolte des travailleurs contre les propriétaires et la société qui les protège.
L’Union de Fribourg se propose de rechercher, dans les di­verses sphères de l’activité économique, les manifestations de l’usure et d’indiquer les remèdes aux maux de toutes sortes qu’elle en­gendre. A ce double point de vue, elle étudiera le régime industriel, le régime commercial, le régime de la propriété foncière et le régime budgétaire,

4. Rôle des pouvoirs publics.

Dans le domaine économique, le pouvoir public a d’abord les attributions relatives à l’administration des finances et des biens de l’État. Il s’agit ensuite
a) Pour régler législativement, s’il y a lieu, en conformité du droit naturel et des droits existants, les rapports mutuels entre les divers facteurs de la production ;
b) Pour réprimer les abus qui nuisent gravement au bien gé­néral;
c) Pour diriger la politique économique du pays vis-à-vis de l’étranger au point de vue de la prospérité nationale ;
d) Pour mettre l’activité, des entreprises particulières en har­monie avec le bien général, tout en laissant le plus grand essor possible à l’initiative privée.
En raison du désordre actuel, le pouvoir public doit, législative­ment, au moyen de mesures limitatives, prévenir l’exploitation des ouvriers par ceux qui les emploient et empêcher que les conditions du travail ne portent atteinte à la moralité, à la justice, à la dignité humaine, à la vie de famille du travailleur. Les chefs d’entreprise doivent être également protégés contre toute violence de la part des ouvriers.
A cet ordre d’idées appartiennent les thèses spéciales adoptées par l’Unionsur la réglementation du travail, le salaire et les assu­rances.

5. Régime corporatif.

1. La société est désorganisée ou, si l’on veut, elle n’est, sui­vant une parole royale très profonde, « organisée que pour être ad­ministrée ». Elle n’est plus un être vivant, mi chaque organe, auto­nome dans une juste mesure, joue un rôle et exerce une fonction elle est un mécanisme, composé de rouages plus ou moins ingé­nieusement assemblés, obéissant à une force centrale motrice toute puissante ; bref, elle est un automate et n’offre plus que l’appa­rence et l’illusion d’un corps animé. La cause de cette dissolution est dans la destruction des organismes, l’on pourrait dire des cel­lules sociales, qui composaient le corps vivant de la nation ; l’effet direct de cette pulvérisation a été partout, avec la prédominance d’un individualisme sauvage, le triomphe brutal du nombre s’incar­nant dans le despotisme d’un seul ou d’une foule.
Dès lors, le remède est tout indiqué : il se trouve dans le éta­blissement d’un régime corporatif.

2. L’établissement du régime corporatif ne saurait être rceuvre de décrets « a priori » ; il faut, par les idées, les moeurs, les encou­ragements, les faveurs, l’impulsion efficace des pouvoirs publics et la reconnaissance légale d’un droit propre, préparer activement l’éta­blissement du régime corporatif indispensable à l’ordre social, selon un plan général conforme à la nature des intérêts privés, en même temps qu’aux fins sociales dernières auxquelles il doit conduire.

3. L’on peut définir de la sorte ce régime : Le régime corpo­ratif est le mode organisation sociale qui a pour base le groupe-

ment des hommes d’après la communauté de leurs intérêts naturels et de leurs fonctions sociales et, pour couronnement nécessaire, la représentation publique et distincte de ces différents organismes.

4. Le rétablissement de la corporation professionnelle est une des applications partielles de ce système.

5. Le régime corporatif, dans sa perfection, comporte l’union des maîtres et des ouvriers ; mais cette union, destinée à constituer le véritable, corps professionnel, peut être préparée par la formation de groupes distincts les uns des autres.

Les principes du régime corporatif et ses avantages :

1° La similitude des devoirs, des droits et des intérêts rapproche et groupe naturellement les hommes qui exercent une même fonc­tion sociale.
2° Les groupes naturels et permanents qui résultent de ces rapprochements doivent posséder une forme organique et jouir d’une vie propre.
3° Leur coordination dans la société n’est pas ‘Moins nécessaire que leur organisation intérieure. En cette coordination consiste le régime corporatif.
4° Le régime corporatif est le seul dans lequel la représentation de tous les intérêts peut être assurée.
5° 11 est également le plus favorable à la connaissance de tous les droits et à l’accomplissement de tous les devoirs sociaux.
6° On peut donc dire que le régime corporatif est la condition nécessaire d’un bon régime représentatif ou encore que l’ordre professionnel est la base normale de l’ordre politique.
7° La corporation, étant une institution publique, doit avoir ses représentants dans les conseils de la commune, de la province et de l’Etat.
8° La plus grande diversité régnera d’ailleurs, selon les pays, les traditions historiques et les besoins passagers des intéressés, dans le mode d’élection, la composition des corporations et la proportion dans laquelle elles seront représentées dans les différents conseils du pays.
9° Le pouvoir public devra maintenir la bonne harmonie entre les différents groupes sociaux et exercer, sans se substituer à leur gouvernement intérieur, ses droits de police, de contrôle et de direc­tion générale, dans l’intérêt supérieur de la société.

 Cf. MASSARD, li-Œuvre du Cardinal Mermillod, Louvain 41914).


Son Eminence le Cardinal Mermillod
Le graphique ci-dessus…explique l’autre forme d’usure vorace, dont le texte explicatif  a disparu entre la Suisse et Rome.
L’abbé Drinkwater rapporte à ce sujet, qu’un comité, siégeant à l’Université de Fribourg en Suisse, avait préparé des éléments pour la rédaction de Rerum Novarum. Parmi les membres de ce comité, dit-il, s’en trouvait au moins un, un Autrichien, bien au courant de la question monétaire et du crédit bancaire. Un texte préparé par lui, apparemment approuvé par le Comité, devait bien montrer comment la simple monnaie scripturale, qui prend naissance dans une banque et qui tendait déjà à devenir l’instrument monétaire courant du commerce et de l’industrie, n’était en somme qu’une monétisation de la capacité de production de toute la communauté. L’argent nouveau ainsi créé ne peut donc être que social et nullement propriété de la banque. Social, par la base communautaire qui lui confère sa valeur ; social, par la vertu qu’a cet argent de commander n’importe quel service et n’importe quel produit, d’où qu’ils viennent. Le contrôle de cette source d’argent met donc entre les mains de ceux qui l’exercent un pouvoir discrétionnaire sur toute la vie économique. 
            Puis, la banque qui prête, non pas l’argent de ses déposants, mais des dépôts qu’elle crée elle-même de toute pièce, du néant, ex nihilo, par de simples inscriptions de chiffres, ne se départit de rien. L’intérêt qu’elle en exige est certainement de l’usure ; quel qu’en soit le taux, c’est plus que du 100 pour cent, puisque c’est de l’intérêt sur un capital zéro de la part du prêteur. Usure qui peut bien être dévorante : l’emprunteur ne peut trouver dans la circulation plus d’argent qu’il y en a été mis. Et c’est ainsi pour le total de tous les remboursements dépassant la somme de tous les prêts. Le service des intérêts ne peut être fait que moyennant une suite d’autres prêts exigeant d’autres intérêts. D’où une accumulation de dettes, de caractère privé et de caractère public, collectivement impayables. Plus de 93 % des dettes publiques au Canada ne sont que le résultat de cette machine infernale et même les soins médicaux sont rationnés pour laisser la “primeur” aux banquiers voleurs.
            Que fut exactement la rédaction de ce texte relatif au monopole du crédit ? Nous ne pouvons le savoir, puisqu’il ne parut pas dans l’Encyclique. Fut-il supprimé à Fribourg même dans la rédaction définitive de l’étude envoyée à Rome ? Fut-il subtilisé entre Fribourg et Rome, ou entre sa réception au Vatican et sa remise au Souverain Pontife ? Ou bien, est-ce Léon XIII lui-même qui décida de le laisser de côté ? L’abbé Drinkwater pose ces questions, mais n’y répond pas.

Derrière le “Da Vinci Code” et “Anges et Démons”, il y a un paradoxe. Des ‘illuminati’ qui ont juré d’anéantir la religion catholique.

L’affiche “Anges et Démons” résume … ce secret…un combat entre la lumière et les ténèbres…

Une très ancienne société secrète, les ‘illuminati’, qui ont juré d’anéantir la religion catholique, veut dominer le monde…par un nouvel “ordre” mondial…

Pour Alexandre Zaccuri, journaliste et écrivain, explique à “Il Riformista”:

“Derrière le “Da Vinci Code” et “Anges et Démons”, il y a un paradoxe: le Vatican, ou mieux l’Église, est dépositaire d’une vérité qu’on cherche à tout prix à tenir cachée. L’Église connaît la vérité mais elle est tenue secrète. ….. Et de plus, l’Église est coupable: car la vérité qu’elle détient, elle ne veut pas la diffuser. Il sont alors peu d’élus – un cercle ésotérique – qui tiennent les rênes de tout et soustraient au peuple ce qu’eux seuls connaissent. Et les lecteurs sont attirés par ce secret et suivent la trame de Dan Brown en le recherchant”.

Mais voici la Vérité promise depuis si longtemps ???


Lettre Encyclique

“Caritas in Veritate”

“L’Amour dans la Vérité”

Du Souverain Pontife le pape Benoît XVI

La vérité de ce combat déjà dans ” Vix pervenit” ?

C’est le texte rendu le plus secret de l’histoire car détruit régulièrement sur l’ordre de sectes secrètes à l’intérieur même de l’Église…Même les catalogues des bibliothèques en ont été expurgés dans le monde entier…et les prêtres et évêques n’en parlentjamais, sauf en Chine et aux Philippines, alors que c’est une encyclique papale universelle lumineuse de 4 pages sur les bons et les mauvais contrats économiques dans l’économie du salut …
Les mystères de l’iniquité aveuglent beaucoup de clercs et de laïcs…

Les manques de vocations et la civilisation de la mort gagnent car les fils de la lumière sont rendus aveugles par leur amour de l’argent qui est la racine de tous les péchés…

Mais la Vérité vaincra…

Un groupuscule a déversé du colorant rouge sang, le sang des innocents, dans la célèbre fontaine de Trevi.

« Ftm azionefuturista … ». C’est de ce nom étrange qu’un groupe a signé un forfait insolite, vendredi à Rome. Ils ont en effet déversé un puissant colorant rouge sang dans la célèbre fontaine de Trévi, transformant son eau en liquide vermillon. S’opposer « à tout et à tous avec un esprit de lutte et de saine violence » et faire de « cette société grise et bourgeoise, un triomphe de couleur », tel est le but avoué du groupuscule.
Devant ce bain de sang, les autorités de la ville éternelle se sont “un peu” indignées pour la façade.

La fontaine, immortalisée par Fellini dans sa « Dolce Vita », ne subira pas de dommages irréparables, mais le ministre de la Culture… a fait part de son « indignation » …
Le message est-il passé ?

http://www.lefigaro.fr/international/20071019.WWW000000679_une_fontaine_rouge_sang_en_italie.html

La vraie signification de la fontaine de Trevi et de cette action prophétique…
Construite à la demande du Pape Benoît XIV, le pape qui a rédigé Vix pervenit, l’encyclique de l’abondance, elle est l’œuvre de Nicolas Salvi qui l’achève en 1762. La fontaine est venue remplacer la bouche de l’aqueduc romain qui amène toujours l’eau abondante d’une source, l’Acqua Virgine.

Une jeune fille nommée Trevi, aurait révélé l’emplacement de la source à des soldats romains pour sauver sa virginité, histoire racontée sur les bas reliefs de la fontaine. Tre vie, trois voies ou trois vies de St Materne

Cette fontaine monumentale, adossée à un palais, reprend la forme d’un temple ou d’un arc de triomphe. La corne de l’abondance économique divine s’y déverserait si on respecterait vix pervenit…

Les statues entourant Neptune représentent l’abondance et la salubrité.
Les statues du dessus, représentent les quatre saisons. Il est de tradition, de lancer 3 pièces dans la fontaine, pour faire un vœu, pour avoir un enfant et pour être sûr de retourner à Rome !
L’argent récolté va aux pauvres…

Le texte de vix pervenit, qui règle les bons et mauvais contrats de la vie économique, indispensables pour régler l’abondance, se trouve sur internet.

C’est le texte normalement public, une encyclique, rendu le plus secret de l’histoire car détruit sur l’ordre de sectes secrètes à l’intérieur même de l’Eglise…Même les catalogues en ont été expurgés…

c’est une encyclique papale lumineuse de 4 pages de Benoît XIV, rendue universelle grâce à Grégoire XVII

« La cupidité est de l’idolâtrie » (Col 3.5 ; Éph 5.5) ; « C’est une racine de toutes sortes de maux que l’amour de l’argent : en cédant à ce désir, certains se sont égarés de la foi et se sont transpercés de beaucoup de douleurs. » (1 Tim 6.10)

Allégorie de l’abondance gratuite de l’eau potable pour tous ou Vix pervenit, comment lutter contre les symboles monétaires qui prennent la place des âmes.
St Nicolas de Flüe, vision communale… la seule solution, sinon…encore plus de guerres atroces.

http://desiebenthal.blogspot.com/2008/09/ami-chicago-du-2509-fte-de-st-nicolas.html

Allégorie de l’abondance gratuite de l’eau potable pour tous ou Vix pervenit, comment lutter contre les symboles monétaires qui prennent la place des âmes.

La fontaine de Trevi –allégorie de l’abondance ou Vix pervenit, comment lutter contre les symboles monétaires qui prennent la place des âmes…… Fontana di Trevi

Située en plein cœur de la ville, à proximité de la place Navone et de la place d’Espagne, la fontaine de Trevi est la fontaine la plus connue de Rome et un lieu de passage obligé pour beaucoup !

La fontaine est une allégorie de l’Océan avec, au centre, Neptune, se tenant sur un char en forme de coquille, tiré par deux chevaux marins, représentant l’eau violente (gauche) et l’eau sauvage (droite). Ils sont guidés par deux tritons.

La fontaine est venue remplacer la bouche de l’aqueduc romain qui amène toujours l’eau abondante d’une source, l’Acqua Virgine. Une jeune fille nommée Trevi, aurait révélé l’emplacement de la source à des soldats romains pour sauver sa virginité, histoire racontée sur les bas reliefs de la fontaine. Tre vie, trois voies ou trois vies de St Materne.

Cette fontaine monumentale, adossée à un palais, reprend la forme d’un temple ou d’un arc de triomphe. La corne de l’abondance économique divine s’y déverserait si on respecterait vix pervenit…

Les statues entourant Neptune représentent l’abondance et la salubrité.

Les statues du dessus, représentent les quatre saisons. Il est de tradition, de lancer 3 pièces dans la fontaine, pour faire un vœu, pour avoir un enfant et pour être sûr de retourner à Rome !

L’argent récolté va aux pauvres…

Le texte de vix pervenit, qui règle les bons et mauvais contrats de la vie économique, indispensables pour régler l’abondance, se trouve sur internet.

http://www.union-ch.com/articles.php?lng=fr&pg=337

C’est le texte normalement public, une encyclique, rendu le plus secret de l’histoire car détruit sur l’ordre de sectes secrètes à l’intérieur même de l’Église…Même les catalogues en ont été expurgés…et les prêtres et évêques n’en parlent jamais, alors que c’est une encyclique papale universelle lumineuse de 3 pages grâce à Grégoire XVII…Les mystères de l’iniquité aveuglent les clercs…Ceux qui ne la respectent pas sont excommuniés ipso facto, latae sententiae , et nombreux sont les membres de la hiérarchie dans ce cas…

Les manques de vocations et la civilisation de la mort gagnent car les fils de la lumière sont rendus aveugles par leur amour de l’argent qui est la racine de tous les péchés…

La cupidité est l’écho intérieur que trouve en nous Mammon. Ce défaut majeur de la nature humaine a été dénoncé :

– par la loi, dans le 10e commandement ou parole : « Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien qui soit à ton prochain » (Ex 20.17) ;

– par le Seigneur : « Du dedans, du cœur des hommes, sortent les mauvaises pensées, les adultères, les meurtres, les vols, les cupidités… » (Marc 7.21) ;

– par l’apôtre Paul : « La cupidité est de l’idolâtrie » (Col 3.5 ; Éph 5.5) ; « C’est une racine de toutes sortes de maux que l’amour de l’argent : en cédant à ce désir, certains se sont égarés de la foi et se sont transpercés de beaucoup de douleurs. » (1 Tim 6.10)

Pour autant, l’avarice n’est guère stigmatisée parmi les chrétiens… Et, bien qu’elle soit un des motifs d’excommunication explicitement mentionnés en 1 Cor 5.11, dans quelle église a-t-on même le souvenir d’une exclusion pour avarice notoire ?
L’accumulation n’a jamais rendu heureux. Notre système économique est basé sur le principe d’insatisfaction permanente des besoins : dès qu’ils sont comblés, il en suscite de nouveaux. L’Ecclésiaste en était revenu, lui qui était si riche : « Celui qui aime l’argent n’est point rassasié par l’argent, et celui qui aime les richesses ne l’est pas par le revenu. Cela aussi est vanité. » (Ecc 5.10) De plus, la richesse va souvent de pair avec une pauvreté selon Dieu, comme l’indique le Seigneur dans la parabole des greniers de l’homme riche (Luc 12.16-21). Et « quel profit y aura-t-il pour un homme s’il gagne le monde entier et fait la perte de son âme ? » (Marc 8.36)

Les millions de morts de faim et les milliards avortés crient vers le Ciel !

Qui les entendra ?

Vix pervenit signifie l’urgence. Aussitôt, à peine, kaum, now…que cette nouvelle parvient à nos oreilles, à nos yeux, nous DEVONS AGIR…au moins vouloir agir avec SON AIDE…

VIX PERVENIT

LETTRE ENCYCLIQUE
DU SOUVERAIN PONTIFE BENOÎT XIV

Sur l’usure,
et autres profits malhonnêtes


1. Nous avions appris qu’à l’occasion d’une nouvelle controverse (dont l’objet consiste à savoir si un certain contrat doit être jugé valide), il se répandait en Italie quelques opinions qui sembleraient n’être pas conformes à la saine doctrine. Aussitôt Nous avons considéré comme un devoir de notre ministère apostolique d’apporter un remède convenable à ce mal, qui pourrait à la faveur du temps et du silence, prendre de nouvelles forces, et de lui barrer la route pour l’empêcher de s’étendre plus loin et de gagner les villes d’Italie où il n’a pas encore pénétré.
C’est pourquoi Nous avons pris les moyens et suivi la méthode dont le Siège apostolique s’est toujours servi en pareil cas. Nous avons expliqué toute l’affaire à quelques-uns de nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Eglise romaine, qui se sont acquis une grande renommée par leur profond savoir en théologie et en droit ecclésiastique. Nous avons aussi appelé plusieurs réguliers qui tiennent le premier rang dans les deux facultés, et que nous avons pris en partie chez les moines en partie chez les religieux mendiants et enfin parmi les clercs réguliers. Nous y avons même adjoint un prélat qui est docteur en droit civil et canonique, et qui a longtemps suivi le barreau. Nous les avons tous assemblés en notre présence, le 4 juillet dernier, et, leur ayant fait un détail bien exact de l’affaire pour laquelle ils étaient convoqués, nous nous sommes aperçus qu’ils la connaissaient déjà parfaitement.

2. Ensuite Nous leur avons ordonné d’examiner à fond cette affaire, sans partialité, et sans passion, et de mettre par écrit leurs opinions. Toutefois nous ne les avons pas chargés de donner leur jugement sur le contrat qui avait occasionné la première dispute, parce qu’on manquait de plusieurs documents absolument nécessaires. Nous leur avons enjoint de déterminer en fait d’usure les points de doctrine auxquels les bruits qu’on a dernièrement répandus dans le public semblaient porter atteinte. Ils ont tous sans exception, exécuté nos ordres. Ils ont exposé publiquement leurs sentiments dans deux congrégations, dont la première s’est tenue devant nous le 18 juillet, et la seconde le 1er août dernier. Ils les ont enfin laissés par écrit entre les mains du secrétaire de la Congrégation.

3. Or voici les choses qu’ils ont approuvées d’un commun accord.

I. L’espèce de péché appellée usure et dont le lieu propre est le contrat de prêt – dont la nature demande qu’il soit rendu autant seulement que ce qui a été reçu – consiste pour le prêteur à exiger – au nom même de ce contrat – qu’il lui soit rendu davantage que ce qui a été reçu et, par conséquence, à affirmer que le seul prêt donne droit à un profit, en plus du capital prêté. Pour cette raison, tout profit de cette sorte qui excède le capital est illicite et usuraire.

II. Personne ne pourra être préservé de la souillure du péché d’usure en arguant du fait que ce profit n’est pas excessif ou inconsidéré mais modeste, qu’il n’est pas grand mais petit. Ni du fait que celui à qui on le réclame n’est pas pauvre mais riche. Ou bien encore que l’argent prêté n’a pas été laissé inactif mais a été employé très avantageusement pour augmenter sa propre fortune, acquérir de nouveaux domaines, ou se livrer à un négoce fructueux.
Est convaincu d’agir contre la loi du prêt – laquelle consiste nécessairement dans l’égalité entre ce qui est donné et ce qui est rendu – celui qui, après avoir reçu un équivalent, ne craint pas d’exiger encore davantage sous prétexte du prêt. En effet, le prêt n’exige, en justice, que l’équivalence dans l’échange. La justice dite “commutative” ordonne de maintenir dans les contrats humains l’égalité intangible de chacune des parties, et de la rétablir parfaitement dans le cas où elle aurait été rompue. Par conséquent si une personne a reçu plus qu’il n’a donné, elle est tenue à restituer le trop perçu.

III. Par là il n’est aucunement nié que quelquefois d’autres tites, comme l’on dit, pourront se trouver adjoints au contrat de prêt : des titres qui ne sont pas absolument pas inhérents ni intrinsèques à la nature du contrat de prêt considéré en général. De ces titres résultent une raison très juste et très légitime d’exiger, de façon régulière, plus que le capital dû sur la base du prêt.
De même, on ne nie pas qu’il y ait d’autres contrats d’une nature distincte de celle du prêt, qui permettent souvent de placer et d’employer son argent sans reproche, soit en procurant des revenus annuels par l’achat de rentes, soit en faisant un commerce et un négoce licite, pour en retirer des profits honnêtes.

IV. Il est certain que, dans tant de diverses sortes de contrats, il faut maintenir l’égalité propre à chacun. Tout ce qui est reçu au-delà ce qui est juste relève, sinon de l’usure – parce qu’il n’y a point de prêt avéré – du moins d’une autre injustice véritable qui impose pareillement l’obligation de le restituer. Par contre, si tout est fait dans les formes et pesé sur la balance de la justice, il est indubitable que ces mêmes contrats fournissent une multiplicité de moyens et de manières licites qui suffisent à alimenter le commerce et les négoces fructueux, en vue du bien commun. Que les chrétiens ne s’imaginent pas que les usures ou d’autres injustices semblables puissent faire fleurir les branches du commerce. Bien au contraire, Nous apprenons de la Parole divine elle-même que “la justice élève une nation, mais la honte des peuples, c’est le péché.” (Prov 14.34)

V. Il faut cependant considérer avec attention qu’il serait faux et téméraire de croire qu’on peut toujours trouver et disposer, d’autres titres légitimes avec le prêt, ou bien, indépendamment du prêt, d’autres contrats justes. De sorte que, moyennant ces titres et ces contrats, chaque fois qu’on prêtera à quelqu’un de l’argent, du blé ou toute autre chose de cette sorte, il serait toujours permis de recevoir un surcroît modéré en plus de la totalité du capital prêté.
Cette allégation est – sans doute aucun – contraire non seulement aux enseignements divins et au sentiment de l’Eglise catholique sur l’usure, mais encore au sens commun et à la raison naturelle. En effet, personne ne peut ignorer qu’en de nombreuses occasions l’homme est tenu de secourir son prochain par un prêt simple et nu, puisque le Christ, Notre Seigneur, l’enseigne lui-même : “A qui te demande donne, et de qui veut t’emprunter ne te détourne pas.” (Mt 5.42), et qu’en certaines circonstances il n’existe – en dehors du prêt – aucun autre contrat qui soit véritable et juste.
Par conséquent, si un homme qui désire une règle pour sa conscience, il lui faut d’abord examiner d’abord avec soin s’il existe véritablement avec le prêt un autre titre légitime, ou s’il peut passer un autre contrat juste que le contrat du prêt en vertu duquel il pourra, sans craindre d’offenser Dieu, se procurer un profit honnête.
4. C’est en ces termes que les cardinaux, théologiens et les grands canonistes, dont Nous avons demandé l’avis sur cette affaire importante, se sont résumés et ont expliqué leurs sentiments. De notre côté, Nous n’avons pas négligé d’étudier en particulier la même cause, avant, pendant et après la tenue des congrégations. Nous avons parcouru avec le plus grand soin les jugements des hommes habiles que Nous venons de rapporter. Cela étant Nous approuvons et confirmons tout ce qui est contenu dans les avis ci-dessus exposés, attendu que tous les écrivains, les professeurs en théologie et en droit canon, plusieurs passages de l’Ecriture sainte, les décrets des pontifes nos prédécesseurs, l’autorité des conciles et des Pères, semblent quasi conspirés à établir les mêmes sentiments. De plus, Nous connaissons parfaitement les auteurs à qui l’on doit rapporter les sentiments contraires, aussi bien que ceux qui les protègent et les défendent ou semblent chercher l’occasion de les répandre. Nous n’ignorons pas enfin avec quelle sagesse et quelle force les théologiens, voisins des contrées où se sont élevées des contestations ont pris la défense de la vérité.

5. C’est pourquoi Nous avons adressé cette lettre encyclique à tous les archevêques, évêques, ordinaires d’Italie. Ainsi, vous recevrez comme tous les autres, ces instructions et quand il arrivera de tenir des synodes, de parler au peuple, de lui faire des instructions sur la doctrine chrétienne on n’avancera jamais rien de contraire aux sentiments que Nous avons relatés. Nous vous exhortons encore à employer tous vos soins pour que dans vos diocèses personne n’ait la hardiesse d’enseigner le contraire de vive voix ou par écrit. Que si quelqu’un refuse d’obéir nous le déclarons sujet et soumis aux peines décrétées par les saints canons contre ceux qui méprisent et transgressent les ordres apostoliques.

6. Mais nous ne statuons rien à présent sur le contrat qui a fait naître ces nouvelles disputes. Nous n’arrêtons rien non plus à cette heure sur les autres contrats dont la légitimité partage les théologiens et les canonistes. Nous croyons néanmoins devoir animer le zèle que vous avez pour la religion et pour la piété, afin que vous exécutiez ce que Nous ajoutons ici.

7. Premièrement, faites bien voir à vos peuples, par la gravité de vos paroles, que le vice de l’usure est condamné par l’Ecriture sainte, qu’il prend même différentes formes, afin de précipiter de nouveau dans les derniers malheurs les fidèles qui ont été remis en liberté et en grâce par le sang de Jésus-Christ. C’est pourquoi, s’ils veulent placer leur argent qu’ils se gardent de se laisser emporter par l’avarice, source de tous les maux ; mais plutôt qu’ils demandent conseil aux personnes renommées pour leur érudition et pour leur mérite.

8. En second lieu, que ceux qui ont assez confiance dans leurs forces et dans leur sagesse pour répondre hardiment sur ces questions (qui demandent néanmoins une grande connaissance de la théologie et des canons) évitent avec le plus grand soin les extrêmes toujours vicieux. Quelques-uns, jugeant ces affaires avec beaucoup de sévérité blâment tout intérêt tiré de l’argent comme illicite et tenant à l’usure. D’autres, au contraire très indulgents et relâchés pensent que tout profit est exempt d’usure. Qu’ils ne s’attachent pas trop à leurs opinions particulières : mais qu’avant de répondre, ils consultent plusieurs écrivains de grand renom ; qu’ils embrassent ensuite le parti qu’ils verront clairement appuyé non seulement sur la raison mais encore sur l’autorité. S’il s’élève une dispute au sujet de quelque contrat examiné, qu’on évite soigneusement de rien dire d’injurieux et d’offensant à ceux qui suivent un sentiment contraire ; et qu’on se garde bien d’affirmer que leur opinion mérite d’être fortement censurée surtout si elle est n’est pas dénuée de raisons et d’approbations d’hommes éminents parce que les injures et les outrages rompent le lien de la charité chrétienne et sont pour le peuple des pierres d’achoppement et de scandale.

9. En troisième lieu, il faut avertir ceux qui veulent se préserver de la souillure du péché de l’usure et confier leur argent à autrui, de façon à tirer un intérêt légitime, de déclarer, avant toutes choses, le contrat qu’ils veulent passer, expliquer clairement et en détail toutes les conventions qui doivent y être insérées, et quel profit ils demandent pour la cession de ce même argent. Ces explications contribuent beaucoup, non seulement à éviter les scrupules et les anxiétés de conscience, mais encore à prouver au for extérieur le contrat qui a eu lieu. Elles ferment aussi la porte aux discussions qu’il faut quelquefois soulever pour voir clairement si un placement d’argent qui paraît avoir été fait dans les règles renferme néanmoins une usure réelle, dissimulée.

10. En quatrième lieu, Nous vous exhortons à ne point accueillir les discours déplacés de ceux qui disent sans cesse qu’aujourd’hui la controverse sur les usures n’est qu’une dispute de mots, vu que l’on retire ordinairement profit de l’argent cédé à autrui d’une manière quelconque. Il suffit pour voir clairement à quel point cela est faux et éloigné de la vérité de considérer que la nature d’un contrat est tout à fait différente et distincte de la nature d’un autre contrat et qu’il y a pareillement une grande différence entre les conséquences des contrats qui sont opposés entre eux. En effet, il y a une différence évidente entre le revenu qu’on tire de l’argent légitimement et qui, pour cette raison, peut être gardé devant tout tribunal, et entre le revenu qu’on tire de l’argent illégitimement, et dont pour cette raison, le for extérieur et le for de la conscience ordonnent la restitution. Il est donc certain qu’on a tort de dire que la question proposée, de nos jours sur les usures est une question vaine et frivole, parce que l’on tire ordinairement profit de l’argent cédé à autrui.

11. Voilà ce que Nous avons cru devoir principalement vous marquer, dans l’espoir que vous exécuterez tout ce que nous prescrivons par cette lettre. Nous avons aussi la confiance que, si par hasard il s’élève des troubles dans votre diocèse à l’occasion de cette nouvelle controverse sur les usures, ou si l’on cherche à ternir l’éclat et la pureté de la saine doctrine, vous saurez y apporter les remèdes les plus convenables. Nous vous donnons enfin à vous, et au troupeau qui vous est confié, notre bénédiction apostolique.

Donné à Rome, à St Marie Majeure.

BENOÎT XIV

Ceux qui ne la respectent pas sont excommuniés ipso facto, latae sententiae , et nombreux sont les “responsables” dans ce cas… vix = sofort, kaum, immédiatement…

http://fr.wikipedia.org/wiki/Gaspard_Mermillod

Les secrets recherchés par M. Louis Even sur l’union de Fribourg et l’autre forme d’usure vorace

http://www.aiesc.net/wp-content/uploads/2014/11/La-Pens%C3%A9e-et-lAction-sociale-des-Catholiques-1789-1944-de-ROBERT-KOTHEN.pdf

https://drive.google.com/file/d/0B-p0lmjLtiXzaWJjNURoOVBKQkU4dlpJZ3N4LTZPZU5iSi1n/view?usp=sharing

Le bien commun :
 entre passé et avenir


L’Université de Fribourg organise, du 3 au 5 septembre 2015, un colloque autour du bien commun. Cette notion occupe une place centrale dans l’enseignement social chrétien. Le bien commun apparaît à la fois comme un processus historique et une asymptote, inatteignable dans sa plénitude sur terre bien que recherché avec passion, mais dont on expérimente néanmoins des réalisations partielles.

Les premières sessions vont approfondir la notion du bien commun d’un point de vue théologique et philosophique, mais aussi à mettre en évidence l’analogie entre le climat intellectuel d’aujourd’hui et celui de la fin du XIXe siècle où des réflexions et des actions partout dans le monde (y compris l’Union de Fribourg) ont posé les jalons de la première l’encyclique sociale Rerum Novarum en 1891.

La conférence va se pencher sur les efforts multiples visant à mettre sur pied des structures et des organisations susceptibles de faire converger les actions de chacun vers le bien commun compris comme „force d’inspiration du présent“, soit au niveau global, soit au niveau des collectivités locales, des Etats, des entreprises et associations.
Dans sa dimension prospective la notion du bien commun permet de mieux répondre aux défis de demain : le défi écologique, celui de la vocation sociétale de l’activité économique et financière, le défi d’une vision politique à l’échelle mondiale, celui des nouvelles technologies (information, médecine, urbanisme, environnement, etc.), celui des Objectifs du Millénaire et de « Beyond 2015 ».

Fichier d’inscription en ligne sur les sites suivants : www.aiesc.net www.unifr.ch/tms

Renseignements: info@aiesc.net

Les sessions sont en anglais et français, voir programme annexé

Programme préliminaire | Preliminary Program – 20-05-2015

Jeudi 03.09

(S1) Session plénière | PLENARY: Inauguration (F/E)* 16h00 – 18h00 Orateurs | Speakers: Mgr Charles Morerod OP, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg Mme Astrid Epiney, rectrice de l’Université de Fribourg Plénière | Plenary: L’Union de Fribourg et le contexte de Rerum novarum | The Union de Fribourg and the Contetxt of Rerum Novarum (F/E)* Présidence: M. Spieker Orateurs | Speakers: Mgr C. Morerod OP – G. Sienkiewicz – Fr. M. Sherwin OP P. R. Goudjo – J.-B. Fellay SJ TBC Vendredi 04.09 (S2) Session plénière | PLENARY: Dimensions théologiques et philosophiques du bien commun | 9h30–11h00 Theological and Philosophical Dimensions of the Common Good (F/E)* Orateurs | Speakers: H. Torrione – M. Nebel – R. Alvira 11h30–13h00 (S3) Sessions parallèles | Parallel Sessions Atelier | Workshop S3A – Le «mal commun» Organisateur: P. Meyer-Bisch Atelier | Workshop S3B – Le développement commun Organisation: Action de Carême S3C – Regards philosophiques M. Boyancé – D. Coatanea – P. Z. Szmanda OP S3D – The Common Good in Religious Perspectives (F/E)* Chair: E. Dommen – Fr. V.S. George SJ & J.B. Lourdusamy – C.N. Tsironis – Revd M. Brown 14h15–15h45 (S4) Session plénière | PLENARY: Dimensions politiques et économiques du bien commun | Political and Economic Dimensions of the Common Good (F/E)* Orateurs | Speakers: C. Delsol – S. Zamagni 16h15–18h00 (S5) Sessions parallèles | Parallel Sessions S5A – Finance & Entreprises Présidence: J,.M. Brandt P. de Lauzun – D. Sugranyes Bickel – F.-M. Monnet – J.-N. Moreau Atelier | Workshop S5B – Exclusion et bien commun M. Andreetta – AGORA- I. Cogo – Aumôneries de prison – I. Calstas – Milieux Ouverts S5C – Les espaces du bien commun V. Gay-Crosier – A. Giecewicz – J.-Y. Naudet – N. Margot – A. Renard S5D – State and the Common Good (F/E)* A. Liedhegener – C. Koscielniak – M. Spieker – R. Lazaro Cantero – I. Baviera (TBC) 18h30 Cérémonie oeucuménique | Ecumenical Ceremony

Samedi 05.09 (S6) Session plénière | PLENARY:

La dimension dynamique du bien commun | 9h30–11h00 The Dynamic Dimension of the Common Good (F/E)* Orateurs | Speakers: J. Bichot – J.-M. Bonvin – T. Collaud – M. Kituyi TBC 11h30-13:00 (S7) Sessions parallèles | Parallel Sessions Atelier | Workshop S7A – Exigences du bien commun Organisateur : J. Michel | missio S7B – Pauvretés et bien commun Organisateur : C. Fol | ex-COTMEC Atelier | Workshop S7C – Globalisation du bien commun Présidence : J.-P. Thévenaz M. Surchat- J.-J. Friboulet – B. Margueritte Atelier | Workshop S7D – The Relational Approach (F/E)* Organisateur : M. Schluter 14h00-

15:00 Hors programme – Side Meeting :

Assemblée constitutive de la «Plateforme Dignité ;

Développement» 15h15-17h00 (S8)

Session de clôture | PLENARY :

Where do we go from here ?

(F/E)* Orateurs | Speakers: P. Dembinski – J.-C. Huot Allocution de clôture | Closing Speech – The Most Revd and Rt Hon J. Welby, Archbishop of Canterbury (F/E)

Fichier d’inscription en ligne sur les sites suivants : www.aiesc.net ou www.unifr.ch/tms

Renseignements: info@aiesc.net

http://desiebenthal.blogspot.ch/2009/05/derriere-le-da-vinci-code-et-anges-et.html

http://desiebenthal.blogspot.ch/2014/06/monnaie-pleine-vollgeld-positive-money.html

Comité Catholique des X
Journée d’information religieuse
du dimanche 30 janvier 2011
le 6 décembre 2010
« Regards chrétiens sur la crise économique ))
Sur le thème: « Regards chrétiens sur la crise économique », notre conférencier sera
Gaël GIRAUD, jésuite, économiste
Chercheur an CNRS (laboratoire de l’Ecole Polytechnique)
Co-auteur de l’ouvrage « 20 propositions pour réformer le capitalisme» Flammarion 2009
La crise économique actuelle secoue nos contemporains. Elle nous touche de façons
diverses, souvent dans des responsabilités familiales et sociales. Elle est l’objet de nombreux
commentaires, d’économistes, de décideurs, de politiques. Est il possible, dans un
enchevêtrement de facteurs, de se repérer et d’entrer en profondeur dans les raisons
fondamentales, voire spirituelles, de cette crise? L’enseignement de la récente encyclique de
Benoît XVI « Veritas in Caritate» donne des indications pour un regard chrétien, sur les
dynamismes de la vie économique: regard critique, mais regard ouvert à l’espérance active.
C’est à quoi nous invitera Gaël Giraud, avec sa compétence professionnelle et son engagement
de religieux.
GAËL GIRAUD
Ce texte est la version transcrite à partir d’un enregistrement 

Comité catholique des X
CONFERENCE DE GAËL GIRAUD SI
« LA CRISE FINANCIERE »
journée du 30 janvier 2011
Je vous remercie beaucoup de me donner la parole ici. Je propose que la première partie de
mon intervention soit plutôt consacrée aux questions d’économie proprement dite; je vais vous
proposer une lecture possible, parmi d’autres, de la crise financière et économique que nous
traversons depuis trois ans. Dans la deuxième partie, après la pause, je vous proposerai un regard
chrétien sur ce qui aura été dit précédemment; en bonne méthodologie il vaut mieux séparer les
deux. Après quoi, on pourra faire la synthèse et discuter ensemble.
Première partie: Questions économiques
Je commence donc par une lecture, une relecture possible, de la crise. Je ne vous cache pas
qu’elle est forcément engagée. je ne crois pas qu’il puisse y avoir de lecture absolument neutre … JI
ya donc forcément des options dans la lecture que je vais vous proposer et c’est ce qui fait j’intérêt
de la discussion qui suivra, car nous pourrons en débattre ensemble.
Pour cette relecture que je vous propose, je vais aborder trois points :
1. Le premier est l’aspect strictement financier. Je vais donc vous faire un petit historique
de la crise financière telle que je la comprends.
2. Deuxième point, l’aspect plus proprement économique, en insistant davantage sur le
«long terme»; je reviendrai sur les trois dernières années et j’en profiterai pour tenter
d’esquisser, à la lumière à la fois de la question financière et de la question économique, quelques
pistes sur ce qu’on pourrait mettre en oeuvre dans les années à venir pour essayer de régler les
problèmes. Celarestera tout à fait modeste car on n’a pas de solution à tous les problèmes.
3. Troisième point de mon intervention: l’avenir et en particulier les questions
énergétique et climatique.
1 La crise financière
L’état d’esprit dans le monde de lafinance
je voudrais commencer par vous raconter une petite anecdote: au printemps 2009, il se
trouve que j’ai coédité avec une religieuse assomptionniste un ouvrage qui s’appelle Vingt
propositions pour réformer le capitalisme’, paru chez Flammarion. Peu après la sortie du bouquin,
j’ai été invité par un banquier haut placé chez BNP Paribas … JI m’a invité au petit pavillon de la
rue d~ntin qui, comme le savent certains d’entre vous, est le centre historique de Paribas, donc la
« Mecque» de la finance en France, de la finance de marché. 11 m’a invité dans un restaurant
somptueux à côté. Et il a commencé le repas par me dire: «La dernière encyclique du Pape
Caritas in Veritate est décevante … La prochaine fois, vous pouvez dire tranquillement à Benoît XVI
que s’il a besoin d’aide, je suis prêt à lui écrire son encyclique … » Vous voyez le ton, le niveau où le
personnage se situait. JI faut dire qu’il est vraiment très haut placé dans la hiérarchie de BNP
Paribas. La discussion se poursuit: il prend mon livre et il éreinte l’une après l’autre toutes les
propositions de réforme que fait le livre, propositions élaborées par moi-même mais aussi par des
professionnels des marchés; on avait volontairement fait le choix dans ce livre de donner la parole
à des professionnels, chrétiens ou non, qui étaient d’accord – il y avait un minimum de consensus
entre nous – sur le fait qu’on ne peut pas continuer comme ça et qu’il faut mettre en oeuvre des
réformes. 11 prend donc chacune des propositions du livre et les démolit, patiemment, sur le
20 propositions pour réformer le capitalisme, Gaël Giraud et Cécile Renouard (dir.)
Ed. Flammarion, 2009, 384 p., 22 euros
tl:lème . « Mon ,hel; “0’15 n’a”ez rien compris Des grandes crises comme celle que nOIlS avons
traversée en 2008 sont excellentes, contrairement à ce que vous croyez, et vous avez tort de
vouloir mettre des digues pour empêcher la prochaine crise. » Je lui demande naïvement: « Mais
comment pouvez-vous dire que c’est excellent?» Et il répond avec le dernier sérieux: «Vous
voyez bien que ce genre de crise permet d’éliminer les plus faibles et rend plus forts les plus forts ;
c’est ce qui rend une société plus efficace. Il faut donc continuer. » Al’époque, au printemps 2009,
UBS, l’une des deux plus grandes banques suisses d’investissement, qui faisait partie des dix
premières banques mondiales, était à genoux avec 40 milliards de dette. Il me dit tout sourire:
« UBS est à genoux. Tant mieux. C’est excellent pour nous. » A la fin du repas, au moment du
dessert, il me demande: « Quelle est la procédure pour devenir jésuite? » Comme il avait soixante
ans passés, je me suis bien dit qu’il ne devait pas être candidat mais je lui ai quand même un peu
expliqué; il éclate de rire et me dit: « Mais enfin, par rapport aux 17 entretiens qu’il faut passer
pour obtenir un poste chez Goldman Sachs, la plus grande banque du monde, à New York, c’est
dérisoire! » Voyez… Il faisait donc une espèce de confusion, ce n’était même pas de l’humour:
entrer chez les jésuites, pour lui, était du même ordre que postuler pour un poste chez Goldman
Sachs. Or, chez Goldman Sachs, la sélection est beaucoup plus dure, pensait-iL donc c’était
nettement mieux. Cela vous donne l’état d’esprit. Notez que je ne suis pas du tout en train de dire
que tous les banquiers pensent ainsi. J’espère qu’il y a des banquiers dans la salle qui pourront
témoigner que tous les banquiers, même chez Paribas, ne pensent pas de cette manière-là. Mais
c’est une bonne entrée en matière car c’est néanmoins symptomatique d’un état d’esprit d’un
certain nombre de personnes – je ne dis pas de tous – qui sont aujourd’hui en responsabilité dans
les grandes banques d’investissement internationales, BNP Paribas ou ailleurs. Je pourrais vous
raconter d’autres anecdotes tout à l’heure, si vous voulez, qui se sont passées à Londres ou à New
York.
Voilà pour l’état d’esprit. Je reviens maintenant un petit peu en arrière pour faire
rapidement la chronobgie de la crise financière.
Première étape: la crise du prêt immobilier américain
Vous le savez: l’origine, au moins superficielle, de la crise financière qui éclate en 2007
aux Etats-Unis se trouve dans le marché hypothécaire américain – le marché immobilier
américain – essentiellement destiné à des ménages « pauvres », typiquement des ménages Noirs
américains « pauvres ».
Que s’esl’-il passé? En fait, le marché immobilier augmentait régulièrement chaque année
de 15% depuis environ 2001 et, après l’éclatement de la bulle internet, en 2000-2001, les autorités
monétaires américaines, à savoir la Federal reserve, la Banque Centrale Américaine, ont
énormément poussé au dévebppement du crédit hypothécaire (le crédit immobilier) de manière
massive. Le président de la Federal Reserve, Alan Greenspan s’est engagé en disant: «Aux Etats-
Unis tout le monde doit devenir propriétaire de sa maison, il faut donc que le système bancaire se
mobilise pour faire des prêts immobiliers ». De 200012001 à 2007 s’est abrs formée une énorme
bulle du marché immobilier américain pauvre, qui a gonflé. Que s’est-il passé? On a accordé des
prêts de plus en plus nombreux, à un nombre croissant de ménages, sans véritablement vérifier
leur solvabilité. Pourquoi? Parce que les crédits qui étaient accordés étaient gagés sur les maisons
que possédaient ou qu’achetaient les ménages. Typiquement, on allait voir un ménage en lui
disant: « Pour l’instant, vous n’êtes pas propriétaire mais vous pouvez acheter votre maison, on
vous prête le capital – quasiment la totalité du capital Dans trois ans, il faudra que vous
commenciez à rembourser votre prêt, mais ce ne sera pas grave: votre maison vaudra beaucoup
plus, on vous fera un deuxième prêt pour vous permettre de rembourser votre premier prêt, gagé
sur votre maison, qui entre-temps aura pris de la valeur. On vous fera donc un prêt plus important.
Et vous allez pouvoir grâce à tout cela payer continuellement vos dettes, grâce à l’augmentation
indéfinie de la valeur de votre maison. » Pour ceux qui connaissent, on a construit ce qu’on appelle
une énorme pyramide de Ponzi, ce qu’avait fait Bernard Madoff: on a empilé des dettes les unes
sur les autres, en promettant aux ménages qu’ils n’auraient jamais de souci pour payer leurs dettes
puisque mécaniquement, chaque année leur maison prendrait de la valeur et qu’on pourrait leur
accorder de nouveaux prêts leur permettant de rembourser les précédents … De plus, on a imposé
2 2
des taux d’intérêt exorbitants; 15%,20%, 30% ! C’est énorme pour un prêt immobilier. Et cela a
été fait aHflrès GeméRagBs flarfgis illettrés, “,aHvres, “,ris à la ggrge, flarfgis Qéjà sHreRGettés.
Arrive 2005/2006: la Banque Centrale américaine commence à repérer qu’il y a une
petite poussée inflationniste aux Etats-Unis et elle se met à « resserrer les boulons », c’est-à-dire à
augmenter le taux d’intérêt court du crédit: le crédit coûte plus cher. A ce moment-là, le marché
immobilier américain se retourne, c’est-à-dire que le prix des maisons, au lieu de continuer à
gagner 15% tous les ans mécaniquement, commence à baisser. Et voilà tout d’un coup, en 2007,
trois millions de ménages américains pauvres, surendettés, qui se retrouvent à devoir payer des
dettes colossales; à l’époque le montant total de la dette accumulée est de 2500 milliards de dollars
– ce qui est à peu près le PIBfrançais. Les ménages se retournent évidemment vers les institutions
de crédit qui leur avaient promis que « l’on pourrait toujours leur accorder de nouveaux prêts
pour rembourser leurs dettes, sans problème)}, lesquelles institutions de crédit leur disent
maintenant: « Eh bien non, maintenant la valeur de votre maison diminue, on ne peut donc plus
vous accorder de prêts: ce n’est plus possible. )}Et les premiers ménages font faillite, c’est-à-dire
se retrouvent dans l’incapacité de rembourser leurs dettes. Mais ils sont tellement nombreux à
faire faillite que les institutions de crédits font faillite à leur tour.
Dans cette première étape, le problème est encore local lié au marché immobilier pauvre
américain. Et d’une certaine manière, tout le monde est responsable: les ménages pauvres
américains se sont laissés entraîner dans une spirale de surendettement à laquelle ils n’auraient
jamais dû céder. La question à poser est: avaient-ils vraiment les moyens intellectuels, sociaux,
culturels, de résister? Vous savez qu’aux Etats-Unis, vous pouvez même recevoir une carte de
crédit dans votre boîte aux lettres; ce sont de vraies cartes de crédit -vous pouvez retirer plus de
10.000$ sans rien payer. Vous devrez les rembourser trois ans après, avec des taux d’intérêt
exorbitants. Mais vous ne le savez pas! (C’est écrit en note de bas de page, en petits caractères,
dans le contrat qui accompagne la carte de crédit …) Et quand vous êtes un ménage pauvre et que
vous avez du mal à terminer vos mois, que vous recevez de telles cartes dans votre boîte aux
lettres, c’est vraiment très difficile de résister, étant donnée la pression à la consommation existant
aux Etats-Unis. Si vous n’avez pas deux 4×4, une télé dans chaque pièce, un ordinateur dans
chaque chambre, vous êtes vraiment un « plouc)}! JI est donc très difficile de résister. Alors,
beaucoup ont cédé. JI y a une responsabilité très forte également de la part des institutions de
crédit qui ont accordé des prêts sans du tout s’inquiéter de la solvabilité des ménages. Certaines
d’entre elles ont même surévalué volontairement les maisons – les maisons étaient évaluées à
110% de leurs valeurs réelles – de manière à pouvoir accorder des crédits encore plus importants.
Du coup, la montagne de dette accumulée était énorme: $2.500 milliards. Et le retournement a été
d’autant plus rapide qu’on avait fait cela sans aucun discernement sur la qualité des crédits qui
étaient accordés.
L’extension de la crise, titrisation, et millefeuilles …
Posons-nous la question: pourquoi ces institutions de crédit onl’elles été aussi « pousse
au crime)} ? Et, deuxième question: pourquoi cette crise locale, qui aurait pu rester circonscrite
aux Etats-Unis, s’est-elle répandue sur la totalité de la planète? La réponse se trouve dans un
phénomène qui s’appelle la titrisation.
En quoi consiste la titrisation? Il s’agit d’une opération grâce à laquelle vous transformez
une créance que vous détenez en un actif financier que vous pouvez échanger sur un marché.
Supposez par exemple que j’ai fait un prêt à Olivier – pour les bienfaits de l’histoire, je suppose
qu’Olivier n’est pas du tout solvable (ce qui n’est pas le cas). Je ne me soucie pas de savoir s’il est
solvable. Je lui fais un prêt colossal Et le lendemain même, je transforme la créance que j’ai sur
Olivier en des actifs financiers que je vais vendre au monsieur qui se trouve assis au premier rang
là-bas. Je vais dire à ce dernier: « Ecoutez, vraiment c’est une affaire en or, cela vous rapportera
30% en taux d’intérêt. )}Evidemment, j’omets de lui dire qu’Olivier n’est pas solvable. Je me garde
bien de le lui dire. Peut-être qu’il me le demande, mais je lui réponds: « Ecoutez, ne me cassez pas
les pieds, cette affaire vous rapportera 30% par an.)} Au besoin, je vais voir une agence de
3 3
notation. et je demande à l’agence de notation de mettre une bonne note sur cet actif. I:agence de
notation qui est payée par les banques sait ce qu’il en est. Mais elle ne va pas du tout vérifier la
solvabilité d’Olivier, elle va dire que cela vaut triple A, que c’est du sûr, aussi sûr que le lever du
soleil au matin, et… le monsieur qui est là-bas achète. Et lui-même va le vendre au monsieur qui
est au second rang. Lui sait encore moins qu’Olivier n’est pas solvable: l’information se perd et se
dilue complètement dans la chaîne de transmission des titres financiers. C’est un peu le jeu de la
patate chaude: j’ai une énorme patate chaude qui me brûle les doigts – parce que j’ai une énorme
créance sur quelqu’un d’insolvable -, je la transmets immédiatement à quelqu’un, qui la transmet à
un autre; à chaque fois on gagne une petite commission bien sûr, tout cela n’est pas du tout
gratuit, et finalement ça finit par atterrir dans le bilan des grandes banques européennes, en
Angleterre, en France, en Allemagne, en Suisse, en Espagne, et même en Chine, au Japon … Alors,
au moment où le ménage pauvre américain fait faillite, moi qui lui ai prêté beaucoup trop, je fais
faillite à mon tour et la chaîne de domino des faillites se transmet sur toute la chaîne de
transmission de l’actif titrisé. Petit à petit, on se rend compte en quelques semaines que cette
créance qui a été transmise au monde entier ne vaut plus rien parce qu’elle ne sera jamais
remboursée.
Evidemment, la chose est un peu plus complexe – car vous me diriez que, là, c’est encore
très simple: il suffit de remonter la chaîne pour comprendre l’origine de la chaîne et de tester la
solvabilité du ménage initiaL Mais les choses ont été rendues extrêmement compliquées car, en
plus du premier procédé, la titrisation (qui rend un peu opaque l’information), il y a un deuxième
procédé qu’on pourrait qualifier de «millefeuille ». En quoi consiste-t-il? Je prends la créance que
je détiens sur Olivier et je la mets dans un millefeuille avec plein d’autres créances. Alors comme
dans les millefeuilles, vous avez la surface avec de la crème, avec tout ce qui est bon … et au fond je
mets la créance douteuse que j’ai sur le ménage pauvre américain, je la mets tout au fond du
millefeuille. Puis je vais voir mon acheteur préféré à qui je vais dire: « Regarde ce millefeuille,
regarde sa surface, c’est crémeux, c’est très bon, très sucré … Ça rapporte beaucoup et c’est noté
triple A par les agences de notation. Ce qui est au fond du millefeuille, parfois c’est vrai, c’est un
peu dangereux mais ça rapporte tellement et puis il n’y a aucun risque que la totalité du
millefeuille fasse faillite en même temps. Ça n’arrive jamais, tu le sais bien.» Et donc, il achète.
Vous voyez qu’en ayant inséré cette créance douteuse dans un gros millefeuille, je rends encore
plus compliquée l’évaluation de la dangerosité du millefeuille. Puisque, là, le problème posé n’est
plus seulement la faillite éventuelle d’Olivier, donc du fond du millefeuille, mais la question de l’effet
domino sur la totalité du millefeuille.
Avant de devenir jésuite, j’ai été moi-même consultant pour des banques: je faisais des
calculs pour les traders qui échangeaient ce type de produits, ce type de millefeuilles. Et je me
souviens bien avoir dit au début des années 2000, je le disais en tant que « matheux >>: « Ecoutez,
vous voyez bien qu’en réalité on est incapable d’évaluer la dangerosité de l’ensemble du
millefeuille ». Pourquoi? Parce qu’on est incapable d’évaluer la corrélation entre le risque de
faillite du bas du millefeuille et du haut du millefeuille. Supposez que vous ayez deux créances: une
sur Monsieur A et une autre sur Monsieur B. Vous avez peut-être un moyen d’évaluer la
probabilité que A puisse faire faillite et peut-être un moyen d’évaluer la probabilité que B fasse
faillite. Mais pour les matheux qui sont dans la salle, la probabilité conditionnelle que B fasse
faillite dans le cas où A fait faillite, est impossible à calculer. Pourquoi? Parce que vous n’avez pas
un historique où Monsieur A aurait fait 50 fois faillite et Monsieur B 15 fois faillite, pour que vous
puissiez calculer la fréquence conditionnelle avec laquelle l’un et l’autre font faillite. C’est
évidemment impossible. Donc ce qu’on appelle en mathématiques la corrélation de la faillite entre
les différents émetteurs cEcréances est impossible à calculer, encore aujourd’hui. Mais à l’époque,
au début des années 2000, mes employeurs, dans des banques françaises dont je ne dirai pas le
nom, m’ont répondu: « Ecoute, mon garçon, tu nous casses les pieds. Tu vois bien qu’on gagne
tellement d’argent… pourquoi veux-tu nous empêcher de faire la fête?» Certes, je n’avais pas du
tout anticipé la crise qui est advenue, mais nous étions plusieurs à dire qu’en réalité, toutes les
banques cak:ulaient la corrélation avec l’âge du capitaine, de sorte qu’on était incapable d’évaluer la
4 4
dangerosité de ces actifs structurés – pour ceux qui connaissent: les CDO,lesCDOau carré’- et en
pal ticulier l’effet OOm!8e. Et veilà ee Ej”! a été teFFilllE ER :l007j2008 . à partir du moment nÙ Je
bas du millefeuille s’est effondré, la panique s’est étendue à la totalité du mil:’!feuilleavec une
vitesse fulgurante. Pourquoi? Parce que toutes les banques se sont rendu compte qu’elles avaient
des créances douteuses, un vent de panique a soufflé, elles se sont dit: « Finalement, la plupart de
nos actifs structurés ne valent plus rien». j’exagère un peu, je simplifie beaucoup, mais c’est pour
que vous voyiez le phénomène.
Résumons: il y a eu un manque de discernement manifeste, pour ne pas dire davantage,
de la part des institutions de crédits qui ont prêté à des ménages pauvres américains. Ce manque
de discernement a été rendu possible, voire favorisé, par un phénomène qui s’est dévebppé
énormément, qui s’appel:’! la « titrisation »- :’!fait de transformer ces créances en actifs financiers
– : je suis poussé à prêter à Olivier puisqu’en fait je ne porte pas :’!risque d’insolvabilité d’Olivier,
le lendemain même je vais vendre cette créance à quelqu’un d’autre. Je gagne la commission puis
je peux oublier complètement ce qui s’est passé; du moins c’est ce que pensaient les gens … Et
puis, troisième phénomène: on a empilé ces dettes en des produits structurés très compliqués –
les millefeuilles- de manière à rendre encore plus difficile à observer, à voir et à juger la qualité
réelle des actifs financiers qu’on a échangés. Voilà la première partie de la crise, disons jusqu’au
printemps 2008.
Lafaillite de Lehman Brothers et la pratique des CDS
Cette crise aurait pu rester moins grave que celle que nous avons connue. La deuxième
étape a été la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008. Lehman Brothers, comme vous le
savez, était l’une des cinq plus grandes banques du monde. C’était la banque américaine qui avait
survécu à la crise de 1929. Pour le monde entier, au moins le monde financier, Lehman Brothers
était donc vraiment l’institution éternelle. Elle avait survécu à 29, comment pouvait-elle
s’effondrer? C’était inimaginable. 11 n’empêche que le 15 septembre 2008, Lehman fait faillite. On
peut l’expliquer de multiples manières, j’y reviendrai tout à l’heure. Toujours est-il qu’on se rend
alors compte que les autorités américaines ne sont pas prêtes à sauver toutes les banques. Un
deuxième vent de panique terrible souffle dans les grandes salles de marché des banques car elles
se disent toutes: « Si Lehman n’est pas à l’abri, nous ne le sommes pas non plus.» On a alors
assisté à un assèchement très, très brutaL du marché financier. Les banques cessent de se prêter
les unes aux autres; les banques centrales aux Etats-Unis, en Europe, en Angleterre, en Suisse, au
japon doivent intervenir de manière massive et injectent une quantité énorme de liquidités pour
permettre au marché de continuer à fonctionner, parce que les banques elles-mêmes ne prêtent
plus, ni entre elles ni aux autres, tellement elles sont tétanisées par la crise.
Pourquoi la faillite de Lehman Brothers a-t-elle eu l’effet cataclysmique que nous avons
connu? Pour répondre, il faut comprendre un petit peu un quatrième phénomène: ce qu’on
appelle les CDS- dont on a beaucoup parlé à cause de la crise – et que je vais essayer d’expliquer
très simplement. Les CDS(Credit Default Swap3) sont des actifs financiers qui servent de contrats
d’assurance sur des institutions ou des personnes. On peut les échanger sur des marchés appelés
de gré à gré, c’est-à-dire des marchés assez opaques sur lesquels aucune autorité, ou presque, n’a
la moindre visibilité. Concrètement, imaginons que vous faites partie de l’élite des traders. Vous
prenez un avion en business class et vous descendez au meilleur hôtel de Zürich, le Baur au Lac, qui
a vue sur le lac de Zurich, une vue magnifique … Là, vous recevez un autre banquier – du Crédit
Suisse par exemple – et vous lui vendez des CDS.Par exemple: vous pensez que Lehman Brothers
va faire faillite. Vous dites donc à votre collègue du Crédit Suisse: « Moi, je vous achèterais bien
CDO: Col/ateralized Debt Obligation,. un CDOau carré est un millefeuille de mil:’!feuilles.
Au début de l’année 2007, certains financiers envisageaient de créer des CDO au cube …
Heureusement, la crise les en a dissuadés.
3 En français: couverture de défaillance.
5 5
des contrats d’assurance sur Lehman Brothers.» Lui gui ne pense pas du tout gue Lehman va
faire faillite vous les vend Et si jamais Lehman fait faillite, vous activez l’assurance et vous gagnez
beaucoup d’argent. Lehman, l’institution sur laquelle vous avez parié, n’en sait évidemment rien.
Lehman n’a aucun moyen de contrôler que vous avez pris l’avion, que vous êtes descendu au
« Baur au Lac » et que vous avez fait un échange sur la terrasse du Baur au Lac. Cette opération
n’est pas centralisée par une administration, par une organisation centrale, qu’on appelle une
chambre de compensation, qui centralise les offres et les demandes et qui vérifie que tout se passe
honnêtement. Non, il n’y a aucune visibilité sur le marché de gré à gré.
Prenons un premier exemple: celui de la banque CIT- qui était une grande banque
américaine de prêt auprès des PME. Pour la vie du tissu économique américain, c’est donc une
banque cruciale. CIT s’est retrouvée prise dans la tourmente des subprimes en 2008. Elle a été
obligée d’emprunter beaucoup. Pour emprunter, CIT s’est retournée vers la banque Goldman
Sachs, alors la plus prospère – qui est devenue la plus grosse banque du monde, à New York. Donc,
ClT emprunte beaucoup d’argent à Goldman Sachs. A tel point qu’à l’été 2009, ClT se retrouve à
devoir un milliard de dollars à Goldman Sachs, ce qui est évidemment une somme colossale, même
pour une banque comme CIT.Or CIT ne les a pas. ClT envoie finalement ses meilleurs avocats
pour négocier avec les juristes de Goldman Sachs, en se disant: « Ce n’est certainement pas dans
l’intérêt de Goldman que nous fassions faillite, ils feraient une perte sèche d’un milliard » Mais – ô
surprise !- les juristes de Goldman Sachs sont intraitables et CITfait faillite. Alors, les limiers de CIT
essayent de comprendre: pourquoi Goldman a-t-elle été si dure à la négociation? Ils se rendent
compte à ce momenl’-Ià qu’une année plutôt, en 2008, au moment où GoIdman avait prêté de
l’argent à ClT,Goldman avait parié contre CIT en achetant ces fameux contrats CDS,sur le marché
de gré à gré. Conclusion: Goldman gagnait plus d’argent si CIT faisait faillite que si ClT
remboursait sa dette. En effet, vous pouvez acheter de ces contrats d’assurance autant que vous
voulez. Vous pouvez vous sur-assurer, vous pouvez par exemple vous assurer quinze fois sur la
même institution de sorte que si elle fait faillite, vous touchez quinze fois la prime d’assurance.
Mutatis mutandis, imaginons que j’aille voir un chirurgien pour me faire opérer, d’une opération
chirurgicale délicate, avec une chance sur deux de ne pas me réveiller. C’est comme si le chirurgien
avait la possibilité, à mon insu, de devenir le récipiendaire de mon assurance-vie. De sorte que si
l’opération réussit, je dois le payer, et si l’opération échoue, je ne peux plus le payer mais il touche
mon assurance-vie. Vous voyez, c’est exactement la même chose. C’est « pile » je gagne, « face » tu
perds. CIT a donc fait faillite, Goldman Sachs a activé ses contrats CDSet Goldman Sachs a gagné
plus d’un milliard grâce à la faillite de CIT.Vous allez certes me dire: c’est un cas, un cas rarissime,
qui heureusement n’arrive presque jamais… Détrompez-vous! C’est monnaie courante
aujourd’hui. Lorsque Lehman Brothers, cette fameuse banque, a fait faillite en septembre 2008,
on s’est rendu compte avec grand étonnement que la dette de Lehman avait été assurée par ces
produits-là cinquante fois. C’est la raison pour laquelle la faillite de Lehman a eu des effets
cataclysmiques. En effet, c’était comme s’il y avait eu cinquante Lehman à faire faillite! La planète
a dû rembourser cinquante fois ceux qui avaient souscrit des assurances sur Lehman.
Disons aussi qu’il y a un petit débat sur cette affaire: on se demande si les personnes qui
étaient à ce moment-là au gouvernement de Bush, et qui étaient des anciens de Goldman Sachs,
n’avaient pas intérêt à ce que Lehman fasse faillite parce que Goldman avait acheté des CDSsur
Lehman. C’est une hypothèse, je ne rentre pas dans ce débat parce que je n’ai pas l’information et
qu’à la limite, c’est anecdotique. Le problème est plus global: c’est celui de l’utilisation des CDSà
l’insu des institutions sur lesquelles ils portent. Les CDS permettent de prendre n’importe quel
risque, vous êtes toujours couvert, et en un certain sens, vous gagnez à tous les coups. Vous voyez
bien que la conséquence est extrêmement pernicieuse: cela détruit la relation de confiance. Si je
suis une entreprise, que je vais voir une banque pour lui demander de me prêter de l’argent, j’ai
quelque raison de me dire: « Elle me prête de l’argent et au même moment, elle est en train de
parier contre moi. je ferais donc peut-être mieux de ne pas accepter l’argent qu’elle veut me
prêter.» Précisons immédiatement que tout cela est absolument légal: il n’y a rien d’illégal làdedans.
Lorsque j’en parle avec des banquiers – il y en a peut-être ici dans la salJe- ils me répondent
6 6
immanquablement que c’est tout à fait légitime. Vous voyez bien que prêter de l’argent revient à
eotlIil tU. lis(jtle, et e’est RSFmal EtH’SR se !3Fstège. OR se ESlI’Ir8 ooR’ 8R a,hebnt de l’assurance
sur ce risque. Il n’empêche que cela produit le résultat que je viens de décrire.
Autre exemple d’utilisation assez pernicieuse des CDS: la Grèce. La Grèce est entrée dans la
zone euro en 2001 et vous savez qu’elle devait satisfaire à un certain nombre de critères, les
critères de Maastricht. En réalité elle n’y satisfaisait pas en 2001. Simplement, la Grèce a maquillé
ses comptes publics pour donner le change à Bruxelles. Certes, le fonctionnaire de Bruxelles a très
certainement pigé en 2001 que les comptes n’étaient pas tout à fait exacts, mais il a fermé les
yeux, en se disant que l’essentiel était que la Grèce entre dans la zone Euro. Elle allait entrer dans
un cercle vertueux, s’est-on dit à Bruxelles, elle allait bénéficier d’un plan européen, qui allait lui
permettre d’avoir une croissance forte, un peu sur le modèle espagnol ou irlandais … Et très vite on
oublierait le ‘péché originel’ de 2001, à savoir qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de Maastricht.
Grâce à qui la Grèce a-t-elle maquillé ses comptes? Grâce à des experts financiers de Goldman
Sachs. Ils sont venus de New York et ont aidé à maquiller les comptes. On découvre maintenant
qu’un grand nombre d’institutions financières ont acheté des CDSsur la Grèce. Conséquence? A
chaque fois qu’une mauvaise nouvelle sur la Grèce tombe, vous avez maintenant des gens qui
gagnent de l’argent. Je ne peux certes pas vous assurer que Goldman Sachs en gagne beaucoup. Je
n’en sais rien et personne n’en sait grand-chose en réalité car ces marchés sont toujours aussi
opaques. La certitude est que beaucoup de CDSsont activés sur la Grèce aujourd’hui, et il y a des
gens qui gagnent de l’argent au fur et à mesure que la Grèce s’effondre.
Je vais vous dire un autre détail étrange dont des traders m’ont informé. J’ai en effet gardé
contact avec d’anciens collègues, que j’avais dans mon autre vie avant de devenir jésuite. Vous
avez vu les séries d’ordinateurs des traders en salle de marché. Une salle de marché est une sorte
de vaste plateau à l’américaine, avec une grande rangée d’ordinateurs, 200 à 300 téléphones … Et
devant un ordinateur sur quatre, il y a un trader avec son téléphone, qui vend et achète. Il y a en
permanence activé un service (fourni par la société Bloomberg) qui, sur la partie supérieure de
l’écran d’ordinateur, lui transmet des informations en continu sur ce qui se passe dans le monde.
Par exemple, ceux qui étaient au travail hier ont appris immédiatement que Moubarak était parti,
que Souleiman avait pris le pouvoir en Egypte4. Mais depuis un an maintenant, les informations
qui concernent la Grèce sont transmises sur un bandeau rouge clignotant – et uniquement pour la
Grèce. Vous imaginez combien c’est anxiogène. Vous voyez ce bandeau rouge clignoter de temps
en temps, chaque fois qu’il y a du nouveau sur la Grèce. C’est comme lorsque vous prenez le métro
dans Paris, vous entendez sans arrêt «Attention aux pickpockets! Conservez bien vos affaires
près de vous, ne les laissez pas traîner … etc. » Vous entendez ce type de message à longueur de
journée. Quand vous rentrez chez vous en fin de journée, vous êtes convaincus qu’il y a un
nombre incroyable de pickpockets dans le métro. Pourtant, vous n’en avez jamais vu un seul C’est
un message subliminal: vous êtes intimement convaincu qu’il y a des pickpockets partout parce
qu’on vous le répète en permanence. Mutatis mutandis, vous avez en salle de marché un
phénomène analogue: ce bandeau rouge clignotant très anxiogène délivre le message « Attention,
attention, la Grèce va mal ». Le trader avec qui j’ai parlé me disait: évidemment, au bout de six
mois de ce traitement, on se demande vraiment ce qui se passe sur la Grèce. Ça ne doit pas aller du
tout. Certes, si on fait une analyse fondamentale sur l’économie grecque, c’est sûr que la Grèce va
très maL Mais bien d’autres pays vont beaucoup plus mal que la Grèce, et pèsent beaucoup plus
lourd qu’elle. La Grèce vaut moins de 3% du PlB européen, ce n’est pas vraiment le sujet
primordial aujourd’hui dans le monde. La Californie va au moins aussi mal que la Grèce et pèse dix
fois la Grèce. On devrait peut-être s’intéresser à la Californie, par exemple …
Notez bien que je ne cherche pas du tout à étayer la thèse d’un grand complot organisé
par des gens qui auraient eu intérêt à faire couler la Grèce ou à faire couler Lehman Brothers. Il y
a simplement un concours de conditions très favorable à ce que les phénomènes qu’on observe
4 C’était, finalement, une fausse rumeur: Moubarak n’a quitté le pouvoir que quelques jours plus
tard.
7 7
aujourd’hui aient lieu. Toute une série de jeux institutionnels interviennent pour provoquer de
gros problèmes, je les reprends :
-Il y a la titrisation qui déresponsabilise les gens qui accordent des prêts; à partir du
moment où vous pouvez accorder un prêt sans porter le risque du prêt, vous êtes encouragé à
accorder des prêts sur tout et n’importe quoi, à tous et n’importe qui.
-Vous avez ensuite la technique du millefeuille, qui permet de maquiller ces créances
douteuses en rendant très, très difficile d’en discuter.
-Vous avez le conflit d’intérêt des agences de notation, chargées d’évaluer la qualité de ces
produits. En réalité les agences de notation sont payées par les banques. ln fine, elles finissent
quand même toujours par déclarer à peu près ce que veulent les banques … Je caricature mais c’est
quand même vrai globalement.
-Puis, vous avez cette pratique des CDStrès, très répandue aujourd’hui qui permet à une
institution financière de prendre des positions extrêmement risquées, sans courir en réalité aucun
risque. Alors vous allez me dire: oui mais au moment, par exemple, où Goldman Sachs prête de
l’argent à ClT et achète des CDSpour se prémunir contre CIT, elle paye de l’argent quand elle
achète les CDS.Donc, ça lui coûte de l’argent, ce n’est pas une opération neutre. Réponse: à ce
moment-là, en 2008, Goldman Sachs est la seule à savoir que CITva très mal puisque c’est la seule
à lui prêter de j’argent. Quand Goldman achète ces CDSsur le marché, elle se garde bien de dire à la
personne à qui elle achète: «Vous savez, je viens de faire un prêt d’un milliard à CIT; CIT va
mal ». Elle dit au contraire: «Vous connaissez ClT,cette solide grosse banque américaine, vous
pouvez me vendre des CDS sur elle pour pas grand chose ». Goldrnan Sachs achète donc ces
protections bon marché, et gagne beaucoup d’argent au moment où CIT fait faillite. Même chose
dans le cas de la Grèce: en 2001, quand Goldman Sachs vient aider le gouvernement grec à
maquiller les comptes, Goldman est la seule à savoir que les comptes sont maquillés, à se douter
qu’un jour ou l’autre, le pot aux roses sera découvert et que cela ira très mal pour la Grèce. Que fait
donc Goldman ? Sur le marché de gré à gré, elle achète ces contrats d’assurance sur la Grèce. Acette
époque-là, les interlocuteurs qui les lui vendent ne se doutent pas une seconde de la réalité de la
situation de la Grèce, ils n’envisagent pas du tout que moins de dix ans plus tard, la Grèce puisse
faire faillite. C’est inimaginable! Donc ces contrats ne coûtent pas cher à Goldman.
Le phénomène des taches solaires
Maintenant une question: pourquoi n’est-il absolument pas nécessaire qu’il y ait eu
complot? Je ne crois personnellement pas du tout à la thèse du complot pour la raison suivante: il
y a un phénomène à la fois plus simple et plus subtil qu’on appelle les taches solaires, que je vais
essayer de vous résumer en une minute. Supposez qu’un soir, un animateur de journal télévisé de
20 heures, disons Pujadas, dise avec un très grand sérieux: « Mesdames et messieurs, l’heure est
grave. Demain matin, l’euro va s’effondrer car des physiciens de Saclay ont vu des taches à la
surface du soleil cet après-midi.» Il y a effectivement des taches – des mers noires – sur la
surface du soleil qui sont liées à la différence de température de la lave en fusion. Vude la Terre cela
ressemble à de grands océans noirs qui bougent, qui apparaissent et disparaissent de la surface.
Mais vous savez aussi que ces phénomènes-là n’ont aucune relation de causalité avec le cours de
l’Euro. Vous allez vous coucher en vous disant: « Ce brave Pujadas a encore raté l’occasion de se
taire. Vraiment, une fois de plus il dit n’importe quoi. Si on ne peut plus se fier au journal télévisé
en France … » Mais ce journal de 20 heures est regardé par des millions de gens, y compris un
grand nombre de traders, qui ont des euros dans leur portefeuille et qui vont être assez stupides
pour croire Pujadas. Dès le lendemain matin, ils vont être très nombreux à vendre de l’euro parce
qu’ils croient ce qu’a dit Pujadas. Et même si je suis un trader qui sait que c’est complètement
stupide, que vais-je faire dès le matin? Je vais vendre les euros de mon portefeuille en me disant
que les gens seront assez idiots pour croire ce que dit Pujadas. Mon intérêt est de toute façon de
vendre. Je vends donc l’euro et je contribue moi-même à la panique sur l’euro. Du coup, tout le
monde se met à vendre l’euro et le cours de l’euro s’effondre. Et le lendemain soir, au journal de 20
heures, Pujadas, tout sourire, annoncera: « Mesdames et messieurs, je vous l’avais bien dit: on a
vu hier les taches sur la surface du soleil et ce matin le cours de l’euro s’est effondré. »
Ce phénomène-là est bien connu et bien compris par les théoriciens depuis les années 80.
8 8
Vous avez, si cela vous intéresse, de très belles démonstrations mathématiques du fait qu’aucun
1i131(hé fin8fieieF A:’est immHRisé E8Rtr€ les ((ta€hes 8Qlain~s» Plus précisément, ‘es marchés
financiers sont toujours ballotés entre une tache solaire et la suivante. Le marché financier que
l’on imagine stable, tranquille, appuyé sur des valeurs fondamentales, des analyses réelles de
l’économie, n’existe pas. En réalité, les marchés financiers sont constamment traversés par des
phénomènes de taches solaires.
Les plus sceptiques d’entre vous vont se dire: « Heureusement que Pujadas ne parle pas
des taches solaires pour le cours de l’euro au journal de 20 heures! C’est une fable racontée par les
théoriciens, cela ne se passe pas ainsi dans la vraie vie ». je leur réponds: dans la vraie vie, nous ne
cessons pas en réalité de créer des taches solaires, tous les jours. Une grande tache solaire que le
monde entier a construite pendant plus de vingt ans, par exemple, s’appelle Alan Greenspan, le
patron de la Banque centrale américaine. S’il y en a qui ont travaillé sur le marché financier parmi
vous dans les dix dernières années ils pourront confirmer: du temps où Alan Greenspan était le
patron de la Banque Centrale Américaine, dès qu’i] donnait une conférence, dans toutes les salles
de marché du monde entier, on allumait la télévision et on écoutait Greenspan. Tout le monde
s’arrêtait et regardait. Dès que Greenspan souriait, on se disait: «Les gens qui regardent
Greenspan sourire vont croire que les cours vont monter, donc j’achète ». Et les cours montaient.
Et dès que Alan Greenspan, en raison peut-être de brûlures d’estomac ou d’un mal de dents, faisait
une grimace, on se disait: « Greenspan fait une grimace, les gens vont croire que les cours vont
baisser, donc je vends ». Et cela faisait baisser les cours. Alors on se disait: « Ce Greenspan est un
magicien! Il anticipe le marché à trois minutes près. C’est extraordinaire! » En réalité, notre brave
Greenspan était un bonhomme comme vous et moi, pas beaucoup plus compétent que vous et
moi. .. simplement il a été pris dans le rôle de tache solaire …
Autre exemple très connu: vous savez que la déflation de l’économie japonaise est terrible ;
le japon est en situation de déflation depuis les années 90. Le japon a en effet connu à petite
échelle ce que nous connaissons depuis 2008, c’est-à-dire une grosse bulle immobilière qui a
éclaté au début des années 90. A l’époque, cela ne s’est pas étendu à la totalité de la planète car les
japonais n’avaient pas titrisé, et c’est donc resté circonscrit au japon. Et cela fait vingt ans que le
japon se débat avec la déflation; et à mon avis c’est ce vers quoi court l’Europe. Toujours est-il
qu’en 2002, Bush rendant une visite protocolaire au japon, il donne une conférence de press~ et
fait un lapsus entre déflation et dévaluation. Il dit au monde entier: « le japon va connaître une
dévaluation ». Sur les marchés financiers, tout le monde se met à vendre du yen avant que ça ne
baisse … et cela fait baisser le yen. En quelques heures, il perd 2 à 3% par rapport au dollar. Il a
fallu que le Premier Ministre japonais fasse immédiatement une « contre conférence» de presse
pour dire: le Président des Etats-Unis s’est trompé, il voulait parler de déflation et non pas de
dévaluation. Les marchés financiers sont soulagés et le yen remonte. Bush a donc joué exactement
le rôle de Pujadas, pendant quelques heures. C’était un simple lapsus mais l’épisode montre que
cela fonctionne.
Pour dire les choses un peu autrement: ce phénomène de tache solaire peut être qualifié
de prophétie auto-réalisatrice. Il suffit qu’une personne ayant suffisamment d’autorité sur les
marchés financiers dise quelque chose, même si c’est complètement idiot, pour que les marchés
financiers se disent: tout le monde va le croire, donc j’ai intérêt à faire comme si je croyais que
c’était vrai. Même si en mon for intérieur, je sais pertinemment que c’est faux. Parce que sur les
marchés financiers, il est impossible d’avoir raison tout seul contre tout le monde. Il vaut mieux
avoir tort avec tout le monde que raison tout seul Si vous avez raison tout seul vous perdez de
l’argent. Vous êtes convaincu que l’euro va monter et tout le monde est convaincu que l’euro va
baisser ? Tout le monde vend l’euro, et tout seul avec vos petits bras, vous ne pouvez pas tenir
l’euro, l’euro s’effondre et vous perdez de j’argent. Conclusion: si tout le monde se convainc que
l’euro va baisser, vous avez intérêt à vendre et vous contribuez à la baisse de l’euro. Même
phénomène pour la qualité de la dette grecque, portugaise ou française … Nous ne sommes
absolument pas à l’abri d’une tache solaire sur la dette française. En tout cas nous n’avons
9 9
absolument pas pris les moyens pour nous prémunir contre.
La crise n’est pas terminée
Je voudrais dire aussi ceci: à mon sens, la crise financière n’est pas du tout terminée. On
entend beaucoup dire que la situation est particulière en France, que le gouvernement a fait un
excellent travail que nous, au moins, nous sommes à l’abri de la crise financière. Je ne le crois pas.
Je ne suis pas en train de recréer une tache solaire en désignant les banques françaises comme des
boucs émissaires. Les banques françaises ont certes beaucoup moins joué que d’autres, en
particulier anglaises, allemandes, suisses, espagnoles. Ce qu’elles ont fait est beaucoup moins
grave. Mais sekm moi, nous ne sommes pas complètement tirés d’affaires.
D’abord parce que s’il y a un grand crack financier en Europe, nous coulerons avec les
autres parce que nous n’avons pas les moyens de surnager tout seuls. Ensuite, à cause d’un autre
phénomène plus subtil que j’essaye de vous expliquer rapidement: fin 2008, la plupart des
grandes banques européennes d’affaires sont en quasi faillite. (Je précise qu’il s’agit de banques
d’investissement, qui interviennent sur les marchés financiers. Je ne parle pas du tout ici des
banques de dépôt, celle au coin de la rue et dans laquelle vous avez votre compte. Il se trouve que,
depuis quelques années, en particulier en Europe et aussi aux Etats-Unis, il y a confusion entre les
deux. Il y a des établissements bancaires qui cumulent les deux activités mais de mon côté je ne
parle que des activités des banques d’investissement. Ce n’est pas du tout une critique à l’égard
des banques de dépôt qui font très bien leur travail) Donc fin 2008, la plupart des banques
d’investissement en Europe vont mendier auprès des Etats de l’argent pour pouvoir survivre au
31 décembre. Vous savez qu’en France, l’Etat a prêté de l’argent à six à sept banques, en
particulier les trois plus grosses. Elles ont remboursé, aucun doute là-dessus. Mais au 31 décembre
2008, elles sont toutes en quasi faillite. Au 1″ semestre 2009 elles recommencent presque toutes
à engranger des profits sur les marchés, et à se redistribuer des bonus exorbitants. Alors c’est
quand même un peu étonnant… Comment en six mois, une banque, une institution, quelle qu’elle
soit, peut-elle passer de la quasi faillite à des profits faramineux? Un petit miracle s’est opéré le 1″
janvier 2009 et il a une explication assez simple: il est lié à ce qu’on appelle les normes
comptables internationales. Entre 1995 et 2005, vous avez eu de manière souterraine (le grand
public n’en a rien su) une énorme bagarre en Europe autour de la réforme des normes comptables
internationales, c’est-à-dire des normes qui régissent la manière dont les entreprises cotées en
bourse doivent présenter leurs documents comptables. Vous avez eu, pour simplifier, une grosse
bagarre entre les banques françaises et les banques allemandes – malheureusement remportée
par les allemandes. Au terme de quoi, en 2005, la Commission européenne a édicté de nouvelles
normes comptables qu’on appelle les normes IFRS5.Je simplifie à outrance: le principe directeur
de ces normes comptables est qu’un actif, dans une entreprise cotée, doit être évalué dans le bilan
d’entreprise à sa valeur de marché.
Autrefois, au XIXèmesiècle, comment faisait-on de la comptabilité? Imaginons que je fasse
un investissement, je suppose qu’il va rapporter tant dans les années à venir, je calcule ce qu’il va
rapporter par la suite et j’actualise cela avec un taux d’intérêt. Je fais ce calcul et je l’inscris dans le
bilan d’entreprise. Depuis 2005, ce n’est plus du tout ce que l’on fait: on regarde l’actif, on se
demande combien il vaut sur le marché et on inscrit cette valeur dans le bilan d’entreprise. La
valeur du bilan fluctue donc suivant les prix de marché. Et si vous avez bien compris ma petite
histoire de taches solaires, vous vous dites: on prend des risques extraordinaires, car la valeur des
bilans des entreprises cotées dépend désormais des taches solaires qui ravagent les marchés
financiers. C’est la raison pour laquelle les banques françaises étaient contre. Les banques
allemandes étaient pour, parce que les banques allemandes ont une espèce de foi inébranlable dans
le marché qu’heureusement nous n’avons pas … Mais ce sont les allemandes qui ont gagné. Depuis
2005, nous sommes astreints à enregistrer les valeurs de ce que possèdent les entreprises cotées
en bourse à leur valeur de marché.
IFRS pour international Financial Reporting Standards.
10
0″ eil 2888, les bSflfjtleS tI’Etlr6I”e, et titi fl’6flèe efltier, se Feflèeflt ~Qmflt@”lJ.’@llols.@’QRt
prises les pieds dans le tapis avec cette histoire parce que leurs fameuses créances pourries gagées
sur les dettes des ménages pauvres américains ne valent plus rien sur le marché. Et comme je suis
tenu d’intégrer ces créances dans mon bilan à leur valeur de marché, ces créances passent d’une
somme fantastique (qui devait me rapporter des milliards) à quasiment « zéro ». Evidemment, ça
creuse des trous noirs dans les bilans des banques et c’est la raison pour laquelle elles sont
quasiment toutes en faillite en décembre 2008. Elles sont donc allées voir un institut extrêmement
discret, l’IASB,’ qui est le comité chargé de l’édiction des normes comptables internationales et qui
se trouve à Londres. C’est une institution privée, à qui la Commission européenne a délégué la
tâche – oh combien difficile! – d’édicter les normes comptables internationales. (Petit aparté de
ma part en tant que citoyen français: mais comment se fait-i1 que la Commission Européenne
délègue à une institution privée la charge éminemment publique de devoir édicter les normes
comptables? C’est étonnant quand même! Comme si des hauts fonctionnaires, ayant l’intérêt
commun en vue, n’étaient pas capables d’édicter les normes comptables. On délègue cette tâche à
une institution privée, payée de surcroît par les banques !) Alors, l’IASB, qui avait déjà édicté ces
normes en 2005 sous la pression et le lobbying très efficace des banques allemandes, voit en 2008
un cortège de banques faire leur pèlerinage à Londres pour le supplier de les délivrer de la
contrainte des normes comptables qu’elles ont elles-mêmes réclamées. Elles supplient l’IASB de ne
plus les obliger à enregistrer ces actifs pourris, gagés sur la dette insolvable d’Olivier, à leur valeur
de marché. Et l’IASB, probablement avec raison, pour sauver les banques, leur accorde un régime
d’exception comptable, qui les autorise à titre dérogatoire à ne plus enregistrer ces actifs pourris à
leur valeur de marché. Et miraculeusement, de fin 2008 au 1″semestre 2009, ces actifs passent de
« zéro» à une valeur positive calculée d’après les bonnes vieilles formules du XIXème siècle,
d’après les intérêts composés, dont j’ai parlé tout à l’heure. A une différence près: aujourd’hui, ces
calculs d’intérêts composés qu’on faisait en Seconde sont faits par des Polytechniciens qui
s’embauchent à Londres dans les salles de marché, et qui font du calcul stochastique extrêmement
sophistiqué. (Je l’ai fait moi-même lorsque j’étais consultant avant d’entrer chez les jésuites. Moi
j’étais normalien, j’étais un peu tout seul parmi les X, mais on m’a toléré …)
Si vous me donnez un actif structuré, donc un millefeuille suffisamment compliqué, et vous
me dites: « Mon garçon, je veux que cela vaille tant. )}Vous me laissez quelques jours, et je vous
fais un modèle mathématique suffisamment compliqué pour que cela vaille ce que vous voulez. Je
caricature un petit peu, évidemment, mais à peine. Et vous imaginez bien qu’il n’y a aucun expertcomptable,
aucun auditeur comptable, capable d’aller lire les 250 pages d’annexe de maths qu’on a
mises à la fin du bilan pour justifier le modèle qui clonne le prix de l’actif. Evidemment non: il n’a
pas le temps et il n’a pas les compétences pour cela, il n’a pas fait l’X ! Il Y a un an et demi, à
Dauphine, lors d’une table ronde avec des experts-comptables de France, de Suisse, d’Allemagne, un
expert-comptable prend la parole et réplique à ce que je vous disais: « Gaël Giraud sous-estime
gravement la compétence et l’expertise de nos auditeurs comptables. » Je lui dis: « Bien sûr, vous
êtes très compétent en comptabilité mais comment voulez-vous challenger quinze
polytechniciens qui font ce travail à longueur de journée, et qui sont payés des ponts d’or pour
faire cela! Vous êtes absolument incapable de dire: l’espace probabilisé dans lequel on s’est placé
est un espace de Fréchet et c’est normaL ce n’est pas votre boulot. )}N’empêche que la valeur de
mon millefeuille dépend de cette hypothèse-là. Et les espaces de Fréchet sont encore simples!
Maintenant on fait des équations différentielles stochastiques pour justifier les prix calculés, c’est
très beau, ce sont de belles mathématiques! Mais finalement on peut faire dire à peu près ce que
l’on veut à ces modèles, malheureusement. Conclusion, en caricaturant: depuis 2009 ces produits
toxiques sont évalués grosso modo à des valeurs en partie fictives, à des valeurs théoriques
calculées par des matheux, comme je l’ai fait et comme le font beaucoup de polytechniciens
Un certain nombre de ces matheux disent certainement, comme je l’ai dit moi-même au
début des années 2000 : « Vous voyez bien qu’on fait n’importe quoi ». Et certainement, on leur
International Accounting Standards Board, le Bureau des standards comptables intemationaux.
II
répond: « Pourguoi voudrais-tu nous empêcher de faire la fête?l» – comme on me l’avait
répondu à l’époque. C’est la raison pour laquelle quand on nous dit aujourd’hui que les banques
font de nouveau du profit, qu’elles vont bien et qu’il n’y a pas de problème … je n’y crois pas 1 Je
crois qu’en réalité on a cassé le thermomètre qui permet de prendre la température du malade.
Mais ce n’est pas parce que le thermomètre est cassé que le malade n’a pas de fièvre …
Un exemple parlant: les banques irlandaises. Comme vous le savez, les banques irlandaises
sont toutes en faillite aujourd’hui. Le système a été entièrement nationalisé par l’Irlande parce
qu’il était en faillite. Or, été 2010, c’est-à-dire il y a six mois, toutes les banques irlandaises ont
passé avec succès le stress test, le test de fiabilité des banques. D’abord, elles ont toutes maquillé
leurs actifs toxiques et leurs créances douteuses grâce à ce type de calculs dont je vous ai parlé.
Ensuite, elles ont fait une autre manipulation dans le détail de laquelle je ne vais pas entrer: elles
ont mis tous les actifs dangereux dans ce qu’on appelle le banking book, c’est-à-dire le bas du
bilan … Et lors des tests, on ne s’est pas soucié du fond du bilan on s’est occupé du haut du bilan, si
vous voulez. Résultat: en juillet 2010, toutes les banques irlandaises sont réputées en bonne
santé, et trois mois après, elles sont toutes en faillite. C’est la raison pour laquelle je me permets
d’avoir des doutes sur la santé des banques françaises. Et d’ailleurs quand je parle seul à seul avec
certains banquiers, je vois qu’en réalité ils savent très bien que cela va mal mais on n’a pas droit
de le dire au public car cela pourrait provoquer la panique qui mènerait à une fin certaine.
2. L’aspect plus profond de la crise: l’économie
Unesituation de croissance molle
j’arrive à la deuxième partie qui est l’aspect plus profond de la crise, au niveau
économique. A mon sens, la partie financière est la surface du problème: il y a un problème plus
profond qui est d’ordre économique. Je reviens sur ce qui s’est passé en Allemagne, dans les pays
industrialisés occidentaux dans les années 80. Nous nous sommes alors tous ensemble engagés
dans un sentier de croissance économique très particulier, que nous pouvons qualifier de
croissance molle: c’est une croissance où vous avez une faible augmentation du POE chaque
année, 2 à 4 % par an, ce qui est peu en comparaison des trente glorieuses. Mais, en contrepartie,
peu d’inflation, 2 à 3% par an, si j’excepte quelques poussées fiévreuses au moment du choc
pétrolier ou au moment du passage à l’euro. Globalement, sur les trente dernières années, nous
avons eu une grande modération de l’inflation. Donc la taille du gâteau augmente lentement,
l’inflation augmente lentement, les salaires augmentent lentement. En France, le pouvoir d’achat
des classes moyennes a un tout petit peu augmenté, très régulièrement, très timidement dans les
trente dernières années. En Allemagne, sur les quinze dernières années, le pouvoir d’achat des
classes moyennes a baissé. On a réussi à faire avaler la pilule aux Allemands par deux moyens. Le
premier fut la réunification allemande: il faut se serrer la ceinture, faire des sacrifices pour la
grande Allemagne réunie. Deuxième argument: il faut qu’on exporte à l’étranger, il faut donc être
compétitif… Les ménages allemands sont donc plus pauvres (en moyenne) qu’il y a quinze ans et
c’est la raison fondamentale pour laquelle ils ne veulent absolument pas payer, ni pour la Grèce ni
pour l’Espagne ni pour le PortugaL ni pour l’Irlande. Cela fait quinze ans qu’ils souffrent, ils ne
comprennent pas pourquoi maintenant il faudrait en plus payer pour les autres. Je comprends
bien la réaction de ces classes moyennes même si je pense que c’est une erreur politique mais
Angela Merkel s’appuie sur cette opinion publique allemande.
Ce sentier de croissance très spécifique dans lequel nous sommes engagés depuis vingt
ans ne peut fonctionner qu’à condition que vous ayez tous ces éléments: une croissance faible,
une inflation faible, une augmentation salariale faible, un chômage de masse qui en réalité n’a
jamais vraiment disparu. Vous voyez qu’en France en 2007, le chômage était tombé à 7, voire
7,5%, ce qui est encore beaucoup; aujourd’hui il est remonté allègrement à 10%. En Espagne il
est à 20% maintenant. En réalité, on n’a jamais réussi dans les 25 dernières années à revenir au
taux de chômage structurellement nul que nous avions dans les trente glorieuses. Donc cela fait
partie de cette combinaison: un chômage important qui légitime la pression salariale. On
n’augmente pas les salaires et on dit aux salariés: « Ecoutez, ne demandez pas une augmentation
12
de salaire, il y en a d’autres qui sont actuellement au chômage et qui travailleront sinon à votre
place» Il y a de plus évidemment Je chantage à la délocaJjsatiou et la pression très forte du
dumping salarial des pays émergenls, des pays du sud: comment voulez-vous que nous nous
soyons compétitifs quand en Europe de l’Est des gens gagnent 300 € par mois – sans parler de ce
qui se passe en Chine, au Bangladesh, etc.
Des revenus financiers qui explosent
Dans cette situation, il y a eu une explosion des revenus financiers très impressionnante
sur les trente dernières années. Une explosion de la taille des marchés financiers grâce à la
dérégulation, grâce à des politiques extrêmement volontaristes de dérèglementation des marchés
financiers, qui leur permettent d’accumuler des revenus fantastiques pendant que le reste de la
taille du gâteau de l’économie augmente très lentement. Ce n’est pas très douloureux pour les
classes moyennes, qui ne s’en rendent pas vraiment compte, parce que leur pouvoir d’achat
augmente doucement: cela fait trois fois qu’on leur dit qu’on est dans une crise mais ma foi… ce
n’est pas la crise pour tout le monde. Du coup, il y a eu un creusement des inégalités dans nos
sociétés en France, en Angleterre, aux Etals-Unis, en Allemagne … qui est inouï, qu’on n’a jamais
connu en France depuis la seconde guerre mondiale. Il faut remonter aux années 20 – 30 pour
retrouver les niveaux d’inégalités que nous connaissons de nouveau aujourd’hui. Evidemment,
globalement, la société française est beaucoup plus prospère aujourd’hui qu’elle ne l’était dans les
années 30, mais le niveau des inégalités s’est de nouveau creusé comme dans les années 30. Au
début du 20éme siècle, en France, l’écart des revenus dans une entreprise entre les salaires les plus
élevés et les salaires les plus faibles est de 1 à 20. Après la seconde guerre mondiale, au début des
trente glorieuses, le rapport est de 1 à 50. Aujourd’hui. vous avez des entreprises en France où le
rapport est de 1 à 2000 ! Le creusement des inégalités n’est pas dû à mon avis à une espèce de
permissivité de la société française, qui tolérerait aujourd’hui des écarts qu’on ne tolérait pas
avant … Je ne crois pas que la moralité sociale soit devenue plus faible mais on ne s’en rend tout
simplement pas compte: on n’a pas les moyens de le mesurer. Les classes moyennes voient leurs
revenus augmenter très lentement; il y a une toute petite minorité qui bénéficie de
l’augmentation extraordinaire des revenus financiers. Cela explique pourquoi il y a tant de
polytechniciens qui sont engagés dans la finance: à compétence égale, diplôme égal expérience
professionnelle égale, vous gagnez en moyenne 30% de plus dans la finance que partout ailleurs. Il
ne faut pas s’étonner si vous avez un tiers de la promotion chaque année qui part à Londres
travailler dans la finance: ils gagnent un tiers de plus que leurs petils camarades.
Moi-même, avant de devenir jésuite, quand j’étais chercheur au CNRS, mon père est
décédé, ma famille avait besoin de sous, une banque m’a proposé de travailler pour elle: j’ai
accepté et, avec mon petit salaire de chercheur au CNRS,j’ai gagné plus en donnant une journée
par semaine de conseil pour les banques. C’est tout à fait normal On comprend alors comment
des jeunes gens brillanls arrivent dans le monde de la finance, se mettent à gagner des sommes
absolument phénoménales et perdent tout contact avec la réalité. Je peux vous raconter beaucoup
d’histoires, d’anecdotes malheureusement un peu tristes de camarades, soit d’Ulm soit de l’X, qui
sont entrés dans les milieux de la finance et qui pour certains, à trente ans, au début des années
2000, gagnaient 100.000 € par mois! Il y en a un que je croise dans le couloir avec qui j’avais fait
mes études, je le reconnais évidemment: moi je suis simple consultant externe et lui il est haut
placé à 30 ans, responsable de la Recherche & Développement d’une banque. Alors, je lui dis:
«Salut! », je lui tends la main: « Nicolas, comment vas-tu? » Et là, il me regarde, ne me tend même
pas la main et passe devant moi comme si j’étais transparent – alors que c’est un camarade de
promo! Celavous dit l’état d’esprit dans lequel cela plonge un certain nombre de jeunes gens tout
à fait brillanls et compétenls. Ils sont dans une situation qui n’a plus rien à voir avec la réalité
quotidienne des gens, ils se prennent d’une certaine manière pour les rois de la terre! Et comment
voulez-vous qu’il en soit autrement? Il est très difficile de résister à cette espèce de
déshumanisation, quand, à 30 ans, vous gagnez 100.000 € par mois et qu’on vous dit que vous
êtes le roi de la terre. Comment voulez-vous que ces jeunes gens s’engagent par exemple dans une
alliance avec une femme, qu’ils se marient? Rassurez-vous, il y a très peu de femmes dans les
13
salles de marché. C’est surtout un monde très, très masculin, et les rares femmes sont surtout des
minettes qui sont là pour entretenir la 1ibicb des traders – c’est à peine caricatural! Alors comment
voulez-vous que ces jeunes acceptent d’entrer dans une alliance profonde, que nous chrétiens
nous caractérisons par le sacrement de mariage? C’est impossible: tout se vend et tout s’achète,
la vie privée en souffre, se dissout. Moi-même, on m’a proposé au bout d’un certain temps un
poste de trader à New York, et cbnc je me suis retrouvé avant de devenir jésuite en costard-cravate
dans un haut building de Manhattan -juste avant l’effondrement des tours en septembre 2001. Il
m’a fallu honnêtement un quart d’heure pour dire non. La pression est telle qu’il est difficile de
résister. A 30 ans, vous allez gagner beaucoup d’argent, dans un gratte-ciel au-dessus de
Manhattan, et vous serez le roi de la terre … C’est la tentation du Christ! Le monde vous appartient
et il faut juste signer le contrat en bas à gauche. Certains se disent: si la société est prête à me
payer autant pour que je fasse ce travail c’est que je cbis le mériter d’une manière ou d’une autre.
Le développement du crédit à la consommation
Comment s’articule cette croissance molle dans laquelle nous sommes engagés avec la
crise financière? Au milieu des années 90, on se rend compte que l’augmentation trop faible des
salaires- en Europe et surtout aux Etats-Unis – ne permet plus aux ménages riches de consommer
suffisamment pour tirer l’économie mondiale vers le haut. Le taux d’épargne des ménages riches
américains – de la classe moyenne américaine – est nul ils n’épargnent plus: ils dépensent la
totalité de leurs revenus. Or, cela ne suffit plus, ils ne consomment plus assez. Il faut cbnc trouver
un moyen pour qu’ils consomment davantage pour que les entreprises continuent d’investir et de
produire. Comment combler le manque de revenu salarial? On développe de manière
systématique le crédit à la consommation. Au lieu de revaloriser les salaires, on va faire du crédit à
la consommation, prêter de l’argent qui n’existe pas encore. Les banques centrales vont jouer, là,
un rôle crucial Ce crédit va permettre aux ménages de consommer davantage, on va remplir les
carnets d’ordre des entreprises. Et à ce moment-là on fait le pari que l’augmentation du PIB
permettra de rembourser l’argent prêté aux ménages (riches). On développe donc de manière
massive le crédit à la consommation.
Et puis dans les années 2000, la bulle internet a éclaté, on se dit que cela ne va pas suffire,
il faut faire du crédit à la consommation auprès des pauvres également. Et là se développe le crédit
hypothécaire, le crédit immobilier, à destination des ménages pauvres américains. Là-dessus on
empile des techniques financières que je vous ai très rapidement décrites: la titrisation, les
millefeuilles, les agences de notation un peu corrompues … Et vous avez la crise de 2008.
Aujourd’hui a-t-on résolu le problème? Si vous êtes d’accord avec la relecture que j’ai faite
(bien sûr il y a d’autres options, d’autres relectures possibles) vous comprenez qu’on n’a pas du
tout résolu le problème. Si le problème est l’insuffisance des revenus des ménages pour
consommer, ce n’est pas en diminuant les revenus des fonctionnaires qu’on va résoudre le
problème. Au contraire, à mon avis, on fait exactement l’inverse de ce qu’on devrait – c’est-à-dire
qu’on est en train de s’engager dans une déflation à la japonaise. Pourquoi? Vous diminuez les
salaires, vous diminuez encore plus le pouvoir d’achat des classes moyennes alors que celui-ci
augmentait déjà très lentement. Donc elles vont acheter moins. Les carnets d’ordre des entreprises
seront encore moins remplis, elles vont encore moins investir. Cela va entraîner une spirale vers le
bas, et donc la déflation.
Il se trouve que, de manière paradoxale, on voit pointer des prévisions d’inflation, ce qui
est vrai. La banque centrale européenne dit: les feux commencent à passer à l’orange, on va avoir
de l’inflation et c’est vrai. Comment puis-je dire qu’on s’engage dans une déflation alors que
l’inflation menace? Malheureusement les deux vont être possibles pour la raison suivante:
l’inflation que l’on voit apparaître aujourd’hui n’est pas du tout une inflation tirée par la
croissance. Pendant les trente glorieuses, on a eu une très forte inflation à 2 chiffres mais aussi
une très forte croissance, une très forte augmentation des salaires et donc ça passait très bien.
Mais là, l’inflation que nous voyons poindre est due à une tache solaire sur les marchés financiers
sur les matières premières. Aujourd’hui dans les marchés financiers on se dit: les banques ne sont
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pas en bonne santé, les Etats eux-mêmes ne sont pas en bonne santé, dans quoi va-to-oninvestir?
Dafts ee E1:li est SHF: c’est à aire 19flBtrg18 car gR âura tO’ljOJJrs besojn de pétrole – le riz le soja
le blé… bref, les matières premières. Voilà ce qui provoque une hausse oe prix des matières
premières, et la hausse du prix du pétrole va provoquer une inflation générale. Si le pétrole coûte
cher, tout coûte plus cher. C’est une inflation qui n’est pas tirée par l’économie réelle mais qui est
provoquée par une tache solaire sur les marchés financiers. Tout le monde croit que le prix du
pétrole va grimper donc j’achète du pétrole et je fais augmenter le prix du pétrole. C’est ce qui s’est
passé en 2008: le prix du baril de pétrole est passé de 60$ à 140, puis est reoescendu à 40 et
remonté à 80, tout cela en l’espace de six mois. Or l’offre et la demande réelles de pétrole sont très
stables; ce sont les mouvements oe capitaux sur les marchés financiers dérivés sur le pétrole qui
jouent au yoyo. Pourquoi? Parce que les marchés dérivés sur le pétrole – donc les actifs, les
contrats sur le pétrole – pèsent financièrement trente fois plus lourd que le marché réel du pétrole.
Quand vous avez des capitaux qui bougent sur les marchés financiers aux étages supérieurs, cela
fait bouger le rez-de-chaussée où vous avez du vrai pétrole. Et donc le prix du vrai pétrole
aujourd’hui est déterminé par les marchés financiers.
3. L’avenir
Petite anecdote sur le cynisme ambiant
je voudrais commencer par raconter une autre anecdote, un autre dîner dans un autre
restaurant, « Chez Françoise », qui est en quelque sorte la deuxième cantine de l’Assemblée
Nationale. J’ai été invité là par des députés parce qu’on me sollicite de temps en temps à
l’Assemblée Nationale pour être auditionné; il y avait là des hauts fonctionnaires du Trésor et
des économistes. C’était début décembre 2010, donc il y a un peu moins de deux mois – j’ai
assisté à une conversation absolument surréaliste que j’essaie de vous retranscrire.
Question: que va+il advenir des pays périphériques: l’Irlande, le Portugal l’Espagne, la
Grèce?
L’un des hauts fonctionnaires du Trésor répond: « Eh bien! Ils vont faire faillite. Et
alors? » Il dit cela avec une espèce de décontraction, que je juge complètement irresponsable.
je rétorque: il faut absolument chercher un plan Bpour permettre à ces pays de ne pas
faire faillite.
Réponse: « Il n’y a pas de plan B. Et après tout, ils feront faillite, c’est leur problème ».
je rétorque que s’ils font faillite, ils vont certainement sortir de la zone euro. « Et alors? me
répond-iL Ils sortiront, dans la zone euro resteront les meilleurs. Quant aux autres, tant pis pour
eux. »
Je réponds: « mais un pays qui fait faillite ne rembourse plus ses dettes. Cela va
provoquer un crack financier terrible et il n’y a aucune raison pour que la France s’en tire ». Et
le débat se porte sur: Et la France elle-même doito-el1ed,ans cette hypothèse, rester dans la zone
euro?
Le haut fonctionnaire du Trésor nous répond: « Ah non! Nous, nous n’avons
absolument pas intérêt à sortir de la zone euro.» Pourquoi? Non pas du tout parce qu’il
croirait au projet politique de l’Europe – il n’est pas non plus souverainiste – mais pour une
raison relativement cynique qu’il nous expose et qui est la suivante: « Vous voyez, l:Allemagne
n’a jamais envahi l’Espagne, le Portugal la Grèce ou l’Irlande, les Allemands ne se sentent
historiquement aucune culpabilité à l’égard de ces pays et les Allemands les laisseront quitter la
zone euro sans rechigner. Nous, ils nous ont envahis, ainsi que le Benelux, donc ils éprouvent
une culpabilité morale à notre égard, jamais ils ne nous laisseront sortir de la zone euro, les
Allemands paieront pour nous. Donc, nous, nous n’avons rien à faire, il suffit d’attendre, ils
vont payer pour nous. » Cela vous dit le niveau de réflexion. Honnêtement, j’ai été abasourdi.
On a continué à discuter. Ala fin du repas, il nous explique quand même que, lui, il va bientôt
vider son compte en banque et s’acheter une belle maison dans la banlieue parisienne. Alors on
lui demande pourquoi là. Il nous dit: « Je connais bien le député; si jamais les banlieusards
veulent nous casser la tête, je sais qu’il appellera les CRSpour nous protéger ». C’est Louis XV!,
version haut-fonctionnaire français d’aujourd’hui! (rires)
5
Au moment du café, il me dit tout sourire: « Eh bien vous savez. la semaine prochaine
je ne suis plus au Trésor; j’ai démissionné, désormais je travaille pour la banque Lazare. »
Heureusement tous les hauts fonctionnaires du Trésor ne pensent pas de cette
manière-là. Et je suis intervenu il y a peu dans un petit groupe où il y avait beaucoup de
représentants du Trésor qui étaient là, et qui désapprouvaient complètement les propos de leur
collègue. Mais il est quand même assez grave que certains fonctionnaires aujourd’hui soient
d’une certaine manière contaminés par les positions du banquier dont je vous ai parlé tout à
l’heure. Ils finissent par adopter le point de vue des banques parce qu’ils sont très tentés de
basculer du côté des banques, pour lesquelles ce qui se passe aujourd’hui est une aubaine. Elles
vont gagner de l’argent si la Grèce fait faillite, si l’Espagne fait faillite, etc. Il y aura un certain
nombre d’autres banques qui vont se porter très maL Il y a cette espèce de cynisme que je
trouve extrêmement inquiétant. L’un des députés qui était là n’était pas dupe du tout et j’ai
continué à discuter avec lui après ce déjeuner. Heureusement.
Le fonds de stabilité européen, rémission mais pas solution
Ce qui va advenir dans les mois ou les années qui viennent est déterminant pour
l’avenir de l’Europe, de la zone euro, de l’euro, de la France. Vous avez sans doute entendu parler
du fonds de stabilité (financière) européen, qui est un fonds européen construit au printemps
dernier pour venir en aide aux pays en difficulté. Jusqu’à la semaine dernière, nous n’avions
aucune garantie que ce fonds a les moyens d’aider les pays à ne pas faire faillite avant 2013. Si
vous faisiez le compte des dettes dues par ces pays – Irlande, Portugal Espagne, Grèce etc. –
jusqu’en 2013, que vous regardiez ce que possédait ce fonds: le compte n’y était pas. Ce fonds
a levé cinq milliards en un quart d’heure, mardi dernier; sur le marché financier, et donc
beaucoup de gens crient: « Hourra! Nous avons trouvé la solution, les marchés financiers ont
enfin compris que l’Europe, c’est du sérieux, et ils ne joueront plus contre l’Europe ». Alors je
reste un peu sceptique. En fait, le fonds a émis des obligations, qui sont des obligations
européennes même si elles n’en portent pas le nom, qui sont gagées sur l:Allemagne, donc qui
ont la garantie allemande, et qui rapportent plus que la dette publique allemande. Ces
obligations émises par le fonds rapportent 2,9 %, alors que le taux d’intérêt de la dette publique
allemande est de 2,37. Et sur des marchés financiers, une différence entre 2,37 et 2,9, c’est
énorme. Donc ça rapporte beaucoup, beaucoup d’argent aux financiers. On peut donc relire ce
qui s’est passé la semaine dernière, non pas du tout en criant victoire mais en disant:
l’Allemagne apporte sa garantie à des titres qui rapportent beaucoup plus que ses propres
titres. Donc en réalité, on est implicitement en train de dégrader la note de l’Allemagne et de
payer les marchés financiers grassement sur des titres gagés sur l’Allemagne. Je ne suis donc
pas sûr du tout que ce soit vraiment une bonne nouvelle. Maintenant il est vrai que cela nous
tire provisoirement d’affaire. Mais la question est: pour combien de temps? Et lorsque les
marchés financiers n’accepteront plus de le faire, qu’adviendra-t-i1 ? On n’a pas de solution.
Faut-il réformer la banque centrale européenne?
Il existerait bien d’autres solutions techniques dont on pourra reparler cet après-midi
si vous le souhaitez, je ne fais que les esquisser pour pouvoir aborder les autres problèmes que
j’ai à aborder.
On pourrait – je crois que c’est là le noeud du débat – revenir sur cette question de
l’indépendance de la banques centrale européenne (BCE) que nous avons codifiée dans les
traités européens et qui interdit à la BCE aujourd’hui de prêter directement de l’argent aux
Etats. Pourquoi a-t-on fait cela? Sous la pression des Allemands: en 1945, à la sortie de la
guerre, lorsque les alliés ont d’une certaine manière dicté la reconstruction de l’Allemagne de
l’Ouest, ils se méfiaient énormément du pouvoir politique allemand Et à juste titre: on sortait
de la guerre. Et donc ils ont inscrit dans la Constitution de l:Allemagne de l’Ouest, de manière très
rigide, l’indépendance de la banque centrale allemande, la Bundesbank, à l’égard du pouvoir
politique allemand, dont ils se défiaient. Finalement, cela a plutôt bien réussi aux Allemands qui
ont vécu avec une banque centrale tout à fait indépendante, uniquement chargée de veiller sur
l’inflation … Lorsque nous avons défini les statuts de la banque centrale européenne, nous
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l’avons fait avec les Allemands évidemment, et ils n’ont consenti à renoncer au Deufschmark
quo ~il’GR a”eptlit leurs CGRditiGR~~ur la mi~o ORplaco de l’eurG et Wt:lCsur les statuls do la
banque centrale européenne. On a alors calqué les statuts de la banque centrale européenne sur
ceux de la Bundesbank, et donc dans une défiance à l’égard du politique. On a retiré le pouvoir de
création monétaire aux politiques et on l’a confié à une institution, la BCE,qui n’a aucune
légitimité démocratique – Jean-Claude Trichet n’a été élu par personne – et qui pourtant détient
le pouvoir de création monétaire. Or, comme vous le savez, le roi est celui qui peut frapper
monnaie. Un roi qui ne peut pas frapper monnaie n’est plus un roi, il n’a plus de pouvoir
politique. (Pour être complet, il faudrait ajouer : le « roi », c’est celui qui peut frapper monnaie
et lever des impôts. C’est pourquoi la question de l’harmonisation fiscale au sein de la zone Euro
est si importante.) En Europe nous avons construit une espèce de monstre bizarre, et nous
sommes les seuls au monde à l’avoir fait! Nous avons des pouvoirs politiques qui se sont
dessaisis du pouvoir de création monétaire confié à une institution indépendante, la BCE,qui
aujourd’hui n’a pas le droit de frapper monnaie pour les Etats. Certes, elle frappe monnaie,
nous avons produit énormément d’euros, la planche à billets de l’euro tourne à plein depuis des
années … Mais ces euros atterrissent sur les marchés financiers, pour acheter les dettes
publiques des Etats européens. La BCE, quand elle rachète des titres de dettes publiques
grecques, irlandaises, portugaises, espagnoles, elle les rachète sur le marché secondaire
financier, où ces titres s’échangent grâce aux banques. Et moyennant une petite commission
prélevée par les banques. Les banques n’ont donc vraiment aucun intérêt à ce que la BCEsoit
enfin autorisée à financer directement les Etats.
Il y a évidemment un contre-argument, qui consiste à dire: si vous autorisez la BCE à
financer directement les Etats, c’est la porte ouverte au laxisme budgétaire parce que, du coup,
n’importe quel Etat pourra faire n’importe quoi et se refinancer directement auprès de la BCE.
Bien entendu, il faut édicter des règles pour que la BCE ne finance les Etats que sous certaines
conditions. Je reviendrai là-dessus tout à l’heure. Mais interdire rigidement aujourd’hui à la BCE
de financer directement les Etats a pour conséquence que l’on est obligé de passer par les marchés
financiers pour aider les Etats à s’en sortir. Et tant que nous serons en Europe assujettis aux taches
solaires des marchés financiers, je ne crois pas que nous puissions nous en sortir. Donc à titre
personnel aujourd’hui – mais je puis me tromper et j’espère me tromper – je ne vois pas
comment nous échapperons dans les années qui viennent à de nouveaux cracks financiers et à la
faillite d’un certain nombre de pays en Europe. Il se trouve que nous avons une rémission
aujourd’hui depuis la semaine dernière, et c’est très heureux, mais ce n’est pas la solution
définitive au problème.
La question énergétique
j’en arrive aux deux autres points de cette troisième partie sur l’avenir: la question de
l’énergie et celle du climat.
La question de l’énergie. Les spécialistes de la question parmi vous savent qu’il y a
d’énormes débats. Là aussi il y a trois positions. La position que j’adopte est soutenue par bon
nombre de vos confrères polytechniciens, dont deux que vous connaissez sûrement: Alain
Grandjean (X75) et Jean-Marc Jancovici (X81) qui sont un peu les spécialistes de cette
question. La question est le cours du pétrole. j’ai dit tout à l’heure que le cours du pétrole avait
fait le yoyo en 2008, uniquement en raison des mouvements de capitaux sur les marchés
financiers sur le pétrole, parce que les marchés financiers sur le pétrole pèsent aujourd’hui
trente fois plus lourd que le marché réel du pétrole. Aujourd’hui, fort heureusement, grâce au
lobbying très intense de Total en France, nous sommes en train d’avancer à pas rapides vers la
règlementation des marchés financiers de dérivés sur le pétrole. Christine Lagarde,
heureusement, a compris ce message-là et pousse beaucoup pour qu’on règlemente au niveau
international les marchés financiers sur le pétrole. C’est au calendrier du G20, Nicolas Sarkozy
s’est saisi de la question, on ne peut que s’en réjouir, et la France joue un rôle moteur sur cette
question. C’est une excellente idée. Une fois qu’on aura bien réglementé ces marchés, on peut
espérer éviter de nouvelles taches solaires qui fassent faire le yoyo au prix du baril du pétrole
tout à fait indépendamment des conditions réelles d’offre et de demande du pétrole. C’est un
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aspect du problème gui avance plutôt bien. Un des représentants du gouvernement français
dans les négociations internationales sur ce problème est Fréoeric Baule, l’un des co-auteurs du
livre des 20 propositions pour réformer le capitalisme.
Stagnation, voire baisse, de la production quotidienne de pétrole
Mais il y a un deuxième problème lié au cours du pétrole, qui n’est pas lié à l’aspect
financier mais qui est lié à l’extraction réelle du pétrole. Nous avons beaucoup de réserves de
pétrole sur la planète, beaucoup trop d’ailleurs, parce que si on les utilise complètement, on va
détruire la planète à cause de l’émission de CO,. Nous avons encore des réserves pour au moins
un siècle, aucun doute là-dessus. Donc, je ne suis pas du tout en train de vous annoncer qu’il n’y
aura plus de pétrole dans dix ans sur la planète. Ce n’est pas vrai du tout, il y en a encore pour
très longtemps. Par contre la taille du robinet du pétrole n’est pas indéfiniment extensible.
Aujourd’hui la planète produit en gros 90 millions de barils de pétrole par jour. Les Xingénieurs
qui travaillent chez TotaL mais aussi ailleurs, dans des grosses boîtes de conseils privés qui
planchent là-dessus, sont quasi unanimes pour dire que nous allons atteindre un plateau
technique de production quotidien autour des 100 millions. I:agence internationale de
l’énergie, l’AIE,qui est basée à Paris, a reconnu officiellement, dans son rapport de cette année
2010, que nous avons atteint le pic du pétrole, le peak oil dans le jargon des techniciens, en
2006-2007, avec 70 millions de barils par jour; si l’on ne tient compte que des techniques
conventionnelles d’extraction du pétrole. Pourquoi? Ce qui se passe est très simple: un puits de
pétrole est en fait une nappe d’hydrocarbure piégée sous terre par une roche étanche qui
l’empêche de remonter à la surface. Donc vous avez un puits de pétrole, vous avez une nappe
prise dans une roche poreuse; il y a une très forte pression de gaz vers le haut mais la nappe
est empêchée de remonter par une roche étanche. Que fait un pétrolier? Il creuse un trou, il
fait un puits, ce trou libère la pression du pétrole, qui sort. D’où les geysers de pétrole qu’on voit
dans les films. C’est du pétrole qui est naturellement poussé par la pression sous terre. Au fur et
à mesure que vous videz le puits de son pétrole, la pression diminue et à la fin du puits il n’y a
plus de pression, le pétrole ne remonte plus tout seuL donc il faut le pomper. C’est beaucoup
plus coûteux, beaucoup moins efficace que la pression naturelle de sorte que la productivité des
puits anciens diminue très vite. En fait, la vie d’un puits de pétrole c’est: une très grande
productivité dans les toutes premières années puis une chute très rapide de la productivité du
pétrole. Aujourd’hui, tous les anciens puits que nous avons forés depuis 50 ans ont une
productivité qui diminue tous les jours. La productivité des puits de l’Europe du Nord diminue
tous les jours. Pour pallier cette diminution, il faut trouver de nouveaux gisements et améliorer
la productivité des nouveaux gisements, donc améliorer les techniques d’extraction du pétrole.
Il est aujourd’hui unanimement reconnu que les techniques conventionnelles ne suffisent plus
à compenser la déplétion, c’est-à-dire la diminution de la productivité des vieux puits. Autrement
dit, si l’on s’en tient aux techniques conventionnelles d’extraction du pétrole, la production
quotidienne de pétrole diminue. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a plus de pétrole, entendonsnous
bien, mais la taille du robinet est bornée et on ne peut plus produire tous les jours
suffisamment de pétrole pour tout le monde. Pourquoi? Parce que pendant ce temps-là, la
demande mondiale de pétrole quotidienne continue d’augmenter; surtout du fait des classes
moyennes chinoises qui commencent à consommer beaucoup de pétrole, comme nous. Un
jour, l’offre quotidienne mondiale du pétrole plafonnera autour de 100 millions alors que la
demande quotidienne mondiale de pétrole va excéder 100 millions, il n’y aura donc plus de
pétrole tous les jours pour tout le monde: cela va provoquer une hausse massive du prix du
pétrole, cette fois-ci non plus liée aux mouvements de capitaux mais aux émissions réelles
d’extraction de pétrole. Et encore une fois, non pas parce qu’il n’y aura plus de pétrole, il y aura
encore beaucoup, mais parce qu’on ne pourra pas continuer à extraire tous les jours une
quantité infinie.
Il y a donc un débat dans lequel je ne vais pas entrer maintenant: vous avez aussi des
techniques non conventionnelles d’extraction de pétrole qui se développent à très grande
vitesse aujourd’hui aux Etats-Unis. Certaines entreprises françaises y sont très favorables et
veulent les étendre en France. Par exemple, on fait cela sur le gaz — vous savez qu’entre le
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pétrole et le gaz il y a un continuum cieproduits d’hydrocarbure. Or il y a du gaz dans le Larzac
et UR ~BrtaiR RQmbrQ d’QRtreFlrises ‘QuQraieRt ffiettre eR oeuvre les teEIlRiEjlles RSR
conventionnelles d’extraction cie gaz dans le Larzac … Mais il y a un hic : d’abord, c’est
extrêmement polluant parce que ces techniques pulvérisent la roche étanche avec ciel’eau très
dense. Simplement pour que l’eau soit plus cIense,on est obligé d’y mettre cIes« cochonneries»
qui restent dans l’eau, et donc qui restent dans la terre. Vous extrayez du pétrole, du gaz, mais
l’eau, que vous avez utilisée pour pulvériser la roche, reste. C’est un vrai problème
d’environnement.
Autre problème: nous n’avons aucune garantie aujourd’hui que ces techniques non
conventionnelles vont suffire pour pallier la déplétion cIes anciens puits. Il y a un débat
technique. Des gens que je connais, dont Grandjean et Jancovici, disent que cela ne suffira pas,
parce que cela supposerait qu’on fasse de tels progrès techniques dans les dix ans à venir qu’on
n’y arrivera pas. Qui plus est, pour l’environnement et le climat, ce serait une bonne nouvelle
qu’on n’y arrive pas. Cela nous obligerait à consommer moins ciepétrole, à produire moins de
gaz à effet cieserre, à détruire moins vite la planète.
Donc sur ce plan-là il y a un débat technique. Je me laisse convaincre par des
spécialistes qui disent: on ne gagnera pas ce combat-là. Et en plus, du côté écologique, je
souhaite qu’on ne le gagne pas. Certains pétroliers, évidemment, ne sont pas du tout de cet
avis. Ils vous diront: « La technique humaine, l’innovation, le génie français … On va y arriver
et cela ne pollue pas … Pourquoi n’aimez-vous pas le pétrole?»
Scénario avec un pétrole très cher: re-régionalisation et baisse du commerce
international
Supposez que cette hypothèse soit vraie et que dans moins de dix ans, le prix du pétrole
explose non pas à cause des mouvements financiers mais à cause de la raréfaction de la
production quotidienne de pétrole — bien qu’il reste encore beaucoup de pétrole. Imaginez la
société française avec un pétrole très cher. Cela peut provoquer des secousses telluriques au
point de vue économique. Vous avez un certain nombre d’économistes aujourd’hui qui
réfléchissent à cIesexpériences du type re-régionalisation du capitalisme mondiaL Pourquoi?
Parce qu’un pétrole très cher, cela signifie que 80% du commerce mondiaL qui s’effectue par
bateaux, par fret, par voie maritime, devient très cher. La raison n’est pas le bateau; il
consomme du pétrole, mais tellement peu comparativement à la masse qu’il peut transporter,
qu’il faudrait un pétrole qui atteigne vraiment des sommets himalayens pour que le bateau luimême
devienne trop cher. Simplement, nous n’allons pas faire notre shopping au Port-de-Bouc,
à Marseille. Les crevettes thaïlandaises que nous mangeons à Noël arrivent du port de pêche
thaïlandais jusqu’au grand port maritime de pêche internationaL elles sont ensuite prises en
charge par un cargo et arrivent à Port-de-Bouc, d’où un camion les emporte dans le centre
commercial où nous allons faire nos courses. Et le camion, lui, est très consommateur de
pétrole. Et aujourd’hui nous ne savons pas faire des camions électriques qui aillent très vite et
qui transportent une grande quantité. On sait faire de petites voitures électriques sur de
courtes distances, mais on ne sait pas faire de gros camions. Et si j’entends bien ce que me
disent mes collègues ingénieurs, on ne saura pas en fabriquer avant dix ans, ou en tout cas pas
suffisamment pour pallier la baisse significative que risque de connaître le commerce
international si le pétrole commence à coûter très cher.
Quelles sont les solutions? Evidemment le ferroutage: mettre ces camions sur les trains
et développer le réseau ferroviaire. Cela veut dire un réaménagement complet du territoire
français, la remise en valeur du réseau ferroviaire que nous avons détricoté patiemment après
la seconde guerre mondiale, revaloriser toutes les petites voies ferrées de la Creuse qu’on a
abandonnées, parce que les gens qui sont en Creuse aujourd’hui, quand le pétrole coûtera très
cher, ils n’auront plus les moyens de prendre leur voiture, ce sera trop cher. Cela veut dire aussi
la fin des grandes banlieues pavillonnaires, cette espèce de continuum de banlieues entre le
centre de Paris et Cergy par exemple; à part les plus riches, les classes populaires ne pourront
plus se payer la voiture, elles seront toutes obligées de prendre le RER.Et vu la manière dont
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fonctionne la ligne Adu RER- je peux en témoigner! – ils ne sont pas tirés d’affaire … Il faut
donc revaloriser complètement le transport public. Il y a un certain nombre d’urbanistes qui
réfléchissent à ces questions-là -parce qu’il vaut mieux y réfléchir maintenant, même si c’est
pour dans dix ans. Ils anticipent une reconfiguration de l’aménagement du territoire français
où vous aurez de nombreuses petites villes très denses avec un transport public à l’intérieur de
ces petites villes beaucoup plus performant qu’aujourd’hui, très peu de gens qui utilisent leurs
voitures, et des petites villes qui seront reliées les unes aux autres par le train, c’est ce qu’il y a
de moins cher. Cela ne résout pas tous nos problèmes: le train fonctionne avec de l’électricité,
qu’il faut produire, et pour la produire, on a besoin de gaz ou bien on a besoin d’usines à
charbon très polluantes, ce qui pose le problème de la capture du CO,. Je ne dis pas du tout que
tous ces problèmes soient réglés mais ça vous donne une idée de ce vers quoi s’orientent un
certain nombre de chercheurs pour essayer de comprendre ce qui va nous arriver.
Autre remarque: si le commerce international diminue significative ment… Et vous
avez vu qu’en 2008-2009 il a baissé de 30% en quelques mois, cela veut dire qu’on est capable
de vivre une baisse du commerce international de 30%. Evidemment en 2008-2009, c’était
temporaire, c’était lié à la crise financière, mais quand même c’est arrivé, on sait que c’est
possible. Si ça devait arriver, l’Europe devrait apprendre à vivre par ses propres moyens
fondamentalement, cela nous coûterait trop cher de tout importer comme nous le faisons
aujourd’hui. Cela veut dire une ré-industrialisation massive de l’Europe. Et là, je prends une
option personnelle en disant: en France, en Angleterre, en Espagne, en Italie, en gros partout,
sauf en Allemagne, en Suède et en Suisse, nous avons fait la bêtise énorme de nous laisser
désindustrialiser depuis vingt ans. Il est urgent de réindustrialiser le tissu économique
européen, et en particulier français, et de revaloriser l’agriculture. Imaginez un
réaménagement du territoire avec des petites villes très denses, cela veut dire qu’il faut que
l’acheminement de l’agriculture à ces petites villes se fasse à moindre coût, donc avec des
distances les plus faibles possibles, ce qui veut dire qu’il faut revaloriser la pluri-agriculture
autour de tous ces centres urbains. Il faut arrêter avec cette folie qu’est la spécialisation
agricole: vous avez la Creuse qui fait de la viande, la Normandie qui fait du lait, la Beauce qui
fait du blé, parce que cela suppose de transporter tout ça partout. Il faut réaménager en Creuse
l’agriculture avec de la viande, du lait et du blé, les trois à la fois, pour permettre aux Creusois de
vivre, sinon ils devront le faire acheminer et cela va leur coûter trop cher. Cela veut dire aussi
probablement dans dix ans qu’il n’y aura plus de crevettes thaïlandaises dans nos centres
commerciaux en France, à NoëLEh bien on s’en passera!
Cela peut être une bonne nouvelle. Nous allons vivre une sorte de crise du pétrole qui va
nous obliger à transformer notre société en une société décarbonée qui polluera beaucoup
moins. Il faut espérer que cela se fasse non pas à travers des guerres terribles, des régimes
totalitaires, des souffrances sociales affreuses, etc., mais à travers des processus où des
ingénieurs intelligents aideront des politiques intelligents à prendre de bonnes décisions. C’est
ce que j’espère. Je peux vous assurer qu’il y en a qui y travaillent, y compris des X,et c’est tout
à la gloire de l’Ecole polytechnique, même s’il n’y a pas qu’eux. Ils sont entendus à l’Elysée. Par
exemple, pour ne pas trahir de secret, quelqu’un comme Guaino, conseiller spécial du
Président, est tout à fait ouvert à ce type de discours. En effet, Guaino, jusqu’en 1995, était au
commissariat aux plans. Donc Guaino comprend que l’Etat doive avoir une vision de long
terme, que l’Etat prenne des décisions qui engagent l’économie française et que, par exemple
on s’engage pour un plan de ré-industrialisation verte en Europe, financée par la banque
centrale européenne. Il l’entend très bien. Malheureusement notre Président actuel n’entend
guère, pour l’instant, ce genre de discours. Mais je suis très optimiste. J’espère qu’on va le faire,
il faut qu’on le fasse le plus vite possible et le plus intelligemment possible. Et en France on a
des ressources techniques, intellectuelles, etc. pour le faire.
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a
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Ce texte est la version transcrite à partir d’un enregistrement et en garde Je
,;aractère oral Cette jnten,entjon ue peut pas être utilisée en public
Comité catholique des X Journée du 30 janvier 2011
CONFERENCE DE GAËL GIRAUD SJ
« LA CRISE FINANCIERE »
Seconde partie: Un reeard chrétien
Je passe à ma 2′ partie qui est le regard chrétien. Comment réfléchir en chrétien face à
cette situation?
Je m’appuierai sur l’encyclique Caritas in Veritate que vous avez sans doute lue ou
parcourue. Vous avez remarqué que le Pape insiste beaucoup sur la question de la confiance en
disant que la confiance est à la racine des relations sociales. Et je dirais que c’est un aspect
absolument fondamental C’est une option qu’on pourrait dire anthropologique. Je crois qu’il
n’y a pas de contrat social dans une société comme la France s’il n’y a pas d’abord une véritable
confiance fondamentale entre nous.
Sortie d’Egypte et traversée de la Mer Rouge
D’une certaine manière, on pourrait relire l’histoire du peuple hébreu quand il sort
d’Egypte, qu’il ose traverser la Mer Rouge: il fait confiance. Il fait confiance à qui? Il fait
confiance à Moïse. De quelle lettre de crédit Moïse dispose-t-il à ce moment-là? Pas grandchose.
Le peuple fait confiance à Dieu, qui guide Moïse. Il a une confiance radicale qui lui
permet de traverser la Mer Rouge et ensuite le désert. Au moment où Moïse commence à
s’absenter beaucoup – il monte sur le mont Sinaï, il va discuter face à face avec Dieu – , en bas
de la montagne, le peuple hébreu commence à avoir peur. Il commence à se dire: « Mais au
fond on est au milieu du désert, on n’a rien à manger, rien à boire, Moïse n’est plus là, on ne va
pas s’en tirer.» Et c’est à ce moment-Ià qu’ils construisent le veau d’or. Le veau d’or vient
rassurer quand la société commence à avoir peur et perd la confiance radicale qu’elle devrait
avoir vis-à-vis d’elle-même. Moïse revient, il redescend, il se met en colère comme vous savez
(Ex 32,10). Et que fait-il? Il fait fondre le veau d’or et il fait boire au peuple hébreu l’or fondu
mêlé avec de j’eau. On se dit: Mais pourquoi? Il leur fait faire l’expérience sans doute très
amère que l’or ne se mange pas, ne se boit pas.
Le veau d’or de nos sociétés: les marchés financiers
Autrement dit, c’est l’expérience que nous devrions faire aujourd’hui: l’argent ne se
mange pas. Les paris financiers qu’on fait sur les marchés financiers ne donnent pas la
prospérité à notre économie. Les lignes des programmes informatiques qui matérialisent la
monnaie aujourd’hui ne parlent pas et ne se mangent pas. On pourrait dire d’une certaine
manière: la seconde guerre mondiale que nous avons connue en Europe était notre sortie
d’Egypte, sortie du totalitarisme, des régimes dictatoriaux. Parce que l’Egypte, dans l’Exode,
représente un régime totalitaire. Les Trente Glorieuses ont été le moment héroïque de la
traversée de la Mer Rouge: c’était impossible mais on l’a fait, on a reconstruit, cette génération
héroïque l’a fait. A quel prix? Aposteriori, ce fut à un prix faramineux, qui était le début d’une
destruction très systématique de l’environnement, mais on ne le savait pas à l’époque. Il serait
donc injuste de faire un procès à cette génération qui a reconstruit l’Europe après la guerre.
Toujours est-il qu’elle a réussi à traverser la Mer Rouge. En gros, depuis les années 80, que
vivons-nous? Je crois, d’une certaine manière, que nous sommes dans la période du veau d’or.
On est au milieu du désert, on n’est pas du tout arrivé en Terre promise, nos sociétés d’une
certaine manière ont peur, elles ne croient plus aux grandes utopies qui ont marqué la période
des Trente Glorieuses, alors elles se sont construit un veau d’or. Ce veau d’or, je crois, ce sont les
marchés financiers anonymes, impersonnels, où personne ne porte vraiment de
responsabilité. Quand vous avez une grosse tache solaire, personne ne peut véritablement
désigner un coupable, on ne peut même pas dire que ce soit Greenspan, qui a fait ce qu’il
pouvait, avec ses compétences limitées. Il a fait, depuis lors, son mea culpa, il a reconnu dans sa
21 2
biographie qu’il s’était trompé. C’est difficile de lui impliquer la responsabilité totale des 25 000
milliards de dollars qui ont été perdus en 2008 sur la planète. C’est injuste. Il y a eu toute une
chaîne de responsabilités: il en est partie prenante mais aussi les ménages pauvres qui ont
accepté de s’endetter, les institutions de crédit hypothécaire qui ont prêté sans discernement,
les banques qui ont fait de la titrisation … et nous-mêmes, nous sommes partie prenante et
complices de la construction de ce veau d’or, que je crois pouvoir identifier au rôle qu’on a
donné aux marchés financiers.
j’en donne un exemple très simple: il y a un an et demi, Christine Lagarde a confié à
l’inspection générale des finances la tâche de faire des propositions techniques de
réglementation du marché financier, qui pourraient être proposées par la France au niveau
européen et au niveau du G20. Qu’est-il arrivé? I.:inspection générale des finances (IGF), ce
sont des énarques, c’est la crème de l’énarchie française. Au bout de quelques semaines j’IGF a
déclaré forfait en disant: « Nous ne sommes pas compétents pour le faire; on connaît trop mal
les marchés financiers, c’est trop compliqué, nous risquons de dire des bêtises sur la
réglementation financière.» Cela révèle que cela fait trente ans que nous formons la haute
fonction publique française sans la mettre au courant de ce qui se passe sur les marchés
financiers. Cela n’est pas la faute des banquiers, c’est la faute de l’administration française, et
donc de la société française. C’est nous qui portons cette responsabilité. Cela veut dire que,
implicitement, nous avons démissionné de notre responsabilité, qui était de garder un droit de
regard sur ce qui se passe sur les marchés financiers. Nous avons dérèglementé d’une manière
systématique sans nous poser la question de savoir comment tout cela fonctionne pour le cas
où, un jour, il faudrait un petit peu gendarmer cette affaire-là, prendre des positions politiques
et règlementer ces questions. Trente ans après, l’élite de la haute fonction publique française,
du côté de l’inspection générale des finances (pas les grands corps techniques, pas les corps de
l’X), déclare forfait et dit qu’elle ne sait pas faire. C’est un aveu d’impuissance, de démission,
mais dont nous portons tous, je crois, la responsabilité. J’y vois une démission gbbale de nos
sociétés vis-à-vis des marchés financiers, à qui on a fait beaucoup trop confiance.
D’ailleurs on a attribué à ces marchés financiers les attributs que la théobgie chrétienne
classique donne à Dieu: ils sont omnipotents, ils sont omniscients, ils savent toujours tout à
l’avance et ils prévoient tout à l’avance. Quand les marchés pensent quelque chose, on croit
que cela va arriver, mais non pas parce qu’ils seraient constitués de petits génies, seulement à
cause des phénomènes des taches solaires dont je vous ai parlé, les prophéties autoréalisatrices.
Et en plus, on pense que les marchés sont bienveillants comme Dieu. Le Dieu de la
métaphysique est omnipotent, omniscient et bienveillant, nous le croyons dans la foi. Ce sont
les attributs qu’on a accordés aux marchés financiers. .
Par exemple, aujourd’hui certains disent: le salut de l’Europe consiste à faire ce que
veulent les marchés financiers parce qu’en fait ce qu’ils veulent est notre bien, il faut s’y plier.
Par exemple, démanteler complètement l’Etat sociaL l’Etat Providence, comme on le fait en
Angleterre, comme on est en train de le faire en Espagne, en Grèce, et probablement en Irlande.
Est-ce vraiment ce qu’il faut faire aujourd’hui? Moi,je ne le crois pas du tout. Mais avant cela, il
ya une question à se poser: comment se fait-il que certains soient convaincus qu’il n’y a pas
d’autre salut aujourd’hui que de se soumettre aux diktats des marchés financiers? Pourquoi?
Parce que nous les avons érigés en veau d’or, ils sont comme le grand Moloch: il faut faire tout
ce qu’ils exigent. Et on leur a attribué les attributs classiques du Dieu de la métaphysique. Vous
voyez ce que j’essaie de vous dire? Nous sommes dans une situation qui est spirituellement
marquée – c’est ainsi que je l’interprète personnellement – par ce que vit le peuple hébreu au
moment de la création du veau d’or. Nous avons à réapprendre que l’or ne se mange pas,
l’argent ne se mange pas. Et c’est l’expérience que Moïse inflige au peuple hébreu quand il
descend du mont Sinaï. Il faut se dégager de l’hypnose qui consiste à croire que les marchés
financiers pourraient à eux seuls nous donner la prospérité. Alors comment échapper à cette
sidération? Celapasse par des tas de mesures techniques, politiques, éthiques.
Ethique personnelle et éthique collective
Je voudrais insister sur un point en tant que chrétien, parce que souvent dans ce type
de discussion, il y a des chrétiens qui lèvent le doigt et qui disent: « Mais écoutez, je suis
22 2
B
chrétien, j’ai des responsabilités financières importantes, je fais mon travail honnêtement, je
Re fluise flas >JaRSla Gaisso, j’Qlléis aux règles, OOR~je suis !RQraklRHlRtirréprQGRabill, QYost kl
problème? » Je donne un exemple: une personne tout à fait remarquable qui fait du Priva te
equity,7 c’est-à-dire des fonds financiers qui font des OPA,qui rachètent des entreprises qui
vont mal, qui les restructurent au pas de charge, en quelques années et qui les revendent
quelques années après, beaucoup plus cher, en disant: « Voilà, on a complètement changé le
management de l’entreprise, on a viré un quart du personnel, maintenant ça vaut beaucoup
plus cher. » On peut gagner ainsi des sommes absolument phénoménales. Voilà ce qui crée une
pression énorme au rendement, une pression absolument absurde qu’on exige des entreprises.
En effet, une entreprise qui n’aurait pas un rendement sur action de 15% par an est
susceptible de faire l’objet de ce genre de restructuration massive. Ce que les fonds de private
equity (appelés encore fonds de LBO : Leverage-Buying-Out) font subir aux entreprises est
parfois très violent et doubureux pour l’entreprise. Un rendement de 15% par an exigé d’une
entreprise, c’est de la folie. Comment voulez-vous que, dans une économie qui croît au
maximum de 1, 2 ou 3 % par an, une entreprise puisse durablement croître de 15%? C’est
absolument impossible dans la durée. On oblige ainsi les entreprises à renoncer à tout
investissement à long terme, car les investissements à long terme ne rapportent jamais 15%
par an la première année! En particulier tous les investissements énergétiques dont nous
avons besoin pour faire face au pic du pétrole dont je vous ai parlé, tous les investissements
climatiques dont nous avons besoin pour faire face à la question de l’environnement, sont
rendus impossibles par le diktat de 15% de rendement sur action. Alors, prenons ce monsieur
qui a la quarantaine: sa femme et lui sont très engagés pastoralement dans leur diocèse, ils
contribuent même à la formation des agents pastoraux, ceux qui rendent des services
pastoraux dans le diocèse, c’est un chrétien qui fait de la théobgie, il s’est formé à l’institut
catholique. Bref, il a tous les tampons du « bon catho» français financier. Puis il lit dans
l’encyclique Caritas in Veritate : la question éthique doit traverser toute la vie économique. Il se
demande s’il est vraiment fidèle à cela dans son métier. Il va faire une retraite en Corse (parce
que, à son niveau salaire une retraite, ça se fait en Corse) et son accompagnateur lui dit:
« Non, non, vraiment, vous avez tort de vous poser des questions, c’est inutile. Votre mission de
baptisé se passe le samedi et le dimanche à travers la sanctification de votre famille, avec votre
femme et vos enfants. A la messe. Et puis, parce que vous êtes un bon père de famille, vous
emmenez vos enfants à Disneyland Ce qui se passe entre le lundi et le vendredi, c’est la croix
que vous avez à porter. » Abrs, fort heureusement, cela ne lui a pas suffi et il a demandé à me
rencontrer ainsi que la religieuse de l’Assomption, soeur Cécile Renouard, avec qui j’ai coédité le
livre sur les vingt propositions. Nous avons déjeuné avec lui, nous avons discuté, et
évidemment, nous ne lui avons pas tenu exactement le même discours que son
accompagnateur en Corse …
C’est absolument fondamental pour nous, chrétiens: la morale individuelle n’est pas
suffisante aujourd’hui pour faire face aux problèmes que nous affrontons. Ce n’est plus un
problème de morale individuelle où il suffirait de se dire: je ne puise pas dans la caisse, j’obéis
aux règles, je fais consciencieusement mon travail, je vais à la paroisse le samedi soir et je verse
une aumône à la messe le dimanche. Cela ne suffit plus, ce n’est même pas là qu’est le
problème. Pourquoi? Parce que toutes les dérives que j’ai décrites tout à l’heure sont
absolument légales, la titrisation est légale, les CDS, c’est complètement légal, tout cela est
absolument légaLD’ailleurs, la Maison Blanche a essayé l’an dernier de faire intenter un procès
à Goldman Sachs à cause de ses manipulations extrêmement perverses, dont je vous ai parlé, le
coup de « pile-je gagne, face-tu perds ». La SEC,. le gendarme du marché financier américain, a
été bien embêtée pour réussir à faire ce procès car Goldman Sachs a dit: « Regardez, tout cela
Littéralement: capital-privé, ainsi désigné parce qu’il concerne essentiellement des entreprises non
cotées en bourse, qui dont l’objet de rachats et de reventes de la part de ces fonds spécialisés.
L’autorité de régulation du marché financier américain (SEC pour Security and Exchange
Commission).
23 2
est complètement légal pourquoi me cherchez-vous oes poux dans la tête?» Finalement
Goldrnan Sachs a été condamné à quelques 500 pauvres petits millions oe oollars, ce qui
représente quinze jours oe travail oe la banque. D’une certaine manière, c’était finalement un
blanc seing accordé par la justice aux activités commerciales oe Goldrnan Sachs. Toute
l’industrie bancaire l’a interprété comme suit: on peut y aller puisque même GoldrnanSachs
n’est pas condamné, enfin, est condamné à presque rien. Ce n’est donc plus la morale
individuelle qui est en cause aujourd’hui, c’est une question d’éthique collective.
Voilà ce qui est en jeu aujourd’hui: nous ressaisir collectivement, pour comprendre
que ce qui est en danger aujourd’hui c’est la confiance radicale que nous nous accoroons les
uns aux autres, pour que nous puissions envisager l’avenir. Prendre l’avenir en mains pour le
construire ensemble. C’est le problème oes Hébreux au désert. Le problème des Hébreux qui
construisent le veau d’or n’est pas du tout la même question que celle de David et Bethsabée.
Vous vous rappelez, dans le second livre de Samuel (2 Sm 11) : David est le roi tout-puissant,
tellement puissant que, quand il voit la belle Bethsabée, qui est la femme d’Urie le Hittite, il se
dit: j’ai bien envie d’aller coucher avec Bethsabée. Alors il envoie Urie au front, Urie se fait
tuer, David couche avec Bethsabée. Là, c’est le problème oe la morale individuelle de David,qui
est grisé par le pouvoir. Certes, il y a effectivement un certain nombre de patrons de grandes
entreprises, de managers de banques, de cadres supérieurs qui vivent ce que vit David,
malheureusement. OK.Evidemment, il faut leur parler, il faut leur expliquer que Bethsabée ne
leur appartient pas, que c’est la femme d’Urie. Mais je crois que le problème auquel nous
devons faire face va bien au-delà de cette question de la morale individuelle. C’est vraiment le
problème collectifdu peuple d’Israël qui est en train de se construire et qui doit apprendre à se
construire en traversant le désert. Non pas en se faisant des veaux d’or mais en essayant
d’avancer vers la Terre Promise. Voyez,ce n’est pas du tout la même chose, c’est une question
d’éthique collective.Il ne s’agit plus seulement d’obéir aux règles: il faut changer les règles.
Cette éthique collective a une dimension politique. Je dirais aujourd’hui: c’est notre
responsabilité de chrétiens d’accepter oe nous réengager en politique, de reoonner sa vraie
grandeur à l’engagement politique aujourd’hui. Je crois que nous, chrétiens, avons une
tradition qui nous y invite, y compris avec la doctrine sociale de l’Eglise,surtout avec la ooctrine
sociale oe l’Eglise. Lisez les grands textes, non seulement comme Caritas in veritate, mais
comme Quadragesimo anno, une encyclique des années 3D, 40 ans après Rerum Novarum,
comme Octogesima adveniens, comme PopuJorum progressio, qui mettent en avant la
dimension politique en disant: évidemment, la politique est le lieu de tous les risques, des
dérives totalitaires, mais justement pour cela il ne faut pas la laisser entre les mains de certains
petits politiciens qui sont là uniquement pour pousser leur carrière. Je ne dis pas que c’est le
cas des politiciens actuellement au pouvoir en France, ce n’est pas ce que je veux dire, mais en
tant que chrétiens, nous avons à comprendre, à mon avis, que notre avenir est dans la
revalorisation de la construction politique de l’Europe aujourd’hui.
Si nous ne faisons rien, nous risquons de prendre oe plein fouet une crise énergétique
majeure, le jour où le pétrole va exploser. Cela risque de provoquer une souffrance sociale
terrible de la part des catégories défavorisées, qui seront piégées, parce qu’elles ne pourront
plus se payer leur voiture, et parce que nous n’aurons pas pris les moyens de revaloriser les
moyens de transports publics, parce que nous n’aurons pas pris les moyens oe réindustrialiser
l’Europe. Cela veut dire que nous serons complètement dépendants d’importations devenues
très chères, et que nous serons complètement dépendants oe la puissance financière
phénoménale qu’est en train d’accumuler la Chine aujourd’hui grâce à ses excédents
commerciaux. La Chine, grâce à ses excédents commerciaux, est en effet assise sur 2000
milliards de dollars, avec lesquels en gros elle peut faire son shopping en Europe, elle peut
racheter les entreprises qu’elle veut: la moitié du port d’Athènes est aujourd’hui chinoise; une
part substantielle d’UBS en Suisse appartient à un fond singapourien … Ce rachat des
entreprises du capitalisme occidental par la Chine avait déjà commencé avant la crise en 2007.
IlYa eu un bras de fer juridique qui s’est engagé aux Etats-Unis et en Europe pour essayer de
freiner l’appétit chinois, parce que nous n’avons pas envie que les grandes entreprises
occidentales soient rachetées par les Chinois. Aujourd’hui, nous sommes dans une position
24 2
beaucoup plus faible, beaucoup plus fragile pour résister à ce phénomène qu’en 2007.
Pourquoi? parce Que nos Etats sont à genoux ils n’ont plus d’argent nos entrepriseS et nos
banques sont très fragilisées. Cela laisse une avenue pour que la Chine puisse faire son
shopping. Vous avez vu que la Chine est intervenue pour soutenir le Portugal l’Espagne, la
Grèce. En un sens on pourrait dire que c’est heureux, tant mieux. Mais évidemment le soutien
de la Chine à ces pays-là est un soutien conditionneL Vous savez qu’aujourd’hui elle tient un
certain nombre de pays d’Europe entre ses mains et que si nous voubns continuer à bénéficier
des largesses de la Chine, il faudra faire ce que la Chine voudra. Même chose pour les Etats-Unis,
qui ne se trouvent pas dans une situation plus brillante que nous.
Ne pas déserter le politique
Je crois donc aujourd’hui que notre responsabilité de chrétiens est de revabriser la
dimension spirituelle forte de l’engagement politique. Finalement les fondateurs de l’Europe
étaient des chrétiens qui croyaient à la profondeur de l’engagement politique. Il ne s’agit pas de
remettre en avant une politique « chrétienne» qui confondrait César et Dieu. Bien sûr, il s’agit
toujours de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, mais de s’engager
vaillamment, honnêtement, avec tout ce que nous sommes comme chrétiens, dans ce qui peut
aller vers plus de justice, de vérité, du point de vue politique, et ne pas déserter. Je vois par
exemple des manifestations comme « la politique, une bonne nouvelle» animées par des
jésuites qui rassemblent chaque année des jeunes qui ont envie de s’engager, de redécouvrir du
goût pour la politique. C’est heureux parce qu’on entend quand même dans la jeune génération
une espèce de désaffection à l’égard de la politique avec des propos tels que: « Tous ces
politiciens sont pourris, pourquoi est-ce qu’on leur ferait confiance? Faisons autre chose».
Céder à cela, c’est offrir des boulevards à des solutions extrêmes dont nous savons à quoi elles
mènent en regardant ce qui s’est passé dans les années 30. C’est important, pour nous, comme
chrétiens, de nous engager et d’inviter la jeune génération à croire que la solution passera par
le politique.
Allons un tout petit peu plus bin … Albns à une parabole de l’évangile de Luc, la belle
parabole concernant l’intendant malhonnête (Lc 16, 1-13) : un intendant a gaspillé les biens de
son maître, il sait qu’il va se faire virer et il se dit: « Mon Dieu, si un jour je perds ma place
comment vais-je faire pour vivre? Je n’ai pas envie de mendier, travailler, finalement je ne sais
pas très bien faire … » Abrs il va voir les débiteurs de son maître et il leur remet la moitié de
leurs dettes. C’est Jésus qui raconte cette parabole, et il a un commentaire absolument
surprenant, ou plutôt le narrateur: Luc fait dire à Jésus: « le Maître, Jésus, loua l’intendant
astucieux, malhonnête (suivant les traductions) d’avoir agi avec astuce car les enfants de
lumière devraient être aussi rusés que les enfants des ténèbres ». Cette parabole certainement
vous a intrigués comme elle continue à m’intriguer aujourd’hui. Qu’est-ce que cela veut dire
pour nous? Je crois qu’il y a un élément central dans ce que le narrateur fait dire à l’intendant
malhonnête. Il lui fait penser à voix haute: Je vais remettre les dettes de mon maître pour avoir
des amis avec qui je garderai contact le jour où je perdrai ma place. Autrement dit, voici ce qui
est fondamental: la relation d’amitié qu’il peut avoir avec les débiteurs de son maître est
première par rapport au respect des dettes vis-à-vis de son maître. C’est l’amitié qui compte.
Première petite pépite.
Deuxième pépite: une autre parabole que vous connaissez certainement aussi, celle
des ouvriers de la 11′ heure (Mt 20, 1-16). Vous vous souvenez: un maître vient recruter des
gens au petit matin sur la place du village, il les embauche; et puis il revient plus tard dans la
matinée, il embauche et puis les ouvriers de la dernière heure, il les embauche aussi, alors qu’ils
auront travaillé beaucoup moins que les premiers. Et il les paye autant que les premiers. Alors
évidemment, les premiers vont voir leurs syndicats, font des manifs, ils portent des drapeaux et
ils disent: « Ce n’est pas juste, nos grilles salariales, nos conventions, on est payé la même
chose que les autres, c’est absolument injuste ». Et, il Y a un point très important, le maître
répond à l’un d’entre eux: « Mon ami – mon ami – pourquoi me regardes-tu avec un oeil
mauvais parce que, moi, je suis bon?» Alors bien sûr il y a la question de la justice, de la
rémunération du travaiL Mais ce sur quoi je voudrais insister ici, c’est sur le « mon ami », sur
lequel on passe quelquefois en glissant sans y accorder trop d’importance. Cela veut dire que
25 2
pour le maître, la relation d’amitié qu’il entretient avec les hommes qu’il embauche est
première par rapport aux questions de grilles salariales. Cela ne veut pas dire que les grilles
salariales et la justesse des rémunérations ne sont pas importantes, elles sont fondamentales,
mais elles sont secondes par rapport à quelque chose d’autre, qui est la relation d’amitié. Le
vocabulaire de l’amitié est le vocabulaire de la confiance radicale dont nous avons besoin pour
travailler ensemble. A partir du moment où mon collègue de travail n’est pas potentiellement
un ami, quelqu’un avec qui je puisse vivre une relation humaine, forte, riche, qui va me faire
grandir spirituellement, à partir du moment où il devient un ennemi, quelqu’un qui prend ma
place, ou quelqu’un qui peut faire diminuer le rendement et le profit de l’entreprise, la vie
sociale n’est plus possible.
L’amitié est première et peut légitimer la remise des dettes. Ce que je traduis
aujourd’huÎ : la force du lien social est première par rapport aux dettes. Et s’il est besoin de
remettre un certain nombre de dettes pour préserver le lien social en Europe, il faut Je faire.
Nous, comme chrétiens, aujourd’hui, nous devrions encourager les politiques à faire pression
sur nos banques qui détiennent des créances sur les pays périphériques -Irlande, Espagne,
Portugal Grèce- pour qu’elles acceptent de remettre une partie de ces créances, qu’elles
acceptent un rééchelonnement des dettes avant que ces pays ne fassent faillite. Si on croit que
nos banques vont très bien et qu’elles ont très bien fait leur boulot, on dira que ce n’est pas
juste, qu’elles sont pénalisées alors qu’elles ont très bien travaillé… Mais on a compris qu’en
réalité elles manipulent leurs comptes depuis 2009, qu’elles ne vont pas si bien que cela
(puisqu’elles détiennent toujours les créances douteuses qui se sont effondrées depuis 2008),
tandis qu’une partie de l’argent qu’elles gagnent l’est grâce à des petits jeux du style:« face, je
gagne; pile, tu perds })qui détruisent toute relation de confiance envers le système bancaire.
Entre éviter la faillite à un Etat et demander à une banque de faire des efforts il ne devrait pas y
avoir d’hésitation, et la qualité du lien social qui nous unit prime par rapport à la rigueur des
dettes. Alors je crois que c’est ce qu’il faut faire. Non pas au sens d’un laxisme, une espèce de
piété bienveillante où «tout le monde s’aime “, mais parce que dans l’Evangile même, il nous
est indiqué que la qualité de la relation, dans le vocabulaire de l’amitié entre Dieu et leshommes
et entre les hommes entre eux, prime sur la rigueur des calculsque nous pouvons faire sur nos
dettes. C’est le lien social qui est en danger, il faut donc renoncer en partie aux dettes. (En
termes techniques, pour les connaisseurs, cela reviendrait, par exemple, à imposer à nos
banques, françaises, allemandes, britanniques, qu’elles concluent des debt-equity swaps avec les
banques surendettées des pays européens périphériques.) C’est ce que fait l’intendant
malhonnête. Si la qualité du lien social est en danger, il faut renoncer à payer chacun au
prorata de ce qu’il a fait, et se montrer plus généreux vis-à-vis des plus pauvres. C’est ce que
fait le maître de la parabole des ouvriers de la dernière heure.
Je ne fais pas du tout un plaidoyer pour qu’on fasse tout et n’importe quoi en économie
– pas du tout. MaisBenoît XVIdans Caritas in veritate insiste sur la confiance comme condition
indispensable pour le lien social et je crois que, comme chrétiens, nous avons à le mettre en
oeuvre. Cela passe par l’homme politique, cela passe par un certain nombre de décisions
éventuellement douloureuses pour les systèmes bancaires – le système bancaire n’est pas du
tout aussi blanc qu’il le prétend – pour sauver le lien social En effet, lorsque le lien social est
fracturé d’une manière profonde, on sait ce qui se passe: une marionnette arrive au pouvoir,
qui promet monts et merveilles et qui met en place un régime totalitaire. On sait que c’est
possible, on l’a vécu dans les années 30. Onvoit aujourd’hui en Europe des poussées d’extrême
droite extrêmement forte: en France mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en
Belgique, c’est très impressionnant. Comme chrétiens au nom de l’évangile, nous avons à
avancer dans cette direction-là, en mettant l’accent sur la dimension collective et non plus
seulement sur la stricte morale individuelle dans laquelle quelquefois comme chrétiens nous
nous laissons piéger, et dont nous nous satisfaisons trop rapidement.
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26 2
Ce texte est la version transcrite à partir d’un enregistrement et en garde le
eal’aetèl’e 8l’aL Celte iRtelVeRlioR Re peut pas être UtiliSOllllRpublic
Comité catholique des X Journée du 30 janvier 2011
CONFERENCE DE GAËL GIRAUD SI
« LA CRISE F1NANCIERE »
Résumé des questions. extraits de réponses
En accord avec le conférencier. nous aborderons les questions en cinq thèmes:
1. Qui sont les coupables de la crise?
2. Solutions adaptées pour résoudre la crise.
3. Quelle est notre réaction de chrétiens?
4. Questions relatives à l’encyclique Caritas in Veritate
5. L:avenir,en particulier l’avenir de la France
1″ eroupe de questions, de réactions
Vous avez brillamment exposé la crise économique et nous vous en remercions. A propos
du titre de votre livre, s’agit-il de réformer le capitalisme ou de l’appliquer correctement, faisant
allusion à un article de notre camarade Jean Peyrelevade (X58) dans le Figaro?
On a aimé vos images: le chirurgien, les taches solaires, les paraboles etc … En ce qui
concerne ces dernières, est-ce améliorer le lien social que de se faire, avec de l’argent qui ne nous
appartient pas, des amis de manière intéressée? Et la parabole des talents ?
On a aimé l’image des taches solaires: mais vous-même par vos exposés ne créez-vous
pas une tache solaire, et de la même façon, tout homme politique ne crée-t’-il pas une tache
solaire?
A propos de la recherche de coupables: les banquiers et leur cupidité, les gouvernants, les
riches et les moins riches, les grands patrons, les financiers (nationaux et internationaux) … Les
causes ne sont-elles pas dans les comportements plutôt que dans les personnes: politique
constante de facilité monétaire, l’endettement, les prêts, le laisser aller dans les produits à haut
risque … Responsabilité politique des organismes de contrôle, des Etats, cupidité dans le monde
financier. Impossibilité de mettre en place des contrôles efficaces de ces marchés.
Enfin, une question personnelle: quel est votre chemin des mathématiques à la finance
puis à la Compagnie de Jésus?
Réponse: En ce qui concerne le capitalisme: il n’y a pas une seule forme oe capitalisme,
mais plusieurs: le capitalisme rhénan (de l~llemagne et de la Suisse) n’est pas celui de la Grande
Bretagne et des Etats-Unis, ou celui de la Suède. Nous avons connu durant les trente glorieuses un
capitalisme dirigiste, protectionniste, avec un Etat providence fort, ce n’est pas le capitalisme que
nous vivons aujourd’hui. J’aurais plutôt tendance à déplacer la question: Quelle forme de
capitalisme voulons-nous construire en France? Est-ce cette espèce très particulière de
capitalisme actionnarial que nous vivons depuis 25 ans ou est’-ce autre chose? Le livre voudrait
engager un débat sur des propositions concrètes, sur des réformes précises.
Sur la question de la recherche des coupables. Je ne suis pas sûr qu’il faille se lancer
dans une chasse aux sorcières. Car je le maintiens: du point de vue du droit positif d’aujourd’hui,
toutes les actions que j’ai décrites tout à l’heure sont légales. Je ne parle pas oe Madoff ou Kerviel :
ces personnes-là comparaissent en justice. Mais ce que j’ai décrit, la titrisation etc., tout cela est
tout à fait légaLDonc, il faut changer la loi.Apartir du moment où les règles du jeu permettent des
comportements qui ne sont pas acceptables, il faut changer les règles du jeu. Mais il ne s’agit pas
de convaincre un tribunal que ces personnes-là auraient fraudé car il<;ont profité d’un vide
27 2
juridique, à mon sens. Après, si on cherche au sens éthique et moral au sens d’une éthigue
collective, quelles sont les responsabilités, je dirai que nous les partageons tous, parce que nous
sommes tous plus ou moins directement complices, me semble-I’-iL de cette grande démission de
notre société à l’égard des marchés financiers. Finalement nous nous sommes remis à eux dans
l’espoir, à mon sens complètement illusoire, qu’ils allaient par eux-mêmes s’autoréguler et régler
la totalité de nos problèmes. Je prends juste un exemple dans l’affaire Sirven, dans le procès Elf:
l’une des personnes très haut placées impliquées dans cette affaire était accompagnée par un
jésuite et au moment du procès, elle va le voir et lui dit: « Mon Père, j’ai la conscience tranquille:
je savais que cela se passait dans le bureau à droite mais dans le mien, il ne s’est jamais rien passé.
Et je n’ai jamais écouté ce qui se passait ni à gauche ni à droite. Donc moi, j’ai les mains propres,
je ne me sens pas concerné par ce problème. » Evidemment, il s’est fait un peu gourmander par
son accompagnateur qui lui a dit que cela ne suffit pas de garder les mains propres. « Vous êtes
complices passivement de ce qui s’est passé au sommet à l’époque – donc ce n’est acceptable. » Et
c’est valable pour nous tous. Nous sommes tous plus ou moins responsables dans cette affaire. Il
faut une prise de conscience collective du fait que nous ne pouvons plus nous en remettre aux
marchés financiers, qu’il faut les règlementer et redonner toute sa place aux politiques,
évidemment sous contrôle démocratique.
La question des rétributions: c’est un immense sujet. C’est sûr qu’on exagère
complètement dans la rétribution des managers des grandes entreprises. Le patron de Porsche, un
Autrichien, en 2007, a gagné 23.000 € par jour de travail A la fin de l’année, interrogé là-dessus, il
a dit aux journalistes autrichiens: « Quand on travaille aussi bien que moi, c’est normal! »… Et
l’année suivante, Porsche faisait faillite. Autre exemple : le pdg du Crédit Suisse a empoché, en
2009, un bonus annuel de 100 millions de Francs suisse — soit, à peu près, 60 millions d’euros! Il
ya des exagérations incroyables, au niveau du bonus des traders mais aussi au niveau des salaires.
C’est un phénomène nouveau dans nos sociétés: le creusement des inégalités ne se fait plus par
exemple entre les salariés d’un côté et ceux qui bénéficient de rendements financiers de l’autre,
mais à l’intérieur même du salariat: il y a une toute petite frange de gens qui ont des salaires
exorbitants, par rapport au reste des classes moyennes. Je suis tout à fait partisan d’une limitation
des revenus via l’outil fiscal Ma difficulté, en tant qu’économiste, est de trouver un seuil pour
brider les rémunérations. A partir de quand décidons-nous que c’est trop? Et là, je ne sais pas
comment justifier une réponse (je dis les chiffres au hasard) : 200.000 € par an, pourquoi pas
190.000 ou 210.000? … C’est très compliqué et cela relève davantage, je crois, d’un débat
démocratique que d’une expertise d’économiste. Je ne vois pas d’argument théorique qui
légitimerait le montant x, plutôt que x+epsibn ou x-epsilon … Je rappelle juste à ce sujet que
l’instrument fiscal est quand même J’instrument idéal pour essayer de règlementer cette affaire-là.
Je vous donne juste un exemple: Franklin Roosevelt, lorsqu’il était président des Etats-Unis, dans
les années 30, en pleine crise économique, décide de monter le taux d’imposition de la plus haute
tranche à 90%. Le marasme est tel que personne n’ose protester et ça passe. Et le taux est resté à
90% pendant quarante ans. Ce n’est que dans les années 70 qu’on a commencé à le baisser et c’est
Reagan qui l’a fait baisser de manière massive, en estimant que c’était du vol Alors aujourd’hui, on
a un débat public, certains voudraient qu’au-delà de 50%, cela soit du voL je n’en suis pas
convaincu. L’instrument fiscal est aussi un moyen de tempérer la gourmandise incroyable de ceux
qui sont aux commandes des grandes entreprises.
La réforme, la règlementation des marchés financiers est-elle possible? Je réponds
« oui » sinon honnêtement, je ne serais pas ici. Je crois que c’est tout à fait faisable. Nous pouvons
reconstruire intelligemment ce que nous avons déconstruit. Tous les polytechniciens qu’on envoie
à Londres faire des calculs pour créer des nouveaux produits financiers pourraient être empbyés
bien plus intelligemment à construire des règles pour règlementer les marchés financiers. Et c’est
ce qu’essaye de faire aujourd’hui J’Autorité des Marchés Financiers (J’AMF). D’ailleurs, je termine
ma petite histoire à propos de l’Inspection Générale des Finances (IGF). Vous vous rappelez que
Bercy a confié à l’IGF la tâche de faire des propositions de règlementation des marchés financiers.
Et honnêtement, l’IGF a répondu ne pas avoir les compétences. Abrs Bercy s’est retourné vers
28 2
I1.MF, qui est un repaire de polytechniciens. Edouard Vieillefond (X90), un ancien de votre Ecole,y
fuit lR e-ès, très gQR gQujgt – QRbRt qUQ !>l’lmérg 2 – jQàR-Pierre /o”Olet, le Présioent oe J’AME est
lui un politique. Tous les oeux se sont saisi avec beaucoup de volontarisme, d’audace et de courage
de cette question pour que l’AMFpuisse faire des propositions intelligentes de règlementation des
marchés financiers. Je les ai fait moi-même intervenir dans un club parlementaire que j’anime
avec Cécile Renouard et Grégoire de Laroncière, où nous réunissons oes députés et des sénateurs
français, tous partis confondus, pour leur faire une sorte de formation continue en économie et en
finance. Car selon notre diagnostic, certains de nos élus politiques ne connaissent absolument rien
à la finance, ce qui est normal en un sens. Donc, on les invite dans un restaurant et pendant qu’ils
mangent, au lieu de faire la lecture recto tono du martyrologe comme dans un monastère, on leur
fait oes conférences d’économie et de finance. Nous avons invité Jean-Pierre Jouillet et Edouard
Vieillefond, l’un après l’autre, pour leur parler et leur expliquer ce qu’ils faisaient. L1.MF
aujourd’hui recrute à tour de bras des ingénieurs – notamment des X-,qui actuellement travaillent
sur les marchés privés, pour qu’ils viennent travailler du côté de ceux qui font la règlementation,
qu’ils les aident à concevoir des règles applicables. Et je crois que c’est tout à fait faisable. On a la
matière grise qu’il faut. C’est l’impulsion politique qui manque. Heureusement on l’a actuellement
en France, mais elle fait cruellement défaut en Angleterre, aux Etats-Unis et en Allemagne, pour des
tas de raisons. Pour la Grande-Bretagne la raison est malheureusement assez simple: elle est dans
un tel état de désindustrialisation que si, aujourd’hui, on fermait la City à Londres, la Grande-
Bretagne s’effondrerait économiquement et retournerait à l’état où elle se trouvait dans les années
70, avant l’explosion de la City, époque à laquelle l’Angleterre a fait appel au FMI pour survivre.
Alors vous comprenez que les banquiers tiennent dans leurs mains le gouvernement britannique,
qu’il soit de droite ou de gauche. Ils disent: « Vous voulez nous tuer, fort bien, mais vous mourrez
avec nous ». Les politiques britanniques n’osent donc pas vraiment mettre en oeuvre des
règlementations sérieuses sur le marché financier. Heureusement, en France, on n’en est pas là,
certains font un travail absolument magnifique, comme Nicolas Vieillefond Je reste donc très
optimiste sur la question, nonobstant le fait qu’il y a quand même un lobby bancaire très, très
puissant qui essaye de contrecarrer ce travail
Le jugement des comportements et non des personnes: c’est évident qu’il ne s’agit
pas d’accabler les personnes. C’est à mon avis un problème institutionnel de vide juridique, ce sont
les règles du jeu qu’il faut changer: si les règles changent, les comportements des personnes
changeront, à mon sens.
La question de la liquidité: c’est une excellente question! Là, je prends la casquette de
l’économiste, c’est l’un des problèmes majeurs depuis une trentaine d’années. Les banques
centrales du monde entier ne savent pas faire autre chose en cas de crise – en dépit de ce qu’elles
disent – que d’injecter de la liquidité dans l’économie. Dès que vous avez un assèchement des
marchés, on injecte de la liquidité et évidemment sur le moment, c’est ce qu’il faut faire. Depuis
2008, on a injecté en Europe 4 500 milliards d’€, ce qui est énorme, et je ne vois pas comment on
aurait pu faire autrement. Si on ne le fait pas, on reproduit les erreurs des banques centrales
pendant les années 30 : elles ont refusé d’injecter de la liquidité, et ça a aggravé la crise. On en a
tiré la leçon: les banques centrales aujourd’hui injectent énormément de liquidité. Mais à ce
moment-Ià, elles fonctionnent comme des pompiers pyromanes; elles éteignent le premier
incendie avec de l’huile (avec de la liquidité), qui va initier et entretenir l’incendie suivant. En effet,
ces liquidités qu’on injecte aujourd’hui pour éviter la crise vont servir à alimenter la prochaine
bulle qui sera provoquée par la prochaine tache solaire. Actuellement, vous avez une bulle
spéculative qui monte, une tache solaire sur les matières premières (le riz, le pétrole, le soja, etc.).
Elle est alimentée par les énormes quantités de liquidités qu’on a injectées depuis des années. En
effet, cet argent, une fois introduit dans l’économie, ne peut plus disparaître, sauf si les banques
centrales se décidaient à le rapatrier et à le détruire. Elles ne le font quasiment jamais,
malheureusement. Une fois que vous l’avez injecté, il circule, il faut bien qu’il trouve des
placements. Quels sont les placements les plus intéressants aujourd’hui? Ce sont les marchés
financiers parce que ça rapporte 15% par an, si vous les placez bien, alors que j’économie réelle
29 2
rapporte très peu. C’est la raison pour laquelle en dépit oe l’énorme croissance oe la liquidité sur la
planète, nous n’avons pas eu jusqu’à présent l’extraordinaire inflation domestique que nous
aurions dû avoir. Il y a un dilemme pour les économistes: beaucoup d’économistes croient que le
niveau oes prix est dicté par la quantité oe monnaie en circulation: multiplier par oeux la monnaie
multiplie par deux tous les prix. Cette théorie est fausse mais disons qu’on a injecté tellement de
liquidités depuis
d’ailleurs encouragé les banques centrales à continuer. Il n’y a pas d’inflation domestique à cause
de la bulle spéculative: les énormes quantités oe liquidités qu’on a injectées dans l’économie se
sont dirigées vers le marché financier et ont alimenté les taches solaires. D’où les crises à
répétition sur les marchés financiers. Cela devient un débat de spécialistes, une des grandes
questions théoriques actuelles et j’y travaille en ce moment: comment proposer un modèle
d’économie monétaire qui permette aux banques centrales d’avoir une alternative, au lieu de
jouer les pompiers pyromanes? Pour le moment on n’a pas de modèle alternatif. Les banques
centrales en périooe oe crise injectent donc toujours plus oe monnaie … mais cela crée la prochaine
bulle,encore plus grosse, car cela augmente la monnaie en circulation. Pour vous donner une idée,
la base monétaire (c’est-à-dire la quantité, Mo, de monnaie créée par les banques centrales)
augmente de 15% par an sur la totalité oe la planète oepuis l’an 2000 et elle augmente de 30% par
an depuis 2008. Ce qui est phénoménal! C’est un vrai problème à la fois politique et théorique.
2éme Groupe de Ouestions : les solutions adaptées pour résoudre la crise
Comment agir pour que le profit ne soit pas l’unique moteur oe toute action dans notre
société? Quid oes pays pauvres? Quid oe l’étalon or?
Parlez-nous oe la proposition 19 oe votre livre: la banque centrale européenne.
Si vous dites que les banques vont maL comment pourraient-elles abandonner leurs
créances aux pays en difficulté?
Pourquoi êtes-vous opposé à la faillite oes Etats? Cela n’a pas été mauvais pour
l’Argentine,par exemple.
Comment concilier maintien de laconsommation et réduction du déficit de la France?
Réponse: A propos du profit comme unique moteur. Je dirais: ce qui est déterminant,
c’est la manière dont on définit une entreprise, notamment le rôle oe l’action d’une entreprise
cotée. Une entreprise pourrait émettre oes actions telles que, lorsque j’achète cette action, je
m’engage à ne pas la revendre avant dix ans. Aujourd’hui, la durée oe vie d’une action dans les
mains de son actionnaire est oe 30 secondes, elle est immédiatement revendue. Evidemment, les
personnes qui garoent 30 seconoes une action dans leur portefeuille ne l’ont pas parce qu’ils
croient dans l’entreprise et qu’ils veulent investir dans l’entreprise. C’est essentiellement à but
spéculatif. Obliger les actionnaires à garoer j’action, c’est les obliger à entrer dans le temps long de
l’entreprise et à investir dans une entreprise à laquelle ils croient. C’est très juste et très
prometteur. Il ya un bémol sur cette proposition concrète: supposons que je sois un investisseur
et qu’en achetant des actions, je m’engage à ne pas les revendre pendant dix ans; si j’ai un besoin
urgent de liquidités au bout oe quatre ans, je suis bien embêté avec ces actions. Je pense qu’il faut
être un peu plus souple et exiger: j’achète une action, et si dans les dix années qui viennent je la
revends, je m’engage à reverser toute plus-value éventuelle à l’entreprise. Je ne vais donc pas
revendre cette action pour des motifs spéculatifs. C’est une manière, à l’intérieur même du
système actionnarial anglo-saxon,oe réintroduire l’orientation oe l’épargne dans letemps bng. Il y
a bien d’autres façons de faire. Maisje trouve que celle-ciest assez suggestive.
Le débat croissance versus décroissance, c’est un énorme débat. 95% oes économistes
universitaires sont incapables de penser autrement qu’en terme de croissance. Toutes les théories
économiques sont actuellement construites sur l’hypothèse qu’il faut augmenter la croissance du
PIB… Certes, on discute sur l’indice: un PlB amélioré, un PlB qui tiendrait compte oe l’empreinte
écologique… mais en gros c’est toujours lamême idée. Or je ne suis pas un « croissantiste ». Si on
prend au sérieux les question énergétique et environnementale, dont j’ai malheureusement peu
30 3
parlé, on est obligé de reconnaître que la croissance n’est pas l’alpha et l’oméga de notre
prospérIté économique. Je Ile suis pas non plus « déu oissanti3te ». La 8écfeissaRce EtHe ReliS
allons probablement connaître mais d’une manière subie et non voulue – a pour effet principal
l’augmentation du chômage. Et dans la mesure où le travail salarié reste le lieu de socialisation
majeure dans nos sociétés, je ne vois pas comment on pourrait faire la promotion du chômage. Il
faut donc nous habituer à penser autrement que dans l’alternative croissance/décroissance, avec
d’autres critères d’évaluation de la prospérité d’une société. Je n’ai pas de solution toute faite, mais
j’y travaille … Une idée sur laquelle je travaille avec d’autres, est ce qu’on appelle les biens partagés.
C’est, par exemple, le Vélib’ à Paris. Ce sont des biens, produits par des sociétés privées, et mis à la
disposition des usagers. Je monopolise ce bien pendant quelques heures, je paie au prorata du
temps où j’ai utilisé ce bien et je le restitue à l’entreprise, en essayant de ne pas trop l’abîmer –
contrairement à 30% des Vélib’ parisiens qui sont cassés par leurs usagers. Cela suppose un
rapport à la propriété complètement différent: j’ai l’usage d’un bien pendant quelques heures
mais je n’en suis pas le propriétaire plénier au sens du droit romain … Je n’ai pas le droit de le
casser ni de le revendre. L’ascenseur dans une copropriété est aussi un bien partagé. La
copropriété a investi pour l’ascenseur et chaque copropriétaire paye en fonction de l’étage où il se
trouve. Le rez-de-chaussée ne paye rien, le dernier étage paye le plus parce qu’on suppose qu’il
utilisera plus souvent l’ascenseur que celui qui vit au rez-de-chaussée. Une économie avec des
biens partagés serait beaucoup moins dépendante de l’énergie, beaucoup plus propre, mais cela
suppose une transformation (on pourrait dire spirituelle) de notre rapport à la propriété. C’est
une piste alternative. Evidemment, le développement des biens partagés diminuerait le PlB, bien
sûr: avec un vélo par personne, le PlB est plus important que si quinze personnes se partagent le
même vélo. Mais en terme de prospérité économique, c’est beaucoup plus intéressant. Cela
suppose aussi de changer complètement notre regard Ce sont des questions vraiment
exploratoires aujourd’hui.
Les pays pauvres. Les situations sont différentes d’un pays à l’autre. Les pays émergents
s’en tirent très bien: le BrésiL l’lnde, la Chine, la Russie (du moins, une petite minorité de la
population russe …) Mais d’autres pays d’Amérique latine, plus petits, et surtout I~frique, sont en
grande difficulté. Si le pétrole se met à coûter très cher, ces pays vont énormément souffrir. Je n’ai
pas de solution. j’essaie déjà de comprendre ce qui se passe en France. Si on assiste à une rerégionalisation
de l’économie mondiale, des zones entières de la planète vont être entièrement
laissées pour compte. j’espère qu’ils auront eu le temps de se développer un peu pour ne pas
devenir des usines pour la Chine. C’est ce qui guette aujourd’hui l~frique. II y a un scénario
d’après leque~ les classes moyennes chinoises grandissant, elles vont peu à peu déléguer le travail
ingrat et sous-payé à des Africains, de la même manière que les Chinois travaillent, aujourd’hui,
pour nous. Mais c’est de l’économie fiction …
Cela dit, ce qui se passe en Tunisie est intéressant et porteur d’espoir pour nous. Le
président Ben Ali avait passé un accord implicite avec une génération de Tunisiens en disant: « Je
vous garantis le bien être économique et la croissance si vous renoncez à vos droits civiques ». De
fait, la Tunisie a connu une croissance importante (5% de croissance de PIB par an, depuis 2000),
même si cela n’a pas profité à tout le monde. Les événements de Tunisie montrent qu’il n’est pas
possible de troquer les droits civiques contre la croissance. Les ultra libéraux doivent l’entendre: la
démocratie n’est pas seconde par rapport au marché. Milton Friedman (le grand penseur du
monétarisme), Friedrich Hayek (le grand inspirateur de la révolution thatchérienne et
reaganienne) ont tous les deux conseillé le Général Pinochet au Chili, non pour qu’il démocratise
son pays, mais pour qu’il mette en place l’économie de marché en premier. Pinochet l’a fait,
conseillé par ces deux prix NobeLOr,au bout d’une génération, la population réclame ses droits. La
Tunisie le montre.
La question de l’étalon or. L’étalon or a été abandonné le 15 août 1971, à l’initiative
unilatérale des Etats-Unis, sous la présidence de Nixon. C’est selon moi une des sources des
problèmes que nous connaissons aujourd’hui. Nous sommes entrés dans un régime de taux de
change flottant, qui a engendré un risque de change considérable pour toutes les entreprises qui
31 3
faisaient du commerce international Et c’est ponr se protéger contre ce risque de change
(inexistant jusque-là) que les entreprises ont fait appel aux banques pour que celles-ci leur
proposent des actifs dérivés sur les taux de change. C’est de là que vient le développement
extraordinaire des actifs dérivés. Ces dérivés ont rapporté beaucoup d’argent aux banques, qui se
sont mises à faire des dérivés sur tout et n’importe quoi, même sur la météo.
Au début des années soixante-dix, les Etats Unis ont cassé les accords de Bretton Woods
pour empêcher que l’Europe de l’Ouest ne les rattrape sur le plan économique. Même si Nixon n’y
a pas pensé lui-même, certains économistes le voyaient bien. Et ils ont créé cette source
anxiogène majeure que sont les taux de change libres. C’est en tout cas une lecture possible. Les
Etats-Unis ont donc gagné la compétition avec une partie de l’Europe, mais à quel prix!
Faut-il retourner à l’étalon or? A mon avis cela n’aurait aucun sens. L’or ne joue plus du
tout le rôle qu’il jouait auparavant. Mais ce qui est vrai est que nous avons vraiment besoin de
transformer le système internationaL ce en quoi Nicolas Sarkozy a raison, même je ne suis pas sûr
qu’il ait les moyens d’imposer une véritable réforme du système monétaire, vu ce que la France
représente à l’heure actuelle au G20. La difficulté est la suivante: le dollar est la devise universelle,
il l’est tant que la Chine utilise des dollars pour libeller ses excédents commerciaux. La Chine a plus
de 2000 milliards de dollars d’excédents commerciaux. Si le dollar s’écroule, cette montagne
d’excédents s’écroule. Donc la Chine n’a pas intérêt à ce que le dollar s’effondre. C’est la raison pour
laquelle, depuis des années, la Chine rachète la dette publique américaine pour soutenir le dollar.
Or nous savons tous que les Américains sont encore beaucoup plus endettés que nous et qu’ils
sont incapables de rembourser leur dette publique. Les Américains continuent de vivre
aujourd’hui au-dessus de leurs moyens, émettent de la dette publique pour financer leur niveau de
vie, dette que les Chinois rachètent car ces derniers ont besoin de maintenir le dollar pour
sauvegarder la valeur des excédents commerciaux qu’ils engrangent. C’est un jeu où chacun se
tient par la barbichette et où le premier qui lâche a perdu.
Depuis 2008, Pékin a dit clairement que la Chine allait diversifier les devises dans
lesquelles sont libellés ses excédents commerciaux, de manière à rendre l’économie chinoise
moins dépendante du dollar. Cela sonne le glas de la prospérité américaine. C’est l’avant-dernier
acte de la fin de la suprématie économique américaine. L’euro devient maintenant pour la Chine
une devise alternative. La Chine intervient à présent pour soutenir la Grèce, le PortugaL parce
qu’elle n’a pas non plus intérêt à ce que l’Europe s’effondre. Nous sommes entrés à notre tour
dans le même petit jeu du « je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ». L’équilibre actuel est donc
très précaire, je n’ai aucune idée de la manière dont on va sortir de cette situation. Les Américains
sont les seuls à retirer des bénéfices considérables de la situation actuelle: ils continuent de vivre à
crédit, financés par l’essor industriel de la Chine. Ils sont donc les seuls à vouloir garder le dollar
comme devise universelle. Quelle alternative? Il y a la vieille idée de Keynes au sortir de la
deuxième guerre mondiale, et qui n’a pas été adoptée alors. Certains économistes la promeuvent
aujourd’hui: ce serait une réforme du FMI et l’émission d’une devise internationale par le FMI,les
DTS.’Une autre manière de formuler l’idée de Keynes: il s’agirait de gager ces DTSnon pas sur l’or
mais sur un panier de matières premières fondamentales, d’énergie (pétrole) notamment, de
manière à ancrer de nouveau la monnaie sur du réel Car depuis l’abandon de l’étalon or, la
monnaie n’est plus ancrée sur du réeL ce qui favorise une explosion des liquidités. Des pistes sont
à l’étude.
3ème et 4ème groupe de questions. La perspective chrétienne. L’encyclique.
Notre camarade Stoleru disait: « La taille du gâteau dépend de la façon dont on le coupe ». Y
a-t-il une vision juste en ce qui concerne les impôts sur le revenu ou sur le patrimoine?
Comment concilier compassion et raison dans le traitement social de la crise? Comment
9 DTS : droits de tirage spéciaux, en anglais SDR pour Special Drawing Rights. C’est l’instrument
monétaire international créé par le FMI.
32 3
revenir à un capitalisme industriel plutôt qu’à un capitalisme financier? Pour sortir de la crise, il
fatl&8it èeffi81lflef fies effuffi stlàs!Hlltie!s 8ttX diffél entes eatégol ies fie 18popttlation, comment le
faire sans décourager les acteurs économiques?
Quel peut-être l’engagement du chrétien contre le chômage? Pour entrer en politique,
quel est le niveau le plus important: le niveau français, le niveau européen?
En quoi le regard chrétien diffère-l;-i1du regard d’un athée de bonne volonté ou d’un fidèle
d’une autre religion? Acet égard, trouve-t-on les mêmes pratiques condamnables dans les finances
islamiques?
Le §54 de la dernière encyclique suggère de penser les relations en se référant aux
relations intra et extra-trinitaires. Pouvez-vous développer cette démarche? Pourquoi si peu de
références à la Trinité dans la doctrine sociale de l’Eglise?
I.:encyclique fail;-elle l’objet de rencontre dans l’aumônerie de l’Ecole? Et plus
généralement, l’aumônerie aborde-t-elle les thèmes relatifs à la responsabilité économique et
sociale des dirigeants ?
Le pape parle dans son encyclique d’une gouvernance mondiale. Est-ce réaliste? Il dit
aussi que nous sommes tous responsables de tous, qu’en pensez-vous?
Réponse. La justice sociale. Du point de vue des économistes, vous avez deux, voire trois
grandes écoles. Des gens comme Friedman et Hayek disent que le concept de justice sociale n’a
aucun sens. Il y a deux autres écoles: il y a les utilitaristes pour lesquels la justice consiste à
maximiser le bien être moyen de la population, quitte à en sacrifier quelques-uns; et il y a les
« Rawlsiens» (en référence à John Raw!s,un philosophe américain, qui a écrit un très beau livre
Théorie de la justice, en 1971) : la justice, selon eux, c’est maximiser le sort du plus défavorisé,
quitte à sacrifier un peu le sort des plus favorisés. Ce sont deux conceptions radicalement
différentes; l’instrument majeur pour les mettre en oeuvre est l’impôt. Notre système fiscal
aujourd’hui ne fonctionne pas bien, c’est sûr, sans entrer dans le débat de la révolution fiscale que
propose le Parti Socialiste. Notre système n’est plus distributif du haut vers le bas, il est même en
partie redistributif du bas vers le haut. Je ne peux pas entrer dans les détails. Or, vivre en France,
c’est profiter de l’Ecole publique, des hôpitaux publics etc. De même, quand les meilleurs éléments
partent faire leur thèse ou travailler aux Etats-Unis, ces derniers récupèrent des gens dont la
formation longue a été payée avec nos impôts.
Sur ce qui se passe à l’aumônerie de l’X. je ne suis pas vraiment au courant, il faut
interroger le Père Miguel Roland-Gosselin, qui est jésuite et aumônier de l’Ecole.
Quant à la gouvernance mondiale dont parle le pape, même si cela paraît utopique, je
crois que l’on en a vraiment besoin aujourd’hui. Cela suppose peut-être de réformer les
institutions déjà existantes (Banque mondiale, FMI, OCDE,OMC…). Pour le G20, je suis plus
sceptique car il n’a aucune légitimité démocratique: ce sont simplement des pays puissants qui
ont décidé de se mettre autour de la table de négociation. En réalité, pour le moment, le G20 est
d’ailleurs un G2, un lieu de négociation entre les Etats-Unis et la Chine, où les autres font presque
uniquement de la figuration. La gouvernance mondiale est indispensable aujourd’hui où les
marchés financiers traversent toutes les régions du globe, et il serait très insuffisant de mettre de
la réglementation seulement en Europe. Le problème majeur qui se pose alors est celui de la
souveraineté politique: le traité de Westphalie en Europe a formalisé le droit souverain des Etats.
Or aujourd’hui, les marchés financiers internationaux pulvérisent dans les faits la souveraineté des
Etats. Nous Européens, nous essayons d’apprendre cela à travers les délégations que nous avons
consenties auprès de la Commission européenne, mais cette dernière a peu de légitimité
démocratique. A titre personneL je suis donc partisan d’un renforcement de la légitimité
démocratique de la Commission européenne, de l’Union européenne.
La difficulté est que nous avons consenti des abanoons majeurs du droit de souveraineté:
70% du droit français est défini maintenant à Bruxelles, on a abandonné aussi notre pouvoir de
création monétaire à la BCE. On aurait dû y consentir à la condition que les détenteurs de ce
pouvoir, à Bruxelles, l’exercent de manière démocratique.
33 3
Tous responsables de tous, oui! Implicitement complices, mais donc aussi capables de
changer les choses.
Le CERASest en train de monter un site internet dédié à la doctrine sociale de l’Eglise. Je ne
suis pas sûr qu’il soit déjà accessible au grand public mais il va l’être dans les semaines qui
viennent. Vous pourrez y trouver la totalité du corpus de la doctrine sociale de l’Eglise, avec les
commentaires, un moteur de recherche qui vous permet de naviguer d’une encyclique à une autre
et, pour chaque concept qui est exprimé dans une encyclique, vous accéderez à des commentaires
par des théolJgiens, des sociologues, des politologues, des économistes … Cela peut devenir un des
lieux de référence pour vous, facilement accessible sur internet. (http://www.ceras-projet.com)
Qu’est-ce que je conseillerai au Pape? Hum! Je ne suis pas bien placé pour donner des
conseils au Pape. En revanche, la Conférence des évêques de France me fait intervenir
régulièrement, je rédige des notes pour la Conférence, des brouillons pour certaines de ses
interventions et bientôt je ferai le point avec eux sur la question économique. Je crois que c’est un
très beau lieu de discussion et de dialJgue. Les évêques sont convaincus que c’est important et
que l’Eglise a à intervenir. Evidemment, lorsque certaines autorités de l’Eglise (par exemple la
Conférence épiscopale de France) s’expriment sur ces questions, nous entendons quelquefois des
chrétiens dire: «Ce n’est pas le boulot de l’Eglise d’en parler ». Je suis surpris! En tant que
chrétien et jésuite, je ne suis pas d’accord Je pense que nous devons nous engager pour davantage
de justice sociale, c’est au moins aussi important que de s’exprimer sur la question de la sexualité,
surtout moi, qui suis religieux.
Sème jeu de questions: L’avenir. L’avenir de la France.
Les emplois industriels disparaissent, les Français veulent toujours plus … Comment
réindustrialiser la France? Qu’attendre du G20 ? Vous n’avez pas évoqué le nucléaire ni la question
de la population mondiale. Comment concilier cette dernière avec les économies d’énergie, la
culture biologique, le souci écologique? Réaction par rapport à l’islam? Quels lieux pour s’engager
aujourd’hui?
Réponse: L’avenir de la France. j’espère que la France va s’en tirer !.Sa démographie est
une force énorme. Elle a une autre force fondamentale qui est aujourd’hui une faiblesse, mais qui
sera une force à mon avis dans les années à venir: elle dépend beaucoup moins que l’Allemagne de
ses exportations à l’étranger. L’Allemagnedépend énormément aujourd’hui de ses exportations de
machines-outils, surtout après la chute du mur de Berlin, où l’Europe de l’Est avait une carence
énorme en machines-outils, ce qui explique l’extraordinaire croissance de l’Allemagne. Or ce pari
risque d’être perdu, à mon sens, en ce qui concerne le marché chinois: à la fois à cause du pic du
pétrole et parce que la Chine commence déjà à substituer sa production domestique à ses
importations. Donc cette moindre dépendance française par rapport aux exportations va se
révéler ensuite une force.
j’espère que nous pourrons nous mettre d’accord avec nos voisins européens,
essentiellement avec l’Allemagne, pour mettre en place un plan de ré-industrialisation verte,
coproduit en Europe et financé par la banque centrale européenne. Quelles doivent être les
grandes lignes de ce grand plan de ré-industrialisation? Il Ya la question des logements, il faut
absolument réhabiliter les logements en France pour faire des économies d’énergie. Vous savez
que Bouygues est bientôt prêt à habiller nos habitats de manière à faire des économies d’énergie
absolument substantielles.
Il y a aussi la question des transports et la question de la capture du CO, dans les industries
qui en produisent trop, par exemple les usines à charbon.
Le nucléaire. Je n’ai pas abordé ce problème-là car je suis moi-même très divisé sur la
question. Quand j’en parle avec certain députés, ils me disent: « Eh bien ce n’est pas grave on
34 3
construira des centrales … » Cela doit faire l’objet d’un véritable débat démocratique, il va falloir
jnévitablement se poser cette question· le pétrQ1Qva oov8Rir trgf) GR8Fj la tJFSOOE88R à’àyàFe
électricité est déjà saturée en Europe, les éoliennes représentent un apport dérisoire par rapport
aux besoins que nous avons, le gaz nous ferait dépendre encore plus de la Russie, ce qui n’est pas
une bonne chose. Donc la question est de savoir si on doit construire davantage de centrales
nucléaires. Des amis ingénieurs, qui sont aussi des X d’ailleurs, qui travaillent sur cette questionlà,
me disent qu’en étant très sérieux, on peut garantir la sécurité d’une centrale nucléaire … Moi, je
veux bien les croire mais je pense qu’il faut un débat là-dessus (notamment sur l’emplacement des
centrales: qui voudra d’une nouvelle centrale près de chez lui? J. L’autre question naturellement
est le retraitement des déchets. Certes les centrales nucléaires ne produisent pas de CO, mais
posent d’énormes questions sur le retraitement des déchets nucléaires et je n’ai pas de réponse làdessus.
A propos du G20. j’espère que le G20 va permettre petit à petit aux politiques des
différents pays de mieux résister au lobby bancaire. Je crois que c’est un enjeu fondamental: on
n’a quasiment pas avancé, en réalité, sur les paradis fiscaux. On a beaucoup gesticulé et l’on a fait
une liste noire et une liste grise des paradis fiscaux pour un résultat assez ridicule: des paradis
fiscaux ont signé entre eux des contrats de transparence de manière à avoir le nombre de contrats
de transparence exigés pour sortir de la liste grise. Mais ce sont toujours des paradis fiscaux!
Quant au protectionnisme: Pour qu’un plan de ré-industrialisation verte de l’Europe
soit un succès, à mon avis, il faut le faire rapidement et avoir une longueur d’avance sur les autres,
parce que pour l’instant aucune grande région économique ne s’est lancée dans cette aventure. Je
pense qu’on a l’audace, l’intelligence pour le faire en Europe. Je ne crois pas trop que les Etats-Unis
vont s’y mettre, ni le Brésil ni la Chine. S’ils le faisaient, cela deviendrait compliqué pour nous
parce qu’une industrie naissante ne peut pas survivre sur un marché très concurrentiel au niveau
international La révolution industrielle, nous l’avons faite au XVlllème et XlXème siècle dans une
période de protectionnisme et c’était indispensable pour permettre aux industries embryonnaires
de naître et de croître. En revanche, si nous prenons une longueur d’avance sur les autres, nous
pouvons mettre en place l’infrastructure industrielle verte dont nous avons besoin et ensuite aller
la vendre au reste de la planète. Ce serait à mon avis une très bonne opération pour tout le monde,
et surtout pour nous.
Une population mondiale de 9 milliards en 2050. La surface cultivable de la planète est
limitée de telle sorte qu’on ne peut pas à la fois cultiver de la nourriture pour tout le monde (pour
9 milliards d’habitants J et cultiver des agro-carburants pour remplacer le pétrole (trop cher et trop
polluant). II va donc y avoir un dilemme entre donner à manger à tout le monde ou produire des
agro-carburants pour faire décoller nos avions, rouler les tanks, naviguer les bateaux. Un
spécialiste en France, Michel Griffon, qui est un ami, et qui est le numéro 2 de l’Agence Nationale
de la Recherche, a écrit des ouvrages lumineux sur la question!o. Certaines conclusions de Michel
Griffon n’invitent pas toujours à l’optimiste. j’espère qu’on trouvera une solution à ce dilemme
énorme.
Comment s’engager en politique? Il ya mille manières de le faire. Il existe par exemple
beaucoup de clubs politiques, des lieux de réflexion, de maturation … Et nos hommes politiques
dépendent énormément de ce qui se dit dans ces clubs. A Paris, on a une chance énorme, ces clubs
sont très nombreux, tous partis confondus, et y contribuer est une manière de faire avancer la
discussion. En ce moment, par exemple, les politiques, qui se préparent à la campagne
présidentielle en France, cherchent tous azimuts des idées pour construire leur programme. Ils
cherchent leurs idées dans ces clubs, qui sont des ferments, des think tank, des lieux où l’on agite
10 Cf. inter alfa, La planète, ses crises, et nous, avec D. Dupré, Atlantica. 2008, Pour des
agricultures écologiquement intensives, Conférence ESA Angers, 2008, Nourrirla planète, Odile Jacob.
2006.
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des idées Et c’est très bien: c’est à la société civile de leur oonner des idées. C’est le jeu
démocratique. Voilà une manière de s’engager.
Parler sans causer de tache solaire, est;.ce encore possible? m’a-l’-on demandé. Je dirais
qu’effectivement, c’est j’un des aspects extrêmement délétères des marchés financiers. En effet,
dans une démocratie, quand quelqu’un parle, on écoute et chacun vote en conscience dans l’isoloir.
Et si celui qui vote n’a pas voté comme la majorité, il n’est pas puni car personne ne connaîtra son
vote. Sur un marché financier, si quelqu’un parle et réussit à convaincre la majorité, celui qui vote
contre lui est puni par le marché parce qu’il perd de l’argent. L’isoloir est transparent. On est
obligé de se rallier systématiquement à l’avis de la majorité. Dans une lecture politique, les
marchés financiers ont un fonctionnement anti-démocratique. Tout le monde est constamment
obligé de voter mais dans des isoloirs transparents, et celui qui ne vote pas comme la majorité est
puni, parce qu’il perd de l’argent. L’effet est tout à fait pernicieux sur le droit à la parole. Il y a des
banquiers qui viennent me dire: « Gaël Giraud, nous vous interdisons de parler parce que vous
risquez de provoquer la panique que nous voulons éviter. »
Un mot sur mon parcours. J’ai eu la chance de faire ma thèse dans un labo de l’X, au labo
d’économétrie qui est sur la montagne Sainte-Geneviève, dans les anciens locaux, un endroit
absolument magnifique, que vous connaissez. A la fin de ma thèse, je suis parti en coopération
civile au Tchad, pendant deux ans, où j’ai travaillé comme prof de maths et de physique dans un
collège jésuite, au sud du Tchad, dans un gros village qui s’appelle Sarh et qui à l’époque était l’un
des fiefs des missionnaires jésuites au Tchad j’étais volontaire de la Délégation Catholique pour la
Coopération (DCC). J’ai oonné des cours au Lycée-Collège Saint-Charles Lwanga, j’ai été très
heureux de le faire. J’ai beaucoup travaillé dans une prison – la maison d’arrêt de Sarh, notamment
pour aider les prisonnières. A l’époque, à la fin des années 90, ces femmes n’étaient pas séparées
des hommes. Elles étaient violées toutes les nuits, tombaient enceintes dans la prison, y
accouchaient, et leur gamin mourrait dans la prison au bout de quelques heures à cause des
conditions d’hygiène déplorables.
Et puis j’ai beaucoup travaillé avec les enfants de la rue qui vivaient dans le marché, dans le
« souk» de Sahr. Avec un ami tchadien, j’ai loué une maison en ruines pour les enfants … et
finalement, avec deux amis, Pierre Landèche et Laurent Huet (aujourd’hui prêtre carme), j’ai
construit un centre d’accueil pour eux, qui existe toujours aujourd’hui. Il fonctionne maintenant
depuis près de douze ans, il est à l’orée de la ville, près d’une petite rivière et héberge une trentaine
d’enfants … C’est tout petit… Les enfants sont logés, nourris, alphabétisés, et à 18 ans, ils quittent le
centre, quoi qu’il arrive. Car sinon ils y resteraient à vie, je peux vous [‘assurer! A ce moment-là,
j’avais fait Ulm,I’ENSAE et ma thèse à l’X.J’étais un pur produit du mandarinat français, je n’avais
jamais connu autre chose que les bibliothèques, les salles de classe … Cette expérience m’a
complètement transformé: les enfants de la rue d’une certaine manière m’ont converti et m’ont
appris qu’on pouvait être heureux et recevoir la vie, même quand on n’a rien …
Quand on m’a proposé ce poste de trader à New York, deux ans après, je me suis dit: « je
n’ai pas le droit d’être infidèle à la joie incroyable que ces enfants m’ont transmise. Je ne vais pas
aller à Manhattan gagner des “millions de oollars” alors que je sais très bien que la joie, je l’ai reçue
dans une case en boue séchée au Sud du Tchad avec des enfants de la rue ». Pour être fidèle à cela,
j’ai dit « non» au poste de trader et de fil en aiguille, je me suis dit: pour être complètement fidèle
à cela, il faut que je devienne jésuite. Cela n’est pas une nécessité: on peut être très heureux sans
être jésuite! Mais voilà, je vous raconte mon parcours …

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