La richesse est la chose; l’argent est le signe.
Le signe doit aller d’après la chose.
 Le banquier est le créateur et le destructeur de l’argent. Manufacturer
l’argent est un acte de souveraineté qui ne doit pas être lié à la banque.
 L’argent neuf, en venant au monde, appartient aux citoyens
eux-mêmes, à tous les citoyens, et devrait leur être remis
sous forme d’escompte sur les prix et de dividende social.
Biens et besoins
La faim, le besoin de vêtements, d’abri, de chauffage, de soins médicaux, de repos, sont des besoins temporels auxquels l’homme ne peut se soustraire tant qu’il est sur la terre. C’est le Créateur qui nous a donné ces besoins. Lui aussi qui nous a placés sur la terre. Il a donc certainement mis quelque part sur la terre ce qu’il faut pour satisfaire ces besoins.
Les choses utiles qui servent à satisfaire ces besoins sont des biens, des biens terrestres. La nourriture, le vêtement, le bois de chauffage, les couvertures de lit, les ustensiles de cuisine, les remèdes, sont des biens. C’est avec ces biens terrestres que l’homme doit combler ses besoins temporels.
Les activités économiques de l’homme ont justement pour but de faire les biens joindre les besoins. Si l’économique fait cela, elle atteint sa fin. Si elle laisse les biens d’un côté et les besoins de l’autre, elle manque son coup. L’économique manque son coup dans notre pays, puisqu’elle laisse du monde pâtir de faim, malgré le blé; du monde sans logis suffisant, sans feu, malgré le bois; sans soin, malgré la médecine. Il faut chercher à savoir pourquoi.
Ce qui manque
Manque-t-il quelque chose dans notre pays pour satisfaire les besoins temporels des citoyens? Manque-t-il de la nourriture pour que tout le monde mange à sa faim? Manque-t-il des chaussures? des vêtements? Ne peut-on pas en faire autant qu’il en faut? Manque-t-il des chemins de fer et d’autres moyens de transport? Manque-t-il du bois ou de la pierre pour construire de bonnes maisons pour toutes les familles? Sont-ce les constructeurs, les fabricants et autres ouvriers qui manquent? Sont-ce les machines qui manquent?
Mais on a de tout cela, et de reste. Les magasins ne se plaignent jamais de ne pas trouver ce qu’il faut pour mettre en vente. Les élévateurs sont pleins à craquer. Les hommes valides qui attendent du travail sont nombreux. Nombreuses aussi les machines arrêtées.
Pourtant, que de monde souffre! Les choses n’entrent pas dans les maisons.
A quoi sert de dire aux hommes et aux fem­mes que leur pays est riche, qu’il exporte beaucoup de produits, qu’il est le troisième ou quatrième pays au monde pour l’exportation?
Ce qui sort du pays n’entre pas dans les maisons des citoyens. Ce qui reste dans les magasins ne vient pas sur leur table.
La femme ne nourrit pas ses enfants, ne les chausse pas, ne les habille pas, en contemplant les vitrines, en lisant les annonces de produits dans les journaux, en entendant la description de beaux produits à la radio, en écoutant les boniments des innombrables agents de vente de toutes sortes.
C’est le droit d’avoir ces produits qui manque. On ne peut pas les voler. Pour les obtenir, il faut payer, il faut avoir de l’argent.
Il y a beaucoup de bonnes choses au pays, mais le droit à ces choses, la permission de les obtenir manque à bien des personnes et des familles qui en ont besoin.
Manque-t-il autre chose que l’argent? Qu’est­ce qui manque, à part du pouvoir d’achat pour faire les produits passer des magasins aux maisons?
Des entrepôts pleins, une calamité pour les producteurs
Des millions d’êtres humains crèvent de faim
devant ces entrepôts pleins.
Cause: mauvais système d’argent
Les crises modernes
Argent et richesse
Cela ne veut pas dire que c’est l’argent qui est la richesse. L’argent n’est pas le bien terrestre capable de satisfaire le besoin temporel.
On ne se nourrit pas en mangeant de l’argent. Pour s’habiller, on ne coud pas ensemble des piastres pour s’en faire une robe ou des bas. On ne se repose pas en s’étendant sur de l’argent. On ne se guérit pas en plaçant de l’argent sur le siège du mal. On ne s’instruit pas en se couronnant la tête d’argent.
L’argent n’est pas la richesse. La richesse, ce sont les choses utiles qui correspondent à des besoins humains.
Le pain, la viande, le poisson, le coton, le bois, le charbon, une auto sur une bonne route, la visite d’un médecin au malade, la science du professeur — voilà des richesses.
Mais, dans notre monde moderne, chaque personne ne fait pas toutes les choses. Il faut acheter les uns des autres. L’argent est le signe qu’on reçoit en échange d’une chose qu’on vend; c’est le signe qu’il faut passer en échange d’une chose qu’on veut avoir d’un autre.
La richesse est la chose; l’argent est le signe. Le signe doit aller d’après la chose.
S’il y a beaucoup de choses à vendre dans un pays, il y faut beaucoup d’argent pour en disposer. Plus il y a de monde et de choses, plus il faut d’argent en circulation, ou bien tout arrête.
C’est cet équilibre-là qui fait défaut aujourd’hui. Les choses, on en a à peu près autant qu’on veut en faire, grâce à la science appliquée, aux découvertes, aux machines perfectionnées. On a même un tas de monde à ne rien faire, ce qui représente des choses possibles. On a un tas d’occupations inutiles, nuisibles même. On a des activités employées à la destruction.
Pourquoi l’argent, établi pour écouler les produits, ne se trouve-t-il pas dans les mains du monde en rapport avec les produits?
L’argent naît quelque part
Tout a un commencement, excepté Dieu. L’argent n’est pas le bon Dieu, il a donc un commencement. L’argent commence quelque part.
On sait où commencent les choses utiles, la nourriture, les habits, les chaussures, les livres. Les travailleurs, les machines, plus les ressources naturelles du pays, font naître la richesse, les biens dont nous avons besoin et qui ne manquent pas.
Mais où commence l’argent, l’argent qui nous manque pour avoir les biens qui ne manquent pas ?
La première idée qu’on entretient, sans trop s’en rendre compte, c’est qu’il y a une quantité stable d’argent, et qu’on ne peut pas changer ça: comme si c’était le soleil ou la pluie, ou la température. Idée fausse: s’il y a de l’argent, c’est qu’il est fait quelque part. S’il n’y en a pas plus, c’est que ceux qui le font n’en font pas plus.
Deuxième idée: quand on se pose la question, on pense que c’est le gouvernement qui fait l’argent. C’est encore faux. Le gouvernement aujourd’hui ne fait pas d’argent et se plaint continuellement de n’en avoir pas. S’il en faisait, il ne se croiserait pas les bras dix ans en face du manque d’argent. Le gouvernement taxe et emprunte, mais ne fait pas l’argent.
Nous allons expliquer où commence et où finit l’argent. Ceux qui tiennent le contrôle de la naissance et le contrôle de la mort de l’argent règlent son volume. S’ils en font beaucoup et en détruisent peu, il y en a davantage. Si la destruction va plus vite que la fabrication, sa quantité diminue.
Notre niveau de vie, dans un pays où l’argent manque, est réglé non pas par les choses, mais par l’argent dont on dispose pour acheter les choses. Ceux qui règlent le niveau de l’ar­gent règlent donc notre niveau de vie.
Ceux qui contrôlent l’argent et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies… sans leur permission nul ne peut plus respirer. (Pie XI).
Deux sortes d’argent
L’argent, c’est tout ce qui sert à payer, à acheter; ce qui est accepté par tout le monde dans un pays en échange de choses ou de services.
La matière dont l’argent est fait n’a pas d’importance. L’argent a déjà été des coquillages, du cuir, du bois, du fer, de l’argent blanc, de l’or, du cuivre, du papier, etc.
Actuellement, on a deux sortes d’argent au Canada: de l’argent de poche, fait en métal et en papier; de l’argent de livre, fait en chiffres. L’argent de poche est le moins important; l’argent de livre est le plus important.
L’argent de livre, c’est le compte de banque. Toutes les affaires marchent par des comptes de banque. L’argent de poche circule ou s’arrête selon la marche des affaires. Mais les affaires ne dépendent pas de l’argent de poche; elles sont activées par les comptes de banque des hommes d’affaires.
Avec un compte de banque, on paie et on achète sans se servir d’argent de métal ou de papier. On achète avec des chiffres.
J’ai un compte de banque de 40 000 $. J’achète une auto de 10 000 $. Je paie par un chèque. Le marchand endosse et dépose le chèque à sa banque.
Le banquier touche deux comptes: d’abord celui du marchand, qu’il augmente de 10 000 $; puis le mien, qu’il diminue de 10 000 $. Le marchand avait 500 000 $; il a maintenant 510 000 $ écrit dans son compte de banque. Moi, j’avais 40 000 $, il y a maintenant 30 000 $ écrit dans mon compte de banque.
L’argent de papier n’a pas bougé pour cela dans le pays. J’ai passé des chiffres au marchand. J’ai payé avec des chiffres. Plus des neuf dixièmes des affaires se règlent comme cela. C’est l’argent de chiffres qui est l’argent moderne; c’est le plus abondant, dix fois autant que l’autre; le plus noble, celui qui donne des ailes à l’autre; le plus sûr, celui que personne ne peut voler.
Epargne et emprunt
L’argent de chiffres, comme l’autre, a un commencement. Puisque l’argent de chiffres est un compte de banque, il commence lorsqu’un compte de banque commence sans que l’argent diminue nulle part, ni dans un autre compte de banque ni dans aucune poche.
On fait, ou on grossit, un compte de banque de deux manières: l’épargne et l’emprunt. II y a d’autres sous-manières, elles peuvent se classer sous l’emprunt.
Le compte d’épargne est une transformation d’argent. Je porte de l’argent de poche au banquier; il augmente mon compte d’autant. Je n’ai plus l’argent de poche, j’ai de l’argent de chiffres à ma disposition. Je puis réobtenir de l’argent de poche, mais en diminuant mon argent de chiffres d’autant. Simple transformation.
Mais nous cherchons ici à savoir où commence l’argent. Le compte d’épargne, simple transformation, ne nous intéresse donc pas pour le moment.
Le compte d’emprunt est le compte avancé par le banquier à un emprunteur.
Je suis un homme d’affaires. Je veux établir une manufacture nouvelle. Il ne me manque que de l’argent. Je vais à une banque et j’emprunte 100 000 $ sur garantie. Le banquier me fait signer les garanties, la promesse de rembourser avec intérêt. Puis il me prête 100 000 $.
Va-t-il me passer 100 000 $ en papier? Je ne veux pas. Trop dangereux d’abord. Puis je suis un homme d’affaires qui achète en bien des places différentes et éloignées, au moyen de chèques. C’est un compte de banque de 100 000 $ que je veux et qui fera mieux mon affaire.
Le banquier va donc m’avancer un compte de 100 000 $. Il va placer dans mon compte 100 000 $, comme si je les avais apportés à la banque. Mais je ne les ai pas apportés, je suis venu les chercher.
Est-ce un compte d’épargne, fait par moi? Non, c’est un compte d’emprunt bâti par le banquier lui-même, pour moi.
Le fabricant d’argent
Ce compte de 100 000 $ n’est pas fait par moi, mais par le banquier. Comment l’a-t-il fait? L’argent de la banque a-t-il diminué lorsque le banquier m’a prêté 100 000 $? Questionnons le banquier:
— Monsieur le banquier, avez-vous moins d’argent dans votre tiroir après m’avoir prêté 100 000 $?
— Mon tiroir n’est pas touché.
— Les comptes des autres ont-ils diminué?
— Ils sont exactement les mêmes.
— Qu’est-ce qui a diminué dans la banque?
— Rien n’a diminué.
— Pourtant mon compte de banque a augmenté. D’où vient cet argent que vous me prêtez?
— Il vient de nulle part.
— Où était-il quand je suis entré à la banque?
— Il n’existait pas.
— Et maintenant qu’il est dans mon compte, il existe. Alors, il vient de venir au monde?
— Certainement.
— Qui l’a mis au monde, et comment?
— C’est moi, avec ma plume et une goutte d’encre, lorsque j’ai écrit 100 000 $ à votre crédit, à votre demande.
— Alors, vous faites l’argent?
— La banque fait l’argent de chiffres, l’argent moderne, qui fait marcher l’autre en faisant marcher les affaires.
Le banquier fabrique l’argent, l’argent de chiffres, lorsqu’il prête des comptes aux emprunteurs, particuliers ou gouvernements. Lorsque je sors de la banque, il y a dans le pays une nouvelle base à chèques qui n’y était pas auparavant. Le total des comptes de banque du pays y est augmenté de 100 000 $. Avec cet argent nouveau, je paie des ouvriers, du matériel, des machines, j’érige ma manufacture. Qui donc fait l’argent nouveau? – Le banquier.

Le destructeur d’argent

Le banquier, et le banquier seul, fait cette sorte d’argent: l’argent d’écriture, l’argent dont dépend la marche des affaires. Mais il ne donne pas l’argent qu’il fait. Il le prête. Il le prête pour un certain temps, après quoi il faut le lui rapporter. Il faut rembourser.
Le banquier réclame de l’intérêt sur cet argent qu’il fait. Dans mon cas, il est probable qu’il va me demander immédiatement 10 000 $ d’intérêt. Il va les retenir sur le prêt, et je sortirai de la banque avec un compte net de 90 000 $, ayant signé la promesse de rapporter 100 000 $ dans un an.
En construisant mon usine, je vais payer des hommes et des choses, et vider sur le pays mon compte de banque de 90 000 $.
Mais d’ici un an, il faut que je fasse des profits, que je vende plue cher que je paie, de façon à pouvoir, avec mes ventes, me bâtir un autre compte de banque d’au moins 100 000 $.
Au bout de l’année, je vais rembourser, en tirant un chèque sur mon compte accumulé de 100 000 $. Le banquier va me débiter de 100 000 $, donc m’enlever ce 100 000 $ que j’ai retiré du pays, et il ne le mettra au compte de personne. Personne ne pourra plus tirer de chèque sur ce 100 000 $. C’est de l’argent mort.
L’emprunt fait naître l’argent. Le remboursement fait mourir l’argent. Le banquier met l’argent au monde lorsqu’il prête. Le banquier met l’argent dans le cercueil lorsqu’on lui rembourse. Le banquier est donc aussi un destructeur d’argent.
Et le système est tel que le remboursement doit dépasser l’emprunt; le chiffre des décès doit dépasser le chiffre des naissances; la destruction doit dépasser la fabrication.
Cela paraît impossible, et c’est collectivement impossible. Si je réussis, un autre fait banqueroute; parce que, tous ensemble, nous ne sommes pas capables de rapporter plus d’argent qu’il en a été fait. Le banquier fait le capital, rien que le capital. Personne ne fait l’intérêt, puisque personne autre ne fait l’argent. Mais le banquier demande quand même capital et intérêt. Un tel système ne peut tenir que moyennant un flot continuel et croissant d’emprunts. D’où un régime de dettes et la consolidation du pouvoir dominateur de la banque.
La dette publique
Le gouvernement ne fait pas d’argent. Lorsqu’il ne peut plus taxer ni emprunter des particuliers, par rareté d’argent, il emprunte des banques. L’opération se passe exactement comme avec moi. La garantie, c’est tout le pays. La promesse de rembourser, c’est la débenture. Le prêt d’argent, c’est un compte fait par une plume et de l’encre.
L’opération se passe exactement comme avec moi. La garantie, c’est tout le pays. La promesse de rembourser, c’est la débenture. Le prêt d’argent, c’est un compte fait par une plume et de l’encre.
Ainsi, en octobre 1939, le gouvernement fédéral, pour faire face aux premières dépenses de la guerre, demandait aux banques 80 000 000 $. Les banques ont avancé un compte de 80 millions sans rien enlever à personne, donnant au gouvernement une base à chèques nouvelle de 80 millions.
Mais, en octobre 1941, le gouvernement devait rapporter aux banques 83 200 000 $. C’est l’intérêt en plus du capital.
Par les taxes, le gouvernement doit retirer du pays autant d’argent qu’il y en a mis, 80 millions. Il faut qu’en plus il retire 3 millions qui n’y ont pas été mis, que ni le banquier ni personne n’a faits.
Passe encore que le gouvernement retrouve l’argent qui existe, mais comment trouver de l’argent qui n’est jamais venu en existence?
Le fait est que le gouvernement ne le trouve pas et ajoute simplement à la dette publique. Ainsi s’explique la dette publique croissant au rythme où le développement du pays demande de l’argent nouveau. Tout argent nouveau vient par le banquier sous forme de dette, réclamant plus d’argent qu’il en est émis.
Et la population du pays se trouve collectivement endettée pour de la production que, collectivement, elle a faite elle-même! C’est le cas pour la production de guerre. C’est le cas aussi pour la production de paix: routes, ponts, aqueducs, écoles, églises, etc.
Le vice monétaire
La situation se résume à cette chose inconcevable. Tout l’argent qui est en circulation n’y est venu que par la banque. Même l’argent de métal ou de papier ne vient en circulation que s’il est libéré par la banque.
Or la banque ne met l’argent en circulation qu’en le prêtant et en le grevant d’un intérêt. Ce qui veut dire que tout l’argent en circulation est venu de la banque et doit retourner à la banque quelque jour, mais y retourner grossi d’un intérêt.
La banque reste propriétaire de l’argent. Nous n’en sommes que les locataires. S’il yen a qui gardent l’argent plus longtemps, ou même toujours, d’autres sont nécessairement incapables de remplir leurs engagements de remboursements.
Multiplicité des banqueroutes de particuliers et de compagnies, hypothèques sur hypothèques, et croissance continuelle des dettes publiques, sont le fruit naturel d’un tel système.
L’intérêt sur l’argent à sa naissance est à la fois illégitime et absurde, anti-social et anti­arithmétique. Le vice monétaire est donc un vice technique autant qu’un vice social.
A mesure que le pays se développe, en production comme en population, il faut plus d’argent. Or on ne peut avoir d’argent nouveau qu’en s’endettant d’une dette collectivement impayable.
Il reste donc le choix entre arrêter le développement ou s’endetter; entre chômer ou contracter des emprunts impayables. C’est entre ces deux choses-là qu’on se débat justement dans tous les pays.
Aristote, et après lui saint Thomas d’Aquin, écrivent que l’argent ne fait pas de petits. Or le banquier ne met l’argent au monde qu’à condition qu’il fasse des petits. Comme ni le gouvernement ni les particuliers ne font d’argent, personne ne fait les petits réclamés par le banquier. Même légalisé, ce mode d’émission reste vicieux et insultant.

Déchéance et abjection
Cette manière de faire l’argent du pays, en endettant gouvernements et particuliers, établit une véritable dictature sur les gouvernements comme sur les particuliers.
Le gouvernement souverain est devenu un signataire de dettes envers un petit groupe de profiteurs. Le ministre, qui représente des millions d’hommes, de femmes et d’enfants, signe des dettes impayables. Le banquier, qui représente une clique intéressée à profiter et à dominer, manufacture l’argent du pays.
C’est un aspect frappant de la déchéance du pouvoir dont parle le Pape Pie XI: les gouvernements sont déchus de leurs nobles fonctions et sont devenus les valets des intérêts privés.
Le gouvernement, au lieu de piloter le pays, s’est transformé en percepteur d’impôts; et une grosse tranche du revenu des taxes, la tranche la plus sacrée, soustraite à toute discussion, est justement l’intérêt sur la dette publique.
Aussi la législation consiste-t-elle surtout à taxer le monde et à placer partout des restrictions à la liberté.
On a des lois pour protéger les remboursements aux faiseurs d’argent. On n’en a pas pour empêcher un être humain de mourir de misère.
Quant aux individus, l’argent rare développe chez eux la mentalité de loups. En face de l’abondance, c’est à qui obtiendra le signe trop rare qui donne droit à l’abondance. D’où, concurrence, dictatures patronales, chicanes domestiques, etc.
Un petit nombre mange les autres; le grand nombre gémit, plusieurs dans une abjection déshonorante.
Des malades restent sans soin; des enfants reçoivent une nourriture inférieure ou insuffisante; des talents ne peuvent se développer; des jeunes gens ne peuvent se placer ni fonder un foyer; des cultivateurs perdent leur ferme; des industriels font banqueroute; des familles vivotent péniblement — le tout sans autre justification que le manque d’argent. La plume du banquier impose au public les privations, aux gouvernements la servitude.
Contrôle social de l’argent
C’est saint Louis, roi de France, qui disait: Le premier devoir d’un roi est de frapper l’argent lorsqu’il en manque pour la bonne vie économique de ses sujets.
Il n’est pas du tout nécessaire ni recommandable de supprimer les banques, ni de les nationaliser. Le banquier est un expert en comptabilité et en placements: qu’il continue à recevoir et faire fructifier les épargnes, prenant sa part de profit. Mais manufacturer l’argent est un acte de souveraineté qui ne doit pas être lié à la banque. Il faut sortir la souveraineté de la banque et la replacer entre les mains de la nation.
L’argent de chiffres est une bonne invention moderne, qu’il faut garder. Mais au lieu d’avoir leur origine sous une plume privée, à l’état de de dette, les chiffres qui servent d’argent doivent naître sous la plume d’un organisme national, à l’état d’argent serviteur.
Rien donc à bouleverser dans la propriété ni dans les expertises. Pas besoin de supprimer l’argent actuel pour en mettre d’autre à sa place. Il faut seulement qu’un organisme monétaire social ajoute à l’argent qu’il y a déjà d’autre argent de même nature, à mesure des possibilités du pays et des besoins de la population.
On doit cesser de souffrir de privations lorsqu’il y a tout ce qu’il faut dans le pays pour placer l’aisance dans chaque foyer.
L’argent doit venir d’après la capacité de produire du pays et d’après les désirs des consommateurs vis-à-vis de biens utiles possibles.
C’est donc l’ensemble des producteurs et l’ensemble des consommateurs, toute la société, qui, en produisant les biens en face des besoins, détermine la quantité d’argent nouveau qu’un organisme agissant au nom de la société doit ajouter de temps en temps, à mesure des développements du pays. Le peuple retrouverait ainsi son droit de vivre, sa pleine vie humaine, en rapport avec les ressources du pays et les grandes possibilités modernes de production.
Le peuple retrouverait ainsi son droit de vivre, sa pleine vie humaine, en rapport avec les ressources du pays et les grandes possibilités modernes de production.
A qui l’argent neuf?
L’argent doit donc être mis au monde à mesure que le rythme de la production et les besoins de la distribution l’exigent.
Mais à qui appartient cet argent neuf en venant au monde? — Cet argent appartient aux citoyens eux-mêmes. Pas au gouvernement, qui n’est pas le propriétaire du pays, mais seulement le gardien du bien commun. Pas non plus aux comptables de l’organisme monétaire national: comme les juges, ils remplissent une fonction sociale et sont payés statutairement par la société pour leurs services.
A quels citoyens? — A tous. Ce n’est pas un salaire. C’est une injection d’argent nouveau dans le public, pour permettre au public consommateur de se procurer des produits faits ou facilement réalisables, qui n’attendent qu’un pouvoir d’achat suffisant pour les mettre en mouvement.
On ne peut une minute se représenter que l’argent nouveau, sorti gratuitement d’un organisme social, appartienne seulement à un ou quelques individus en particulier.
Il n’y a pas d’autre moyen, en toute justice, de mettre cet argent nouveau en circulation qu’en le distribuant également entre tous les citoyens sans exception. C’est en même temps le meilleur moyen de rendre l’argent effectif, puisque cette distribution le répartit dans tout le pays.
Supposons que le comptable qui agit au nom de la nation, constatant qu’il manque 1 milliard de dollars pour répondre aux réalités, en décide l’émission. Cette émission peut être de l’argent de chiffres, simple inscription dans un livre, comme celui du banquier aujourd’hui.
Mais, puisqu’il y a 31 millions de Canadiens et 1 milliard à distribuer, cela fait 32,25 $ pour chacun. Le comptable va donc faire inscrire 32,25 $ dans le compte de chaque citoyen. Ces comptes individuels peuvent très bien être tenus par les bureaux de poste locaux. Ou bien encore par des succursales d’une banque, propriété de la nation.
Ce serait un dividende national. Chaque citoyen aurait 32,25 $ de plus, à son propre crédit, dans un compte de naissance d’argent. Argent créé par un organisme monétaire national, institution établie spécialement à cette fin par une loi du Parlement.
Le dividende à chacun
Chaque fois qu’il faut augmenter l’argent du pays, chaque homme, femme, enfant, vieillard, bébé, aurait ainsi sa part de la nouvelle étape de progrès qui rend de l’argent neuf nécessaire.
Ce n’est pas un salaire pour du travail accompli, c’est un dividende à chacun, pour sa part d’un capital commun. S’il y a des propriétés privées, il y a aussi des biens communs, que tous possèdent au même titre.
Voici un homme qui n’a rien que les guenilles dont il est couvert. Pas un repas devant lui, pas un sou dans sa poche. Je puis lui dire:
«Mon cher, tu crois être pauvre, mais tu es un capitaliste qui possède bien des choses au même titre que moi et que le premier ministre. Les chutes d’eau de la province, les forêts de la couronne, c’est à toi comme à moi, et ça peut bien te rapporter quelque chose chaque année.
«L’organisation sociale, qui fait qu’on produit cent fois plus et mieux que si on vivait isolément, c’est à toi comme à moi, et ça doit te valoir quelque chose à toi comme à moi.
«La science qui fait se multiplier la production avec presque pas de travail, c’est un héritage transmis et grossi avec les générations; et toi, de ma génération, tu dois en avoir ton bénéfice au même titre que moi.
«Si tu es pauvre et dénué, mon cher, c’est qu’on t’a volé ta part. Surtout on l’a mise sous clé. Quand tu manques de pain, ce n’est pas du tout parce que les riches consomment tout le blé du pays; c’est parce que ta part reste dans l’élévateur, on te prive du moyen de l’obtenir.
«C’est le dividende du Crédit Social qui va te rendre ta part, au moins le principal morceau. Une administration dégagée des liens du financier, mieux capable de mettre les exploiteurs d’hommes à la raison, te rendra le reste.
C’est cela aussi qui va reconnaître ton titre de membre de l’espèce humaine, en vertu duquel tu as droit à une part des biens de ce monde, au moins à la part nécessaire pour exercer ton droit de vivre.
Régulateur de prix
Le dividende s’ajoute aux salaires et autres sources de revenus pour former du pouvoir d’achat.
Mais il y a des gens qui n’ont pas besoin de tout leur argent pour acheter des produits et qui préfèrent en épargner ou en placer. Cela diminue le pouvoir d’achat effectif global. Seul, l’argent consacré à acheter forme un pouvoir d’achat immédiatement effectif.
Pour cette raison et pour d’autres, l’équilibre entre les prix et le pouvoir d’achat n’est pas atteint par le seul fait du dividende à tous. Mais le Crédit Social y pourvoit par un mécanisme régulateur qui respecte la liberté de chacun, rend l’épargne des mieux fortunés bénéficiaire pour tous, et en même temps empêche toute inflation des prix.
Ce mécanisme, c’est le prix ajusté (pas fixé), appelé aussi prix compensé, ou encore escompte compensé. Il n’a rien de factice, ni d’arbitraire; il reflète exactement les faits de la production et de la consommation de richesse.
Si, par exemple, la comptabilité nationale démontre que, dans une année, la production totale, de toute espèce, a été de 30 milliards, et que, pendant cette année-là, la consommation totale, de toute espèce (usure y comprise), a été de 24 milliards, que conclure? Il faut conclure que, pendant que le pays faisait disparaître 24 milliards de richesse par consommation ou usure, il produisait pour 30 milliards de richesse. La production de 30 milliards de richesse n’a donc en réalité coûté collectivement que 24 milliards.
Le prix réel est inférieur au prix comptable. Pour faire avoir à la population tout le fruit de son travail, il faut donc la faire bénéficier d’un escompte de 6 milliards: la faire payer seulement 24 ce qui est marqué comptablement au prix de 30.
A cette fin, l’organisme monétaire national décrète un escompte général de 20 pour cent sur toutes les ventes au détail pendant le terme suivant. Si j’achète un article marqué à $10, je ne le paierai que $8.
Mais, pour pouvoir rester en affaires, le marchand et le producteur doivent quand même recouvrer tous leurs frais. C’est pourquoi le même organisme monétaire compensera le détaillant, en créant l’argent nécessaire à cette fin. Pour mon article de $10, j’ai donné $8 au marchand. Sur présentation de ses bordereaux de vente à la succursale locale de l’organisme, il en recevra les $2 escomptés.
Les consommateurs obtiennent ainsi les produits qui, sans cela, resteraient invendus. Les marchands ont leur prix. Et cette création d’argent n’a causé aucune inflation, puisque, au contraire, elle est liée à un abaissement de tous les prix pour les acheteurs.
D’ailleurs, des modalités appropriées attacheraient cette compensation, qui favorise le marchand autant que l’acheteur, à des conventions respectant intégralement les prix de revient, mais contenant la marge de profit dans les limites d’un pourcentage reconnu comme adéquat dans chaque secteur de commerce.
lingots d'orObjection: l’or
Mais il faut de l’or pour servir de base à l’argent!
— L’argent tire sa valeur de la production et de la confiance mutuelle. Videz le pays de toute production utile: un véritable désert. A quoi servirait l’argent, même en or? Au contraire, laissez le pays tel qu’il est, avec toute sorte de production possible, et mettez-y l’argent correspondant, même en papier, même en chiffres, et vous verrez si cet argent ne va pas être accepté partout et commander des choses utiles.
— Mais l’étalon-or?
— L’étalon-or est une définition de l’unité monétaire de chaque pays, pour permettre les comparaisons entre les monnaies des différents pays. Si vous dites que le dollar canadien vaut 40 grains d’or, cela veut dire que vous obtenez pour un dollar 40 grains d’or ou d’autres marchandises d’une valeur équivalente. Quand même l’or n’est pas là, si les autres choses y sont, vous les obtenez pour votre dollar.
— Mais l’argent sans or en arrière sera-t-il bon à l’étranger?
— L’argent est une affaire nationale. Les dollars canadiens ne circulent pas en France, ni les francs français au Canada. L’acheteur ou le marchand français se demandent-ils si le Canada a beaucoup ou peu de dollars en circulation? Ce qui l’intéresse, c’est ce que peut acheter un dollar. Si vous doublez la production canadienne et que vous doublez en même temps le nombre de dollars en face, est-ce que chaque dollar n’achète pas exactement la même chose qu’auparavant? C’est même le seul moyen de maintenir la stabilité de la valeur d’achat du dollar, si essentielle au bon commerce international.
Depuis le 1er mai 1940, la Banque du Canada ne possède plus d’or pour répondre de ses billets: l’argent est-il moins bon que le 30 avril précédent?
Le mythe de l’or est un fétiche qu’entretiennent les maîtres de l’argent et du crédit pour mieux suivre leurs desseins. Quelle logique peut-il y avoir à régler le droit de manger d’après l’or plutôt que d’après la nourriture? Et ainsi pour les autres biens.
Objection: la paresse
— Le Crédit Social va faire des paresseux.
— Pourquoi?
— Parce qu’il veut augmenter l’argent, et l’argent fait des paresseux.
— C’est justement quand il y a de l’argent que les produits se vendent; et c’est quand les produits se vendent que l’industrie donne du travail à son personnel. Or, ce n’est pas le travail, mais la réduction à l’inaction, qui tend à faire des paresseux.
D’ailleurs, la paresse est un vice — un péché capital. Ce n’est pas par des moyens financiers que l’on corrige les vices. La finance n’a pas à remplacer l’éducation, ni la morale, ni la prière, ni les sacrements, ni la religion.
— Oui, mais cet argent pour rien, assuré à tout le monde!
— Ce n’est pas de l’argent pour rien. C’est le revenu d’un capital qui appartient à tout le monde. Puis, c’est de l’argent pour acheter de la production en attente.
L’assurance d’un minimum, au lieu de rendre paresseux, permet à l’homme de se placer là où il peut le mieux mettre à profit ses aptitudes. Le bien général y gagne.
Il n’y a pas de meilleurs travailleurs que ceux qui travaillent par goût, par choix. Non pas le travail forcé, non pas la carrière imposée dictatorialement. Mais le travail choisi librement.
Le dividende constitue du pouvoir d’achat pour acheter des produits. Il suppose donc le travail d’hommes et de machines pour répondre à la demande. Il est clair que si la production arrêtait, aucun argent ne serait du pouvoir d’achat, puisqu’il n’y aurait rien à acheter. Une création d’argent dans ces circonstances ne serait pas du tout la représentation des réalités. Or le Crédit Social va d’après les réalités.
Le dividende à tous serait, comme le salaire aux travailleurs, un stimulant à la production, puisqu’il grossirait avec l’augmentation de la production.
Le dividende à tous ne supprimerait pas les salaires aux employés de la production. Il y aurait encore la même différence de revenu entre un homme qui n’a que son dividende et celui qui a en même temps son dividende et un salaire.
Objection: communisme
— Donner à tous la même somme, c’est mettre tout le monde égal, c’est du communisme!
— Le dividende ne nivelle pas les fortunes. Pierre a 100 000 dollars. Paul en a 100. Si je donne 40 $ à chacun, deviennent-ils également riches? Tous les deux sont mieux, et c’est le plus pauvre qui sent le mieux l’amélioration.
— Quelque chose pour rien, c’est du communisme!
— Pas du tout. Que veut le communisme? Lorsque le communisme réclame un sort économique égal pour tous, il a tort. Mais réclamer pour chaque être humain le droit aux nécessités de la vie, parce que Dieu a créé les biens matériels pour l’espèce humaine tout entière, ce n’est pas du communisme, c’est de la sociologie chrétienne. C’est la loi de l’usus communis. Si des communistes la rappellent à un monde qui l’a oubliée, ils ont raison. L’autre loi, la propriété privée, est juste aussi et les capitalistes ont raison d’y tenir, comme les communistes ont tort de la nier.
Le Crédit Social, comme l’Eglise, veut l’observation des deux. Le Crédit Social, par son dividende à tous, propose une méthode pour garantir légalement à chacun une part minimum des biens créés pour tous les hommes. En équilibrant le pouvoir d’achat global avec les prix, il facilite l’écoulement de la production et consolide ainsi la propriété.
Le communisme veut enrégimenter tout le monde au service de l’Etat. Le Crédit Social, en garantissant à tous un minimum vital, leur permet de se placer selon leurs aptitudes; en rendant la production payante, il libère les citoyens du recours continuel à l’intervention de l’Etat et à des octrois qui font chanceler la liberté.
D’ailleurs, une commission de théologiens nommée par les évêques étudia le Crédit Social en 1939 et fut unanime à reconnaître qu’il n’y a ni communisme ni socialisme condamné par l’Eglise dans le Crédit Social. Son rapport fait même des rapprochements intéressants entre l’encyclique de Pie XI et les propositions monétaires du Crédit Social.
Opposition: où et pourquoi?
Y a-t-il des personnes opposées au Crédit Social? Oui, signalons-en quelques catégories.
Les gros manitous des banques et des trusts formés dans l’orbite des banques y sont opposés. Ils pressentent la perte de leur précieux monopole, de leur source d’exploitation du public.
Leurs valets de la politique, qui sont plus sensibles à la caisse électorale qu’aux besoins du public, soutiennent l’opposition des banquiers. Les partis politiques n’ont pas encore placé le Crédit Social dans leur programme, justement parce qu’ils écoutent la voix des bailleurs de fonds et que le peuple, insuffisamment renseigné, n’a pas encore fait entendre la sienne.
Les distributeurs de patronage sont généralement opposés au Crédit Social: si le public a de l’argent, eux n’auront plus d’importance.
Certains parvenus sont opposés au Crédit Social parce qu’ils aiment à briller en éclipsant ceux qui n’ont rien. Ils craignent que le public, n’ayant plus besoin de ramper pour avoir le droit de vivre, se permette de juger les hommes d’après leur valeur morale, non plus d’après leur porte-feuille.
Des ignorants de diverses espèces sont opposés au Crédit Social. Les uns ne le connaissent pas du tout, mais le condamnent quand même par sottise ou par préjugé. D’autres se le représentent de travers et s’imaginent que leur fortune va être confisquée. D’autres croient qu’il faut que le monde soit pauvre pour bien se conduire; ils admettent qu’eux-mêmes sont capables de faire bon usage de l’argent, mais ils prennent leurs voisins pour des pécheurs de profession et trouvent que le banquier aide aux humains à faire leur salut! D’autres ont une chose tellement à coeur qu’ils ne peuvent croire à quelque chose de bon en dehors de leur sujet favori: orgueil ou étroitesse d’esprit.
A remarquer que les adversaires affirment ou nient, mais ne prouvent pas. Ou bien ils le font en défigurant le Crédit Social pour le rendre critiquable. L’un deux, l’ex-Dominicain Thomas Lamarche, est même allé jusqu’à traduire faussement des textes et à leur donner des significations arbitraires: ce n’est plus de l’ignorance, mais de la mauvaise foi.
Résultat: l’ordre rétabli
Quel serait, d’après nous, l’effet du Crédit Social?
D’une façon générale, d’abord, ce serait le rétablissement de l’ordre dans le secteur de l’argent, par là dans l’économique, avec échos dans la politique et le social.
L’homme doit être placé après Dieu et ses anges. L’argent, comme toute chose non intelligente, doit être soumise à l’homme.
Aujourd’hui, l’argent naît dans un livre, en endettant l’humanité. L’argent commande en venant au monde. L’être humain, lui, naît avec une dette envers la finance. Il vient au monde esclave vis-à-vis de l’argent.
Sous un régime créditiste, l’argent naîtrait encore dans un livre, mais en servant chaque citoyen. L’enfant viendrait au monde avec son droit à un dividende; l’argent le servirait immédiatement.
L’ordre rétabli dans l’économique. C’est la fin, le but, qui guiderait les activités économiques. Les biens seraient faits pour servir les besoins. L’argent cesserait d’être la fin déterminante de l’industrie.
Le niveau de vie serait réglé par les choses disponibles, puisque le niveau de l’argent serait au niveau des choses.
L’argent redeviendrait ce qu’il doit être: instrument pour écouler les produits, non pas arme pour conférer la puissance.
L’argent, simple signe pour représenter la richesse, donnant droit aux choses utiles, serait le reflet exact de la richesse, des choses utiles disponibles. Il serait dès lors en rapport exact et constant avec la production qui correspond à des besoins. Production liée au travail humain, argent lié au salaire; production facile, argent facile; production abondante, argent abondant; production automatique, argent gratuit; production augmentée par un capital commun, par un facteur social, argent émané d’une source sociale et distribué à chacun.
Le développement d’un pays ne serait plus représenté par une dette, mais par une augmentation de prospérité commune, répandue sur tous.
Résultat: sécurité
La première chose que l’homme recherche, au point de vue temporel, c’est sa sécurité, la préservation de sa vie. C’est pour mieux se garantir contre ses ennemis — les bêtes, la faim, le froid, — qu’il s’associe avec ses semblables.
Il est même prêt à sacrifier sa liberté jusqu’à un certain degré, pour avoir au moins un minimum de sécurité économique.
Qu’est-ce qui empêche la sécurité économique aujourd’hui? Qu’est-ce qui inspire à l’homme des craintes pour le lendemain? pour ses vieux jours ? Prenez le cas du Canada. Y a-t-il un Canadien qui craigne que demain, ou dans quelques années, le Canada ne puisse fournir assez de blé, assez de nourriture pour satisfaire la faim de tous les habitants du pays? Qui craint que le Canada puisse devenir incapable de fournir assez de vêtements, assez de chaussures, assez de matériel de construction, de bois de chauffage, de charbon, etc?
Non. Ce qui empêche de se sentir sûr du lendemain, c’est qu’on craint de n’avoir pas assez de revenu, assez d’argent pour se procurer une part suffisante de ces choses. Rien ne nous donne cette sécurité aujourd’hui.
Si l’argent suivait le rythme de la production et s’il était suffisamment distribué pour assurer, par loi, à chacun au moins une part suffisante pour parer aux nécessités de la vie, ce serait immédiatement la sécurité économique introduite dans un pays qui ne manque de rien.
Eh bien, c’est cette sécurité à tous et à chacun, sans exception, que garantira le régime monétaire du Crédit Social.
Assez d’argent total pour l’écoulement de tous les produits. Une part minimum assurée à chacun. Le reste selon la contribution à la production. La part minimum totale augmentera dans la mesure où la machine, la science appliquée, les inventions, les perfectionnements diminueront la part de travail exigée pour maintenir la production.
Résultat: liberté
De cette sécurité même découle la liberté. La liberté si chère à l’homme normal que, une fois le nécessaire garanti, il préfère garder sa liberté, sa dignité, plutôt que ramper pour avoir plus de confort.
Cette liberté n’est qu’un vain mot si, pour s’en prévaloir, il faut se résigner à crever de faim.
L’esclave de corps n’avait pas de liberté. Le régime de l’esclavage d’argent n’en a pas plus donné. Même ceux qui réussissent, «souvent par violence ou absence de scrupules de conscience», ne peuvent jouir librement de leurs succès, car la paix de l’âme, nécessaire à la vraie liberté, est incompatible avec les méthodes fratricides. La liberté dans la jouissance des biens est incompatible même avec le succès honnête dans un monde où trop de nos semblables souffrent injustifiablement.
Pour la première fois, l’homme se trouvera dégagé des chaînes que d’autres hommes lui imposent par leur pouvoir sur l’argent. Si cette délivrance ne lui donne pas par elle-même la véritable liberté, il ne tient plus qu’à lui d’en jouir en réglant lui-même sa vie.
Liberté d’exprimer ses opinions qui, même reconnue en principe aujourd’hui, est réduite à néant pour un grand nombre, par suite de leur dépendance vis-à-vis de gouvernements de partis, ou de compagnies qui se prévalent de leur puissance pour intimider leurs employés.
Liberté de choisir sa carrière dans un monde où les portes ne seront plus fermées par le manque d’argent.
Liberté de se marier, de fonder un foyer, lorsqu’on est assuré au moins du nécessaire, puis de la possibilité de se placer normalement.
Liberté d’élever des enfants lorsque les charges familiales croissantes trouvent une compensation relative dans un dividende régulier à chaque membre de la famille.
Liberté de cultiver ses facultés, d’employer ses énergies créatrices dans un monde où le progrès, au lieu de créer le chômage, engendre des loisirs sans tarir les revenus.
Résultat: gouvernement
Si les gouvernements ne gouvernent pas aujourd’hui, c’est parce qu’ils sont devenus les valets des intérêts privés. Ils signent des dettes envers des banquiers qui manufacturent l’argent. Les meilleurs hommes, en prenant les rênes du pouvoir, se font passer la camisole par les endetteurs.
Au lieu de gouverner d’après les possibilités réelles du pays, il leur faut se conduire d’après les restrictions du régime d’argent rare. Les pilotes du pays ont les mains liées devant la barre.
Les gouvernants, surtout les plus près du peuple comme les administrateurs municipaux, sont accaparés par le problème impossible de chercher de l’argent là où il n’y en a pas. Ils n’en peuvent faire naître, pour les cas d’urgence, qu’en augmentant la dette du pays et le fardeau des taxes, sans service correspondant.
Les gouvernements, placés en haut, ne devraient avoir qu’à surveiller, coordonner les organismes inférieurs, les corps sociaux hiérarchisés qui composent naturellement le véritable Etat, comme en régime de vrai corporatisme. Mais voilà que tous ces corps sociaux, ces corporations, la première de toutes (la famille) y comprise, sont devenus des ruines sans vie. Et que voit-on? Des individus, des familles, des groupes se bousculant pour se disputer les deniers arrachés par le gouvernement à ceux qui ne sont pas encore dans le chemin.
Le Crédit Social replacerait les gouvernements dans leurs fonctions propres. Il remettrait en circulation l’argent, le «sang de la vie économique». Les individus pourraient librement reformer leurs groupements naturels. Ces groupements, ces corporations diverses deviendraient financièrement capables de régler elles­mêmes les problèmes de leur juridiction, facilitant d’autant la tâche des gouvernements supérieurs.
Libéré de cauchemars budgétaires insolubles, indépendant des puissances d’argent, le gouvernement pourrait mieux intervenir là où des saboteurs même riches oseraient menacer la sécurité de l’ordre social.
Mouvement créditiste
Plusieurs grands esprits ont critiqué un système d’argent qui sert mal l’humanité. Mais c’est le major Douglas, ingénieur écossais, qui le premier, en 1918, proposa le système appelé Crédit Social, le plus conforme au progrès moderne, le plus démocratique, le seul qui place directement l’argent au service des hommes, de tous les hommes; le seul aussi qui augmente automatiquement le revenu des familles à mesure que celles-ci grossissent.
L’étude du système a engendré un mouvement pour réclamer sa mise en vigueur. Le mouvement créditiste s’est répandu dans tous les pays de langue anglaise, jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande, mais surtout au Canada, et plus particulièrement d’abord en Alberta; puis, avec un habit français et une philosophie catholique, dans la province de Québec, et de là dans le Canada français.
Dans la province de Québec et partout où l’on parle français au Canada, le mouvement créditiste, inauguré en 1935, prend des proportions imposantes, en même temps qu’il propage l’habitude de l’étude parmi les masses populaires.
Le mouvement créditiste canadien-français est conduit par les Pèlerins de saint Michel, qui publient et répandent le journal Vers Demain, ainsi que divers livres et brochures créditistes en français. Ils forment des citoyens éclairés et vigilants, et les invitent à s’organiser en union de citoyens, leur formule préférée en politique pour obtenir des résultats.
Nous croyons que la province de Québec, en particulier, a un rôle de premier plan à jouer pour réclamer et, si c’est nécessaire, instituer elle-même la réforme financière préconisée par le Crédit Social. Cette province est largement dotée en richesses naturelles et bien située pour passer outre à toute intervention extérieure. Elle possède la population la mieux préparée, par son éducation catholique, pour comprendre que l’argent doit servir la personne humaine et pour oser faire un changement dans un système économique que le Pape dénonce comme rendant le salut difficile à un nombre considérable de chrétiens.
Éducation – Apostolat
Le moyen d’obtenir le Crédit Social est évidemment la formation d’une opinion publique éclairée assez forte pour le réclamer effectivement. Il ne s’agit donc pas d’une campagne électorale, mais d’une campagne d’éducation.
C’est la meilleure garantie pour l’avenir du Crédit Social. Une opinion renseignée seule peut apporter la vigilance nécessaire pour prémunir contre le sabotage du bien commun par des politiciens sans conscience ou sans compétence.
Sous un régime créditiste, les problèmes ne seront plus d’ordre financier: ce seront des problèmes d’éducation, d’orientation, d’évaluation. Allez donc demander cela à un peuple rivé à la matière ou habitué à la mentalité de troupeau d’esclaves. Aussi est-ce un bien que l’étude l’expansion de l’étude soit nécessaire pour obte nir le Crédit Social: elle prépare en même temps la mentalité propre à aborder les problèmes nouveaux.
Cette diffusion de l’étude parmi les masses réclame le dévouement de nombreux apôtres qui n’ont pas peur de l’abnégation et du sacrifice. Et c’est encore dans l’ordre. Le désordre actuel est le résultat d’égoïsmes de toute, sortes, de l’atrophie du sens social, de l’orgueil et du pharisaïsme de la classe intellectuelle, de l’insouciance paresseuse de la multitude. Il faut que tout cela soit expié et corrigé.
Aussi, la seule formule pour l’avancement du Crédit Social est celle qui développe l’étude et le dévouement. Les animateurs du mouvement créditiste du Canada français la possèdent dans le journal VERS DEMAIN et ses versions en langue anglaise, polonaise et espagnole.
Le journal vulgarise des notions très élevée de politique, d’économique, de social, de philosophie même. Les Pèlerins de saint Michel, par leur dévouement, poussent le journal et d’autre écrits créditistes dans les familles.
Les Pèlerins de saint Michel convoquent des assemblées, tiennent des journées d’étude ouvertes à tous, entraînent les citoyens à l’initiative personnelle, à la responsabilité individuelle et à l’action concertée dans la poursuite d’un bien commun.

 Ceux qui contrôlent l’argent et le crédit sont devenus les maîtres
de nos vies… Sans leur permission nul ne peut plus respirer. (Pie XI)

 
Traduction »