Dix ans après, cher Bruno Colmant, cher Le Soir

9 février par Jérôme Ollier

La Bourse, Bruxelles (CC – Flickr – Steve Cadman)
Il y a dix ans Bruno Colmant écrivait dans Le Soir « La lettre du patron de la bourse à un révolté ». Cette lettre était destinée à Jérôme Ollier, qui était monté sur le toit de labourse de Bruxelles pour déployer une banderole avec le message « Make capitalism history ». Ce militant du CADTM répondait à Bruno Colmant le lendemain dans ce même journal.

Suite à une republication du texte initial sur le site du Soir ce 5 février 2018, Jérôme Ollier a réécrit un texte, dix ans après.
C’était en 2008, au-delà d’une rencontre insignifiante entre un président de la bourse et un altermondialiste, c’était avant tout une crise bancaire privée adossée notamment sur les crédits hypothécaires américains. Cette crise se transforme instantanément (grâce au Tradingautomatisé voire haute fréquence) en crise financière internationale et, dans les deux ans qui suivent, en crise de la dette publique en Europe.
Le discours libéral s’infléchit en façade face à la panique de la crise, on entend parler chez nos dirigeants de capitalisme sauvage et de partage des richesses. Mais vous connaissez la suite, face à la faiblesse de l’altermondialisme et l’opportunité crée par la crise, les élites capitalistes passent à l’offensive.
En 2010, le temps d’un dîner à thème |1|, des Hedges Funds font des plans pour renouer avec le profit. Des spéculateurs ont l’idée géniale de faire ‘a lot of money’ (ndlr « beaucoup d’argent ») à travers des attaques contre l’euro. Ils parient avec des produits financiers. Cette ‘ingénierie financière’ selon le terme consacré ne vaut absolument rien de plus (scientifiquement, socialement y compris en matière d’investissement) qu’un joueur de tiercé ou de bingo dans le dernier casino de Bruxelles, d’Athènes, de Madrid ou d’ailleurs.
Dix ans après, monsieur Colmant, absolument rien n’a changé, dix ans après vos confrères pyromanes […] continuent à méticuleusement organiser un système de spoliation et d’oppression : le capitalisme.
La désormais crise de la dette en Europe entraîne des mesures antisociales de grande ampleur destinées à rétablir la ‘solvabilité des États de la zone euro’. Fort de la bonne foi du peuple, nos décideurs exploitent la corde sensible arguant que l’État doit avoir un budget équilibré et se comporter en bon père de famille. La classe financière, elle, se rétablit très vite, les grandes banques et entreprises renouent avec les bénéfices à grand renforts d’allègements fiscaux.
En Europe, cette crise marque le début de dix ans de mesures d’austérité déclinées sous toutes leurs coutures : on régresse dans les classements mondiaux sur l’éducation, des services d’hôpitaux ferment, des maladies disparues réapparaissent, on stigmatise les fonctionnaires, on ‘flexibilise’ le code du travail, l’écart entre riches et pauvres continue de progresser, les prisons se remplissent. Et l’insécurité, qui certes avait déjà été bien exploitée politiquement ces vingt dernières années, fait le lit des nationalismes les plus basiques, en Belgique, en France, en Hollande, en Hongrie, en Allemagne, en Angleterre (où les nationalistes ont d’ores et déjà gagné une manche) rappelant, comme on dit, certaines heures sombres de l’Histoire.
Partout en Europe, l’État délocalise les compétences vers les collectivités locales (endettées elles aussi !) et les budgets sont coupés au couteau. En pâtissent ceux qui ne peuvent se payer une crèche ou une formation, un moyen de transport ou la cantine des gosses. On fait la chasse aux chômeurs, aux allocataires sociaux et les classes moyennes, artisans et commerçants continuent d’assumer les impôts que les plus riches refusent de payer.
Par ailleurs, les élites capitalistes prenant conscience de l’ampleur du défi climatique créent un marché du carbone, attribuant une valeur marchande à un gaz de l’atmosphère et faisant le lit d’un nouveau marché sur lequel spéculer. Les géologues, eux, sont forcés de constater un nouvel âge géologique : l’anthropocène. Et pendant ce temps les réfugiés politiques, économiques ou climatiques se noient en Méditerranée… Sans parler des guerres nombreuses et variées que les antagonismes des différents capitalismes régionaux créent régulièrement.
Et dix ans après, quasiment jour pour jour, ô surprise : les bourses dévissent !
Dix ans après, quasiment jour pour jour, ô surprise : les bourses dévissent !
Et comme amorce d’explication : on nous sert que les analystes s’y ‘attendaient’ mais sont surpris par l’ampleur et la vitesse du phénomène. Ils soupçonnent des actionsautomatisées… On s’inquiète également car les salaires pourraient augmenter aux États-Unis.
Il semblerait, pourtant, qu’en 2017 les 1% des plus riches aient accaparé 82% de la richesse mondiale |2|.
Dix ans après, monsieur Colmant, absolument rien n’a changé, dix ans après vos confrères pyromanes qu’ils soient financiers, traders, membres des Conseils d’administration des grandes entreprises, banques ou assurances, qu’ils soient hauts fonctionnaires ou éditorialistes continuent à méticuleusement organiser un système de spoliation et d’oppression : le capitalisme.
Il y a dix ans vous m’opposiez que le capitalisme est « l’ordre naturel des communautés humaines » et que la bourse est indispensable car elle « formule la valeur et fonde l’appel au capital à risque ».
Dix ans après, le seul regret que j’ai est de ne pas vous avoir appelé par votre nom : Vous êtes les profiteurs de cette société, vous êtes des criminels et le risque… c’est vous !
Voir également la réponse initiale de Jérôme Ollier le 14 février 2009 : « Réponse de l’homme révolté ».


Notes
|1| Susan Pulliam, Kate Kellyand, Carrick Mollenkamp, « Hedge Funds Try ’Career Trade’ Against Euro », Washington Post, disponible sur https://www.wsj.com/articles/SB1000…
|2| Rapport Oxfam, Partager la richesse avec celles et ceux qui la la créent, janvier 2018, disponible sur http://oxfamfrance.org/sites/defaul…
Traduction »