Jacques Vergès à Lausanne.
Me Vergès et Me Lob débattront avec notamment des hommes d’Eglise.
-La griserie n’est pas la même. D’abord parce que le public est plus nombreux. Aussi parce que le tribunal, souvent, possède un parti pris. Il a lu le dossier, son avis est fait. Et il est pressé. Le public a certes aussi un préjugé mais il vient pour comprendre. J’ai entendu des spectateurs sortir en disant: «Je ne le voyais pas comme ça!» Le trac? Je ne sais pas ce que c’est.
-D’abord, je n’ai pas peur. Je ne crains pas la mort. J’ai fait la guerre de 17 à 20 ans sous les ordres de De Gaulle. Lors de ma démobilisation j’avais acquis une très grande assurance. Puis, en tant que jeune avocat, j’ai connu la guerre d’Algérie et les assassinats de confrères, dont le mien programmé par l’OAS. Cela forge un caractère. Ajoutez à cela la tradition française du beau geste, du panache. C’est Danton! C’est Cyrano! C’est le maréchal Ney ordonnant lui-même le feu au peloton d’exécution qui le vise.
-En partie. Surtout: ma sortie d’adolescence s’est effectuée sous les ordres d’un général condamné à mort. Vous comprenez alors de quelle façon j’ai appris à me méfier des règles, des professeurs de morale, des pères nobles, tous ces hypocrites. J’accepte facilement d’être seul contre tous: au procès Barbie, j’étais seul face à trente-neuf confrères, quarante avec le procureur! J’avais 30 ans quand je suis devenu avocat, après des études de lettres. Ce métier me paraissait alors avant tout gage d’une certaine liberté. Mais quand, après trois mois, j’ai été commis d’office pour défendre un malfrat de mon âge, j’ai compris que c’était ma vocation. Je me suis dit: «Ce type, c’est moi!»
-Non, la scène est une surprise totale. Ce n’est pas mon monde. Je ne me désintéresse pas du théâtre mais je n’y vais jamais. Je lis des pièces, comme tout le monde, Othello, Macbeth, Hamlet… Un jour, le directeur du Théâtre de la Madeleine, après avoir vu le film de Barbet Schroeder, m’a proposé d’écrire et de jouer une pièce. Il m’a dit que le théâtre évoluait, que Fabrice Luchini entretenait le public pendant une heure et demie sur un texte de Céline, etc. Je me suis lancé.
-Oui… malgré son réalisateur! Schroeder m’a proposé le film à condition qu’il fût seul responsable des témoins, des documents et du montage. J’ai accepté à sa stupéfaction, sachant que j’allais le piéger car les gens pourraient me juger sur mes propos. Bien que le film soit d’une grande violence, ils ont vu un être humain agissant pour des raisons humaines. Les deux premiers tiers du film sont intéressants car ils couvrent un demi-siècle de notre histoire. Le dernier tiers (ndlr: notamment sur le terroriste Carlos et une histoire d’amour supposée entre sa compagne emprisonnée, Magdelena Kopp, et son défenseur Vergès) est du grand n’importe quoi comique.
-Je n’ai pas voté aux élections en 2007. J’avais le choix entre Ségolène Royal – qui me paraît folle – et Nicolas Sarkozy, qui me semble sérieux mais dont le programme ne me plaît pas. Je lui reproche désormais sa manière de présider. Il n’observe pas la tradition française du roi au-dessus de tout, qui ne participe à aucune querelle partisane et défend le monde des arts et des lettres. Napoléon avait un beau style, de Gaulle aussi, Pompidou aimait la poésie, Mitterrand était cultivé. Sarkozy entretient au contraire un culte du vulgaire. Et le peuple est le premier à le regretter: il aime le beau langage, il aimerait pouvoir le maîtriser.
-J’approuve les Suisses de n’avoir pas adhéré à l’Europe. Je regrette par contre qu’ils aient cédé sur le secret bancaire. La neutralité est pour moi une forme de sagesse et de force, pas de couardise.
-C’est dur à dire. Sur le plan professionnel, je suis parfaitement intégré: la Conférence des avocats de Paris a loué le théâtre pour mon spectacle, que j’ai joué devant 300 confrères. Lors de la rentrée du barreau de Marseille, ainsi qu’à Amiens et à Pontoise, j’ai prononcé le discours de clôture. Je ne suis pas aimé dans un certain milieu institutionnel et bien-pensant.
-Au procès Barbie, en 1987. Je recevais plus de lettres que les trente-neuf avocats en face de moi. Une petite jeune m’écrivait: «Maître, je ne sais pas si ce sont les terroristes ou les nazis qui vous paient mais je vous adore car depuis le début de ce procès vous avez foutu un bordel monumental à la maison!» Un autre jour, j’ouvre une enveloppe, des pétales de rose en tombent! Une lettre d’amour? Le mot anonyme disait: «Voici l’avance sur ta couronne mortuaire, salaud!»
-Il faut se méfier de la fatuité. On y cède facilement alors que les encouragements que l’on reçoit ne récompensent pas toujours vos motivations premières. Toujours durant le procès Barbie, un homme dans la rue me salue. L’ami à mes côtés me dit: «Tu vois Jacques, la manière dont ce type t’a salué n’était pas celle d’un admirateur mais d’un complice.» Troublant.
-Où étiez-vous entre 1970 et 1978?
-Vous ne le saurez pas.
Débat public: «La justice à tout prix?» Lausanne, Espace culturel des Terreaux, jeudi 20 janvier, 20 h 30.
Me Vergès et Me Lob débattront avec des hommes d’Eglise. Animé par Darius Rochebin. Entrée libre. Rens.: 021 320 00 00.
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