La fin du néolibéralisme
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24 mars 2010  –  Gabriel Ste-Marie

Freefall , le dernier livre de l’économiste américain Joseph Stiglitz
analyse la grande récession et le plan d’aide gouvernementale pour
relancer l’économie. Comme lors de la crise des années trente, l’absence
de règlementation du secteur financier est à l’origine de la débâcle.

Si les revenus de la classe moyenne ont stagné au cours des dernières
décennies, sa consommation a continué à augmenter via un endettement
accru. L’important lobby financier a obtenu une dérèglementation
progressive de son secteur. Il est, entre autres, devenu possible de
répondre positivement à toute demande d’emprunt, tant qu’une maison
était mise en garantie. Les ménages se sont rendettés à la hauteur de la
valeur de leur hypothèque pour consommer davantage, dans un contexte de
bulle immobilière qui ne cessait d’accroître les possibilités d’emprunts.

La Federal Reserve dirigée par Allan Greenspan a légitimé la situation
en refusant d’intervenir et en maintenant son taux directeur très bas.
Même réflexe chez les élus et les législateurs qui affirmaient que le
marché saurait se gérer seul. Les consommateurs ont fait confiance à
leurs banquiers et répondu positivement à leurs offres d’endettement.

Ces derniers ont clamé ne pas être responsables de ce qui était moral ou
pas, même s’ils ont fait pression pour ne plus être l’objet d’une
réglementation. Enfin, les économistes ont donné leur aval à ce laxisme
en réitérant leur foi dans des marchés dérèglementés.

Stiglitz rappelle pourtant que, depuis plus d’un quart de siècle, les
avancées de la discipline économique ont démontré l’inefficacité des
marchés libres de toute intervention étatique. Ceci inclus notamment sa
contribution qui portait sur le manque d’information des agents, ce qui
les empêche de prendre des décisions optimales. Malgré un effort soutenu
et continu pour invalider ces avancées, le courant conservateur en
économie n’a pu contredire ce constat et préfère l’ignorer pour des
raisons purement idéologiques.

La dérèglementation a aussi permis la fusion des institutions
financières créant des banques devenues trop grandes pour faire
faillite, car elles entraîneraient toute l’économie dans leur chute.
Sachant que l’État viendrait à leur rescousse, elles n’ont pas hésité à
prendre davantage de risques. De nouveaux instruments non réglementés
ont aussi financé l’emprunt des ménages, qui ne sera pas remboursé une
fois la bulle immobilière éclatée.

Pour l’auteur, le crash était inévitable et s’explique par la
dérèglementation. À ce sujet, il cite les travaux de l’historien de
l’économie Charles Kindleberger qui a documenté la récurrence des crises
financières au cours des 400 dernières années. Elles reviennent environ
aux dix ans, les trente glorieuses constituant l’exception.

En effet, sauf pour le Brésil en 1962, le monde n’a connu aucune crise
financière entre 1945 et 1971, seule période de l’histoire où les
systèmes bancaires étaient réglementés. Stiglitz explique que cette
stabilité a certainement contribué à une croissance économique
exceptionnelle ainsi qu’à une meilleure répartition de la richesse. En
prenant pour exemples, les États-Unis et l’Asie, et ce malgré les
erreurs commises, l’auteur tranche en faveur de l’intervention
gouvernementale qui a permis d’accroître la productivité de ces pays.

Le professeur explique qu’on a fini par oublier les causes de la
dépression des années trente et de la réglementation des banques qui a
suivie. Toutefois, selon lui, l’actuelle crise illustre clairement
l’incapacité des marchés à s’autoréguler et sonne par conséquent la fin
du néolibéralisme. Il n’est pas possible de revenir à la situation
d’avant crise et le plan de relance du gouvernement américain doit
obligatoirement s’accompagner d’une réforme du système financier.

Joseph Stiglitz critique d’ailleurs sévèrement la réponse de Bush et
Obama à la récession, qu’il qualifie de la plus coûteuse de l’histoire.
En incluant le sauvetage des banques et les garanties qui leur ont été
données, l’aide étatique s’élève à 12 000 milliards $! Le ratio
dette-PIB est ainsi passé de 35% en 2000 à 60% en 2009.

L’économiste s’indigne que Bush ait choisi d’aider ceux-là même qui ont
créé le problème. Les banques ont mal géré le risque et, plutôt que de
les faire payer, l’État s’est endetté pour leur donner tout l’argent
qu’elles ont demandé. Pour Stiglitz, ces sommes peuvent être considérées
comme perdues.

Cette injustice a rompu le lien de confiance entre les membres de la
société. L’auteur trouve particulièrement inacceptable que
l’administration Obama ait poursuivi le plan Bush sous prétexte d’aider
à la stabilité et à la restauration du système.

Il aurait été plus juste d’aider les nouveaux chômeurs à conserver leur
résidence ou même de supporter une partie des hypothèques. Ceci aurait
notamment empêché la dégradation rapide des maisons laissées à l’abandon.

Stiglitz est aussi déçu du plan d’aide de 800 milliards $ de Bush et
Obama visant à relancer l’emploi. Selon la vision keynésienne, pour
sortir de la récession, l’État doit s’endetter pour créer des emplois et
stimuler la consommation. Encore faut-il que ce soit fait de façon
efficace et que chaque dollar ainsi dépensé ait le maximum de retombées.

Près du tiers du plan a été consenti en baisses d’impôts aux plus
fortunés. Ces sommes sont principalement épargnées et ne créent pas
d’emplois. La subvention d’achat de voitures neuves s’est aussi avérée
inefficace. Si les ventes se sont accrues à l’été 2009, elles ont chuté
à l’automne suivant, n’augmentant pas l’emploi dans ce secteur.

Il doit également y avoir une cohérence entre les paliers
d’administration. Le même problème s’est présenté lors du New Deal de
Franklin Delanoë Roosevelt. Pendant que le fédéral crée des emplois, les
États en abolissent afin d’équilibrer leur budget. Par exemple, en 2009
la Californie a coupé ses dépenses et augmenté ses revenus pour combler
son déficit de 42 milliards $, ralentissant l’économie d’autant.

Au total, Stiglitz évalue que les réductions des dépenses au niveau des
États représentent 1% du PIB américain et annulent le plan de relance de
la première année. Il n’est pas logique d’embaucher des chômeurs pour
construire des ponts au niveau fédéral alors qu’on licencie enseignantes
et infirmières au niveau des États!

Malgré tout, Joseph Stiglitz demeure optimiste tout au long du livre et
il donne à l’administration Obama des conseils pour rectifier le tir. La
façon de sortir de la crise oriente le type d’économie que l’on désire
construire. L’auteur suggère une économie plus verte, où le secteur
financier accapare moins de ressources et où les Américains
diminueraient leur consommation au profit de temps de loisirs accrus. Il
demeure toutefois réaliste en rappelant la quasi impossibilité de l’État
à manœuvrer entre tous les groupes de pression, particulièrement celui
du milieu financier.

Freefall, Joseph E. Stiglitz, W.W. Norton & Company, New-York, 2010, 361 p.

Une solution meilleure:

http://pavie.ch/articles.php?lng=fr&pg=76

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